Donald Trump et Kim Jong-Un se sont retrouvés pour un sommet historique à Singapour. C’était la première fois qu’un président américain rencontrait un leader nord-coréen. Décryptage. 

QUE S’EST-IL PASSÉ À SINGAPOUR?

Le sommet avait lieu le mardi 12 juin au Capella Hotel, un hôtel de luxe situé sur l’île de Sentosa. Cette île fait partie de la République de Singapour et accueille plusieurs millions de touristes par an. On y trouve de nombreux hôtels, une grande plage, deux parcours de golf et un parc d’attractions.

Voici comment s’est déroulé le sommet, étape par étape.

1 – Une poignée de main historique

À 9h00 du matin (heure locale), Donald Trump et Kim Jong-Un ont donné le coup d’envoi du sommet en se serrant la main devant les journalistes du monde entier. On pouvait apercevoir derrière eux de grands drapeaux des Etats-Unis et de la Corée du Nord placés côte à côte.

2 – Un long entretien privé

Après avoir posé devant les photographes, Donald Trump et Kim Jong-Un se sont isolés pour une discussion en tête-à-tête. Elle a duré 38 minutes. Les deux hommes n’étaient accompagnés que de deux traducteurs leur permettant de communiquer. Aucun conseiller n’était présent, alors que c’est généralement le cas lors de telles rencontres.

À la suite de cette longue discussion, les deux chefs d’état ont fait une petite ballade dans les couloirs et les jardins du Capella Hotel, saluant de loin les journalistes présents. On a tout de même pu entendre Kim Jong-Un dire au président américain que « beaucoup de gens dans le monde vont croire que ceci est un film de science-fiction ».

3 – Une réunion de travail suivie d’un lunch

Donald Trump et Kim Jong-Un ont ensuite été rejoints par un petit groupe de conseillers pour une nouvelle discussion suivie d’un repas. Côté américain, le président était accompagné du Secrétaire d’Etat Mike Pompeo, de son conseiller à la sécurité nationale John Bolton et de son chef de cabinet John Kelly. Côté nord-coréen, Kim Jong-Un était accompagné de son ministre des Affaires Étrangères Ri Yong Ho, du diplomate Kim Yong Chol (qui avait récemment remis une lettre à Donald Trump dans le Bureau Ovale) et du vice-président du comité central du parti des travailleurs de Corée du Nord Ri Su Yong.

La porte-parole de la Maison Blanche Sarah Sanders, ainsi que le diplomate américain Sung Kim (qui a en grande partie géré l’organisation du sommet) et le spécialiste de l’Asie au sein du conseil à la sécurité nationale Matt Pottinger n’étaient pas présents à la première réunion mais ont participé au repas. Celui-ci était composé d’un mélange de plats occidentaux et coréens.

4 – Un coup d’œil à The Beast

Après le repas, Donald Trump a emmené Kim Jong-Un jusqu’à sa limousine présidentielle, laissant même le leader nord-coréen jeter brièvement un œil à l’intérieur.

5 – La signature d’une déclaration commune

Le sommet touchant à sa fin, Donald Trump et Kim Jong-Un ont signé et présenté à la presse une déclaration commune. Le document d’une seule page n’est pas très détaillé. Il s’agit avant tout d’une déclaration de bonnes intentions. Kim Jong-Un y réitère son « engagement à la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne », sans plus de précisions. Le document ne mentionne pas la « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible » jusqu’ici présentée par les Américains comme l’objectif à atteindre lors du sommet. De son côté, Donald Trump s’engage à « fournir des garanties de sécurité » à la Corée du Nord. Le document ne précise pas de quoi il s’agit mais lors de sa conférence de presse (voir-ci-dessous), Donald Trump a indiqué qu’il allait mettre un terme aux exercices militaires communs que les Américains organisent régulièrement avec la Corée du Sud. Le document affirme aussi que les Etats-Unis et la Corée du Nord vont travailler à l’identification et au rapatriement des restes de soldats américains qui se trouvent encore en Corée du Nord.

