Sept candidats démocrates à la présidence se sont retrouvés pour un nouveau débat dans le New Hampshire ce vendredi 7 février. Compte-rendu.
INTRODUCTION
Ce nouveau débat démocrate, le deuxième depuis le début de l’année et le huitième depuis le coup d’envoi de la campagne électorale, avait lieu quelques jours après le caucus de l’Iowa et quelques jours avant la primaire du New Hampshire. Malgré l’enjeu, son contenu ne fut guère différent de celui des débats précédents et les attaques entre candidats ne furent pas particulièrement plus féroces.
À noter que le Parti Démocrate avait édicté de nouvelles règles de qualification pour ce débat. Les candidats ayant remporté au moins 1 délégué lors du caucus de l’Iowa étaient automatiquement qualifiés. Les candidats n’ayant obtenu aucun délégué en Iowa devaient quant à eux remplir deux critères pour se qualifier: 1) avoir récolté des dons de la part de plus de 225,000 citoyens pour leur campagne et 2) être crédité d’au moins 5% des intentions de vote dans au moins quatre sondages différents ou d’au moins 7% des intentions de vote dans au moins deux sondages réalisés en Iowa, au New Hampshire, au Nevada ou en Caroline du Sud. Andrew Yang avait rempli ces critères de qualification et faisait son retour sur le plateau après son absence lors du dernier débat.
LE DÉBAT
Participants: Joe Biden, Bernie Sanders, Elizabeth Warren, Pete Buttigieg, Amy Klobuchar, Andrew Yang, Tom Steyer
Organisateurs: Le débat était co-organisé par ABC News, WNUR et Apple News
Modérateurs: George Stephanopoulos, David Muir et Linsey Davis
Durée du débat: 2h30
Compte-rendu:
(Attention, ce compte-rendu n’est pas un résumé exhaustif du débat. Revenir sur tout ce qui a été dit serait bien trop long. Nous avons seulement sélectionné les moments les plus marquants de la soirée)
- L’aveu d’échec de Joe Biden
Joe Biden a d’emblée reconnu que son résultat au caucus de l’Iowa était un échec et il a même avancé que son résultat lors de la primaire du New Hampshire serait probablement également décevant.
I took a hit in Iowa and I’ll probably take a hit here. (J’ai pris une claque en Iowa et je vais probablement prendre une claque ici)
Mais « c’est une longue course », a-t-il ajouté. On sait que Biden mise beaucoup sur la Caroline du Sud, où une majorité des électeurs démocrates sont afro-américains, une communauté auprès de laquelle l’ancien vice-président de Barack Obama reste très populaire. En Iowa et au New Hampshire, plus de 90% de la population est blanche.
Néanmoins, il demeure assez rare de voir un candidat annoncer lors d’un débat que son prochain résultat sera probablement décevant. Drôle de façon de remotiver ses troupes…
- Pete Buttigieg réagit aux critiques sur son manque d’expérience
Après que Joe Biden ait laissé entendre que Pete Buttigieg manquait d’expérience pour devenir président, voici comment l’ex-maire de South Bend a répondu:
I freely admit that if you’re looking for the person with the most years of Washington establishment experience under their belt, you’ve got your candidate. And of course it’s not me. The perspective I’m bringing is that of somebody whose life has been shaped by the decisions that are made in those big white buildings in Washington, D.C. Somebody who has guided a community written off as dying just a decade ago through historic transformation. Somebody who knows what it means to be sent to war on orders that come out of the Situation Room. We need a perspective right now that will finally allow us to leave the politics of the past in the past. Turn the page and bring change to Washington before it’s too late. (J’admets volontiers que si vous cherchez la personne ayant le plus grand nombre d’années d’expérience au sein de l’establishment à Washington, vous avez votre candidat. Et ce n’est évidemment pas moi. La perspective que j’apporte est celle de quelqu’un dont la vie a été influencée par les décisions prises dans ces grands buildings blancs à Washington, D.C. Quelqu’un qui a guidé une communauté considérée comme mourante il y a dix ans vers une transformation historique. Quelqu’un qui sait ce que cela signifie d’être envoyé à la guerre sur des ordres venant de la Situation Room. Nous avons besoin d’une perspective nouvelle qui nous permette enfin de laisser la politique du passé dans le passé. De tourner la page et d’apporter du changement à Washington avant qu’il ne soit trop tard)
Biden a répliqué que la « politique du passé » n’était pas si négative que cela, en référence évidemment aux années Obama.
