Six candidats démocrates se sont affrontés lors d’un nouveau débat à Las Vegas ce mercredi 19 février. Compte-rendu.
INTRODUCTION
Nous ne sommes pas prêts d’oublier ce débat, qui ressemblait davantage à un match de boxe qu’à un débat politique. Les attaques entre candidats ont fusé et furent bien plus nombreuses que les discussions substantives. Le thème de la politique étrangère n’a par exemple pas du tout été abordé. Bref, ce n’est sans doute pas ce que l’on devrait attendre d’un débat politique. Mais force est de reconnaître que ce fut divertissant.
Notons que ce débat était le tout premier débat auquel participait Michael Bloomberg. Le Parti Démocrate avait supprimé l’un des critères de qualification mis en place pour se qualifier aux débats précédents, à savoir avoir obtenu des contributions financières de la part d’un certain nombre de citoyens. Tant que ce critère de qualification était en place, Bloomberg n’avait aucune chance de se qualifier pour les débats puisqu’il a décidé d’autofinancer sa campagne et de n’accepter aucun don. Les adversaires de Bloomberg commençaient à se plaindre du fait que celui-ci ne doive pas se soumettre à l’épreuve des débats, d’où la décision du parti.
Les candidats ayant obtenu au moins un délégué lors du caucus de l’Iowa ou de la primaire du New Hampshire étaient automatiquement qualifiés pour le débat. Pour les autres, il fallait être crédité d’au moins 10% des intentions de vote dans minimum quatre sondages différents ou d’au moins 12% dans minimum deux sondages réalisés au Nevada ou en Caroline du Sud. Michael Bloomberg avait rempli ces critères. En revanche, Tom Steyer avait cette fois-ci échoué à se qualifier.
Michael Bloomberg n’avait plus participé à un débat depuis 2009, lors de sa dernière campagne pour le poste de maire de New York. Sa présence a semble-t-il attiré les téléspectateurs. Plus de 20 millions d’Américains ont regardé le débat, soit l’audience la plus importante jamais enregistrée pour un débat démocrate !
LE DÉBAT
Participants: Joe Biden, Bernie Sanders, Pete Buttigieg, Elizabeth Warren, Amy Klobuchar, Michael Bloomberg
Organisateurs: Le débat était co-organisé par NBC News, MSNBC et Telemundo
Modérateurs: Lester Holt, Chuck Todd, Hallie Jackson, Vanessa Hauc et Jon Ralston
Durée du débat: 2h
Compte-rendu:
(Attention, ce compte-rendu n’est pas un résumé exhaustif du débat. Revenir sur tout ce qui a été dit serait bien trop long. Nous avons seulement sélectionné les moments les plus marquants de la soirée)
Comme vous allez le constater, ce compte-rendu est essentiellement constitué d’affrontements violents entre candidats. Parce que c’est véritablement ce qui a occupé l’essentiel de la soirée. Sortez le pop-corn ! 🍿🍿🍿
- D’entrée de jeu, Michael Bloomberg affirme qu’il pense que Bernie Sanders n’aurait aucune chance de l’emporter face à Donald Trump au mois de novembre
Pour sa toute première intervention, Michael Bloomberg a déclaré qu’il pensait que Bernie Sanders n’aurait aucune chance de battre Donald Trump au mois de novembre s’il était désigné candidat du Parti Démocrate à l’élection présidentielle. « Je crois qu’il n’y a aucune chance que le sénateur batte le président Trump », a-t-il déclaré. Ce n’était rien comparé à ce qui suivrait plus tard dans la soirée….
- Elizabeth Warren vs Michael Bloomberg, round 1
Les adversaires de Michael Bloomberg l’ont presque tous attaqué dès le début de la soirée, à commencer par Elizabeth Warren. Celle-ci a accusé l’ex-maire de New York d’avoir traité des femmes de « grosses » et de « lesbiennes à la face de cheval » et a ajouté qu’il n’était qu’un « milliardaire arrogant » comme Donald Trump.