6 – La conférence de presse de Donald Trump

Elle a duré plus d’une heure. Donald Trump s’est réjoui du bon déroulement du sommet et a notamment affirmé que:

The past does not have to define the future. Yesterday’s conflict does not have to be tomorrow’s war. As history has proved over and over, adversaries can become friends. (Le passé ne doit pas définir l’avenir. Le conflit d’aujourd’hui ne doit pas être la guerre de demain. Comme l’histoire l’a prouvé à de nombreuses reprises, des adversaires peuvent devenir des amis)

C’est aussi lors de cette conférence de presse que Donald Trump a annoncé qu’il allait mettre fin aux exercices militaires communs avec la Corée du Sud. Cet engagement ne figurait pourtant pas dans la déclaration commune signée par le président américain et Kim Jong-Un. La Corée du Sud n’avait semble-t-il pas non plus été informée de cette décision. Donald Trump a même qualifié ces exercices militaires de « provocateurs » et « inappropriés », reprenant ainsi la rhétorique habituelle des dirigeants nord-coréens. Il a aussi affirmé que le fait de mettre fin à ces exercices militaires ferait faire des économies aux Etats-Unis.

Donald Trump a aussi montré aux journalistes une vidéo assez ahurissante qu’il affirme avoir montrée à Kim Jong-Un sur un iPad au cours de leurs discussions. La vidéo a été réalisée par le conseil à la sécurité nationale du président américain mais ressemble davantage à une vidéo de propagande nord-coréenne…. La vidéo est réalisée comme la bande-annonce d’un film dont Donald Trump et Kim Jong-Un seraient les principaux protagonistes ayant la possibilité d’améliorer l’avenir du monde. La vidéo montre aussi ce que la Corée du Nord pourrait aspirer à devenir si elle choisissait la bonne voie, c’est-à-dire celle de l’ouverture et du capitalisme.

Lors de sa conférence de presse, Donald Trump n’a d’ailleurs pas hésité à déclarer qu’il y avait de très belles plages en Corée du Nord et qu’on pourrait y construire « les meilleurs hôtels du monde ». Le président américain n’a en revanche guère évoqué l’avenir des citoyens nord-coréens enfermés dans des camps de concentration et/ou victimes de malnutrition.

La question des droits de l’homme n’a pas beaucoup été évoquée lors du sommet de Singapour. C’est d’ailleurs l’une des principales critiques adressées au président Trump aux Etats-Unis. D’autant plus que Donald Trump a complimenté Kim Jong-Un à plusieurs reprises, affirmant qu’il avait beaucoup de talent ou encore qu’il « aimait son peuple ». Des commentaires qui n’ont pas plu à tout le monde. Voici par exemple comment Mike Murphy, un stratège républicain ayant notamment participé à la campagne de Jeb Bush pour la présidentielle de 2016, a réagi sur Twitter à la déclaration de Donald Trump selon laquelle Kim Jong-Un « aime son peuple ».

Et voici un tweet du sénateur républicain Marco Rubio réagissant aux propos de Donald Trump selon lesquels Kim Jong-Un est « talentueux » parce qu’il a repris les rênes de son pays après le décès de son père alors qu’il n’avait que 27 ans et que « tout le monde n’en aurait pas été capable ».

C’est évidemment beaucoup moins diplomatique.

7 – Le retour à Washington

Après sa conférence de presse, Donald Trump a pris l’avion pour rentrer aux Etats-Unis. À peine arrivé à Washington, il publiait un tweet dans lequel il affirmait que la Corée du Nord ne représentait plus aucune menace nucléaire. Une déclaration quelque peu prématurée puisque, comme nous l’avons vu, Kim Jong-Un s’est vaguement engagé à œuvrer pour la dénucléarisation mais le processus n’est pas encore engagé. Pour l’instant, la Corée du Nord est toujours en possession de son armement nucléaire.

POLÉMIQUES POST-SOMMET

Alors que les médias américains continuaient à analyser le sommet de Singapour, deux polémiques sont venues s’ajouter au débat après le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.

1 – Une image qui en a fait s’étrangler plus d’un outre-Atlantique

Cette image est issue d’une vidéo qui a été diffusée par la télévision d’état nord-coréenne quelques jours après le sommet de Singapour. On y voit Donald Trump en train de saluer un général de l’armée nord-coréenne en uniforme, sous les yeux de Kim Jong-Un.

Si l’image fâche aux Etats-Unis, c’est parce que le geste est interprété comme un geste de respect inapproprié face à un membre de l’armée d’un pays dictatorial et ennemi (officiellement, la Corée du Nord est toujours en guerre avec la Corée du Sud, alliée des Etats-Unis). Autrement dit, ce geste pourrait presque être considéré comme de la haute trahison. En faisant ce geste, Donald Trump a aussi fourni du matériel de propagande supplémentaire au régime nord-coréen alors que c’était totalement évitable.