- Amy Klobuchar vs Pete Buttigieg
Sans doute l’affrontement le plus marquant de la soirée. La sénatrice du Minnesota, qui attaque elle aussi régulièrement Pete Buttigieg sur son manque d’expérience, lui a reproché de critiquer « Washington », une tactique commune lors des élections mais un peu trop facile à son goût. Klobuchar a aussi souligné que les Américains avaient élu une personne sans expérience à la présidence (en référence à Donald Trump) « et regardez où cela nous a menés ».
It is easy to go after Washington, because that’s a popular thing to do. (…) It is much harder to lead and much harder to take those difficult positions. (Il est facile de s’en prendre à Washington, parce que c’est populaire de le faire. (…) C’est beaucoup plus difficile d’être un leader et de prendre des positions difficiles)
We have a newcomer in the White House, and look where it got us. I think having some experience is a good thing. (Nous avons un nouveau venu à la Maison Blanche, et regardez où cela nous a menés. Je pense qu’avoir un peu d’expérience est une bonne chose)
- Joe Biden fait applaudir le lieutenant-colonel Alexander Vindman
Le lieutenant-colonel Alexander Vindman est l’un des membres du Conseil à la sécurité nationale du président Trump qui a témoigné devant le Congrès dans le cadre de l’impeachment inquiry. Quelques heures avant le coup d’envoi du débat, la presse révélait qu’il venait de perdre sa place au sein du Conseil à la sécurité nationale et qu’il avait été escorté hors de la Maison Blanche. Vindman ne siégera donc plus au sein du Conseil à la sécurité nationale du président Trump, mais il n’a pas pour autant été licencié de l’armée. La décision de le priver de son poste au sein du Conseil à la sécurité nationale a toutefois été largement interprétée comme un geste de vengeance de la part du président Trump, qui, après son acquittement par le Sénat, chercherait à punir tous ceux qui ont osé témoigner contre lui devant le Congrès.
Lors du débat, Joe Biden a déclaré que le président Trump aurait mieux fait de remettre la Medal Of Freedom à Alexander Vindman qu’au controversé animateur radio Rush Limbaugh. L’ancien vice-président a ensuite demandé au public présent dans la salle de faire une standing ovation à Vindman.
Stand up and clap for Vindman. (…) That’s who we are. We are not what Trump is. (Levez-vous et applaudissez pour Vindman. (…) Voilà qui nous sommes. Nous ne sommes pas comme Trump)
- Joe Biden et Bernie Sanders affirment qu’ils n’auraient pas autorisé la frappe ayant tué le général iranien Qasem Soleimani
Joe Biden et Bernie Sanders ont tous les deux affirmé qu’en tant que président des Etats-Unis, ils n’auraient pas pris la décision d’autoriser la frappe ayant tué le général iranien Qasem Soleimani à l’aéroport de Bagdad.
Joe Biden a affirmé qu’il n’aurait pas autorisé la frappe, avant de pivoter rapidement vers la question plus large de l’isolation diplomatique des Etats-Unis sous la présidence Trump. L’ancien vice-président estime que Donald Trump a isolé l’Amérique sur la scène internationale et que c’est une catastrophe.
We are alone now, alone in that region of the world, without friends, without support, without allies. (Nous sommes désormais seuls, seuls dans cette région du monde, sans amis, sans soutien, sans alliés)
Bernie Sanders a déclaré qu’il n’aurait pas autorisé la frappe contre Soleimani parce qu’il s’agissait d’un membre important d’un gouvernement étranger. Le sénateur du Vermont a affirmé qu’il y avait beaucoup de très mauvais leaders politiques dans le monde mais que d’autres états ne pouvaient pas commencer à les assassiner, ou ce serait l’anarchie sur la scène internationale.
There are very bad leaders all over the world. Kim Jong-Un in North Korea is probably responsible for the death of hundreds of thousands of his people, threatening all of Asia with nuclear weapons. You got Mohammad Bin Salman in Saudi Arabia who is a terrible murderer, who murdered Khashoggi in cold blood and dismembered his body. You have Putin in Russia who has been involved in political assassinations of his enemies. You got Xi in China who has put a million Muslims into concentration camps. You cannot go around saying « you’re a bad guy, we’re going to assassinate you ». (…) If that happens, you’re opening the door to international anarchy that every government in the world will then be subjected to attacks and assassination. (Il y a de très mauvais leaders partout dans le monde. Kim Jong-Un en Corée du Nord est probablement responsable de la mort de centaines de milliers de ses concitoyens et menace toute l’Asie avec des armes nucléaires. Vous avez Mohammed Bin Salman en Arabie Saoudite qui est un terrible meurtrier, qui a assassiné Khashoggi de sang-froid et démembré son corps. Vous avez Poutine en Russie qui est impliqué dans les assassinats politiques de ses ennemis. Vous avez Xi en Chine qui a placé des millions de musulmans dans des camps de concentration. Vous ne pouvez pas aller partout en disant « vous êtes une mauvaise personne, nous allons vous assassiner ». (…) Si cela se produisait, vous ouvririez la porte à l’anarchie internationale, où chaque gouvernement dans le monde serait sujet aux attaques et aux assassinats »
Pete Buttigieg s’est montré plus prudent, affirmant qu’il était difficile de répondre à la question de savoir s’il aurait autorisé ou non la frappe contre Soleimani sans avoir eu accès à l’ensemble des informations classifiées délivrées par les agences de renseignement au président Trump. Il a toutefois noté que, jusqu’à présent, rien ne permettait d’affirmer que la décision de Donald Trump ait renforcé la sécurité des Etats-Unis. Et il a surtout reproché au président de ne pas lire les rapports qui lui sont adressés par ses conseillers.
This is a situation that requires that you actually evaluate the entire intelligence picture. This president has insulted the intelligence community, but they put their lives on the line to gather the information that will help a decision maker evaluate whether or not something like that is justified. And I don’t think he even reads it. (C’est une situation qui nécessite d’évaluer l’ensemble des informations fournies par les services de renseignement. Ce président a insulté la communauté du renseignement, alors qu’ils mettent leur vie en danger pour rassembler les informations qui doivent aider celui qui va prendre les décisions à évaluer si une frappe comme celle-ci est justifiée ou non. Et je pense qu’il ne lit même pas ces informations)
- En dépit de son absence sur le plateau, Michael Bloomberg alimente la conversation
Michael Bloomberg n’a encore participé à aucun débat démocrate. Il n’était à nouveau pas présent sur le plateau dans le New Hampshire. La raison est simple: Bloomberg a décidé d’auto-financer entièrement sa campagne électorale à l’aide de sa propre immense fortune personnelle. Il n’accepte donc aucun don de la part des citoyens. Or, le Parti Démocrate a fait du nombre de dons reçus de la part des citoyens l’un des critères de qualification à remplir pour pouvoir participer aux débats. (Les choses pourraient toutefois changer pour le prochain débat).
Bien qu’absent physiquement du plateau, Michael Bloomberg a fait parler de lui au cours du débat. Les modérateurs ont demandé aux candidats présents de réagir à sa candidature, alors qu’il est en train de grimper considérablement dans certains sondages.
Elizabeth Warren et Bernie Sanders ont profité de l’occasion pour dénoncer une nouvelle fois ce qu’ils qualifient d’ « achat de l’élection » par Michael Bloomberg. « Notre démocratie est en jeu », a déclaré Warren. « Si nous devons nous en remettre à des milliardaires, alors nous aurons une Amérique qui continuera à fonctionner de mieux en mieux pour les milliardaires et pas pour les autres ».
Bernie Sanders a souligné que sa campagne était financée par les dons de plus d’un million et demi de citoyens, dont la contribution moyenne est de $18,50. Il a ensuite critiqué Pete Buttigieg parce que ce dernier a reçu des contributions de la part de 40 milliardaires. « Nous ne changerons pas l’Amérique en élisant des candidats qui se rendent au domicile des gens riches pour les supplier de leur donner de l’argent ». Comme il l’avait déjà fait auparavant, Buttigieg a répliqué qu’il était le seul candidat présent sur le plateau à ne pas être millionnaire ou milliardaire et qu’il acceptait donc tous les dons dont il avait besoin pour financer sa campagne, qu’ils proviennent de citoyens riches ou moins riches.
- Tom Steyer mécontent que le débat ne soit pas davantage axé sur l’économie
À plusieurs reprises, Tom Steyer a répété que les Démocrates devraient se concentrer sur les questions économiques pour battre Donald Trump. Il a même repris à son compte le fameux slogan de Bill Clinton, « It’s the economy, stupid ».
Alors que les candidats débattaient une nouvelle fois de leurs différents plans pour réformer le système de santé américain, Steyer a affirmé qu’on avait déjà entendu cette conversation à chaque débat et qu’il vaudrait mieux parler de l’économie.
Plus tard dans la soirée, alors que les candidats réaffirmaient tous leur soutien au droit à l’avortement, Steyer a suggéré qu’il était idiot de débattre de ce point puisque tout le monde était d’accord et a une nouvelle fois affirmé qu’il vaudrait mieux parler de l’économie.