La porte-parole de la Maison Blanche a toutefois déclaré que Donald Trump n’avait fait que répondre poliment au général qui l’avait salué en premier.

2 – Une déclaration qui fâche

Trois jours après le sommet de Singapour, lors d’une interview accordée à Fox News, Donald Trump a déclaré ceci au sujet de Kim Jong-Un:

He’s the head of a country and I mean he’s the strong head. Don’t let anyone think anything different. He speaks and his people sit up at attention. I want my people to do the same. (Il est le leader du pays et un leader fort. Il ne laisse personne penser quelque chose de différent. Il parle et son peuple l’écoute avec attention. Je veux que mon peuple en fasse autant)

Attention ! Nous avons traduit le my people de Donald Trump par mon peuple mais il est aussi possible que le président américain ait seulement voulu désigner les gens qui travaillent pour lui à la Maison Blanche (cf. l’interview se déroulait devant la Maison Blanche et le président a pointé le bâtiment du doigt) et non l’ensemble du peuple américain.

Quoi qu’il en soit, la remarque a été interprétée comme une nouvelle preuve de la fascination de Donald Trump pour les dictateurs.

Interrogé plus tard au sujet de cette déclaration, le président a déclaré qu’il s’agissait d’une plaisanterie et que les journalistes ne comprenaient pas « les sarcasmes ».

CE QU’IL FAUT RETENIR

En bref, le sommet de Singapour a permis d’apaiser les tensions entre les Etats-Unis et la Corée du Nord (du moins, à court terme) et d’entamer un dialogue qui pourrait aboutir à la dénucléarisation de la Corée du Nord. Le conditionnel est de rigueur puisque Kim Jong-Un n’a pour l’instant encore pris aucun engagement véritablement sérieux, ferme et définitif. Le sommet de Singapour n’était que le premier chapitre de longues négociations qui vont se poursuivre dans les mois qui viennent et qui seront menées par le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo. La question est de savoir si elles aboutiront à un résultat concluant. Beaucoup d’observateurs sont sceptiques.

Dans l’immédiat, presque tout le monde s’accorde à dire que Kim Jong-Un est le grand vainqueur du sommet de Singapour. Il n’a pris aucun engagement concret (hormis le rapatriement des restes de soldats américains) et a obtenu de la part de Donald Trump:

∗ L’arrêt des exercices militaires menés par les Etats-Unis avec la Corée du Sud

∗ Une nouvelle légitimité sur la scène internationale

Aux Etats-Unis, les nombreux compliments de Donald Trump à l’égard de Kim Jong-Un ont très majoritairement déplu et inquiété, même chez les partisans du dialogue avec la Corée du Nord et de l’organisation du sommet de Singapour. Le raisonnement étant grosso modo le suivant: S’il est vrai qu’il est parfois nécessaire de dialoguer avec les dictateurs, fallait-il vraiment qualifier Kim Jong-Un d’homme talentueux et de très grand leader, lui faire des tonnes de compliments, le traiter avec plus de respect que des alliés de longue date (comme ce fut le cas quelques jours auparavant au sommet du G7) ou lui montrer fièrement la limousine présidentielle? Et fallait-il saluer un général nord-coréen?

Erick Erickson, une figure connue au sein du mouvement conservateur américain, a déclaré que si Barack Obama s’était comporté comme Donald Trump à Singapour, « le Parti Républicain aurait réclamé sa destitution ».

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PS: WHAT A TIME TO BE ALIVE

Pour terminer, nous ne pouvons pas ne pas évoquer l’interview surréaliste de Dennis Rodman sur CNN. L’ancien joueur de la NBA, qui s’est rendu à plusieurs reprises en Corée du Nord et qualifie Kim Jong-Un d’ami, était présent à Singapour. Il ne faisait pas partie de la délégation américaine mais s’était rendu sur place par ses propres moyens. Il a accordé une interview à CNN, vêtu d’une casquette Make America Great Again. Il a fondu en larmes au cours de cette interview, affirmant que c’était un très grand jour et qu’il était très heureux de voir Donald Trump et Kim Jong-Un entamer un dialogue.

Et le plus drôle, c’est que des internautes ont alors retrouvé ce vieux tweet publié par Donald Trump en 2014. (Il faut savoir que Dennis Rodman a participé il y a plusieurs années à l’émission de télé-réalité de Donald Trump, The Apprentice).

¯\_(ツ)_/¯