- La phrase de la soirée
Donald Trump is not the cause of all our problems and we are making a mistake when we act like he is. (Donald Trump n’est pas la cause de tous nos problèmes et nous commettons une erreur en agissant comme si c’était le cas)
Andrew Yang
VAINQUEURS ET PERDANTS
(Pour chaque débat, nous vous donnerons notre avis sur les gagnants et les perdants de la soirée. Attention, même si nous tentons d’analyser les choses de la manière la plus objective possible – il ne s’agit pas de déclarer gagnant le candidat dont nous partageons le plus les positions -, il s’agit évidemment d’un choix quelque peu subjectif. Il n’est pas interdit d’avoir un avis divergent)
- Les gagnants
Amy Klobuchar. Lors des premiers débats, Amy Klobuchar paraissait souvent transparente. Ce n’est plus le cas. Elle fut ici l’auteure d’une très bonne performance. Alors que Joe Biden a déçu en Iowa, la sénatrice du Minnesota s’est présentée assez efficacement comme l’autre alternative centriste et pragmatique face à Bernie Sanders et Elizabeth Warren. Il y a évidemment aussi Pete Buttigieg, dont elle a donc fortement critiqué le manque d’expérience. Lors de son closing statement, Klobuchar s’est adressée aux Américains pour leur dire que:
I do not have the biggest name up on this stage. I don’t have the biggest bank account. I’m not a political newcomer with no record (…) If you are tired of the extremes in our politics and the noise and the nonsense, you have a home with me. (Je ne suis pas la plus célèbre sur ce plateau. Je ne suis pas la plus riche. Je ne suis pas une nouvelle venue sans expérience en politique (…) Si vous en avez assez des extrêmes dans notre politique et du bruit et des absurdités, je suis votre candidate)
La campagne d’Amy Klobuchar a annoncé avoir reçu 2 millions de dollars de dons au cours des 14 heures ayant suivi le débat.
Bernie Sanders. Bernie Sanders s’est montré égal à lui-même. Il fait partie des vainqueurs du débat dans la mesure où, alors qu’il semble bien placé pour remporter l’investiture du parti, ses adversaires n’ont toujours pas jugé utile de l’attaquer davantage. Aucun candidat n’a par exemple avancé l’argument selon lequel il serait peut-être difficile pour un candidat se décrivant comme socialiste de remporter l’élection générale face à Donald Trump. Les adversaires de Sanders semblent clairement craindre de se mettre ses nombreux supporters à dos en l’attaquant trop violemment. Ce qui permet au sénateur du Vermont de répéter tranquillement ses arguments à chaque débat, sans jamais être véritablement mis en difficulté.
Pete Buttigieg. Le vainqueur du caucus de l’Iowa a été davantage attaqué par ses adversaires que Bernie Sanders. Joe Biden et Amy Klobuchar lui ont reproché son manque d’expérience et Bernie Sanders lui a reproché d’être soutenu par de nombreux milliardaires. Mais Pete Buttigieg a répondu assez efficacement à ces attaques. Son manque d’expérience? Il avoue qu’il est moins expérimenté que ses adversaires, mais affirme que l’Amérique a besoin de renouveau politique. Le soutien des milliardaires? Il rétorque qu’il est le seul candidat démocrate à ne pas être au minimum millionnaire et qu’il accepte donc volontiers les dons dont il a besoin pour financer sa campagne, qu’ils proviennent de milliardaires ou de citoyens plus modestes.
- Les perdants
Joe Biden. Après son mauvais résultat en Iowa, Joe Biden avait besoin de redonner envie aux électeurs de le soutenir. Il a pourtant démarré la soirée en affirmant qu’il prendrait probablement une nouvelle claque lors de la primaire du New Hampshire. C’était certes très sincère, mais ce n’était peut-être pas la meilleure manière de remotiver ses supporters… Ensuite, Biden a passé une bonne partie de la soirée à hurler à chaque fois qu’il prenait la parole, comme s’il voulait vaincre Bernie Sanders sur ce terrain. Un combat perdu d’avance et un choix très désagréable pour les téléspectateurs. Enfin, Biden a beaucoup défendu ce que Pete Buttigieg décrit comme « la politique du passé ». Défendre son bilan et mettre en avant son expérience n’est évidemment pas une mauvaise chose en soi, mais on a parfois l’impression que Joe Biden parle plus souvent du passé que du futur. Peut-on gagner une élection de cette manière?
Elizabeth Warren. Comme Biden, la sénatrice du Massachusetts avait sans doute besoin d’un bon débat pour rebondir après son mauvais score en Iowa. Elle s’est pourtant montrée très discrète sur le plateau.
Une réflexion sur “COMPTE-RENDU DU HUITIÈME DÉBAT DÉMOCRATE”