I’d like to talk about who we’re running against, a billionaire who calls women « fat broads » and « horse-faced lesbians ». And, no, I’m not talking about Donald Trump. I’m talking about Mayor Bloomberg. (…) Democrats take a huge risk if we just substitute one arrogant billionaire for another. (J’aimerais parler de ce contre quoi nous faisons campagne, un milliardaire qui qualifie les femmes de « grosses » et de « lesbiennes à la face de cheval ». Et, non, je ne parle pas de Donald Trump, je parle du maire Bloomberg. (…) Les Démocrates prendront un gros risque si nous remplaçons un milliardaire arrogant par un autre)
PS: Les insultes auxquelles Elizabeth Warren a fait référence sont issues d’une brochure offerte à Michael Bloomberg par ses employés à l’occasion de son 48ème anniversaire, en 1990. Cette brochure est une compilation de citations que Bloomberg aurait faites devant ses employés au fil des ans. Le Washington Post a publié le contenu de cette brochure cette semaine. (Pour en savoir plus, voir notre dernier Weekly News Flash)
- Joe Biden vs Michael Bloomberg
Joe Biden a quant à lui attaqué Michael Bloomberg sur un sujet plus politique, à savoir sa défense du stop-and-frisk lorsqu’il était maire de New York. (Pour en savoir plus à ce sujet, nous vous renvoyons également à notre dernier Weekly News Flash)
Michael Bloomberg a affirmé, comme il le fait depuis le début de sa campagne, qu’il regrettait d’avoir défendu le stop-and-frisk.
I’ve apologized, I’ve asked for forgiveness (…) And if we took off everybody that was wrong on criminal justice at some time in their careers, there would be nobody else up here. (Je me suis excusé, j’ai demandé pardon (…) Et si nous retirions tous ceux qui se sont trompés sur la justice criminelle au cours de leurs carrières, il ne resterait plus personne ici)
Les excuses de Bloomberg n’auront cependant certainement pas convaincu tout le monde. Il a même semblé vouloir les nuancer quelque peu, soulignant que la criminalité avait baissé à New York durant son mayorat, mais que le stop-and-frisk avait fini par prendre des proportions trop importantes et « hors de contrôle ». Joe Biden a affirmé que, peu importe ses excuses, l’important était que la politique du stop-and-frisk faisait partie de son bilan en tant que maire.
Plus tard dans la soirée, Biden a également reproché à Bloomberg d’avoir critiqué l’Obamacare.
- Pete Buttigieg vs Michael Bloomberg et Bernie Sanders
Pete Buttigieg a renvoyé dos à dos Michael Bloomberg et Bernie Sanders, affirmant que les Démocrates ne devraient en choisir aucun des deux pour les représenter à l’élection présidentielle. « Choisissons quelqu’un qui est un véritable Démocrate », a-t-il déclaré. Il est vrai que Michael Bloomberg fut membre du Parti Républicain puis Indépendant avant de rejoindre récemment le Parti Démocrate. Bernie Sanders siège quant à lui comme Indépendant au Sénat et n’a jamais officiellement rejoint le Parti Démocrate.
Pete Buttigieg a aussi décrit Bernie Sanders comme « un socialiste qui pense que le capitalisme est la source de tout ce qui va mal ». Réplique de Sanders:
What we are saying, Pete, is maybe it’s a time for the working class of this country to have a little bit of power in Washington, rather than your billionaire campaign contributors. (Ce que nous disons, Pete, est qu’il est peut-être temps que la classe ouvrière de ce pays ait un peu plus de pouvoir à Washington, plutôt que les milliardaires qui financent ta campagne)
Bernie Sanders avait déjà accusé Pete Buttigieg d’avoir le soutien de plusieurs dizaines de milliardaires lors des débats précédents. Buttigieg s’est une nouvelle fois défendu en disant que ces milliardaires ne représentaient qu’un petit nombre de ses donateurs et qu’il avait aussi reçu des dons de la part de centaines de milliers de citoyens plus modestes. « Tu n’es pas le seul à te préoccuper de la classe ouvrière », a-t-il dit à Sanders.
Buttigieg a aussi souligné qu’un syndicat très puissant au Nevada, la Culinary Workers Union, avait appelé ses membres à ne pas voter en faveur de Sanders. Ce syndicat, qui représente bon nombre des travailleurs qui travaillent dans les restaurants, hôtels et autres casinos du Strip de Las Vegas, a effectivement conseillé à ses membres de ne pas voter en faveur de Bernie Sanders en raison de sa défense du Medicare for All. Le plan Medicare for All de Sanders prévoit de mettre en place un système d’assurance santé unique géré par l’état et qui supprimerait donc toutes les assurances santé fournies actuellement par certains employeurs à leurs employés. Or, la Culinary Workers Union a négocié pendant des années pour obtenir des assurances santé très généreuses pour ses membres. Elle a donc mis ceux-ci en garde: « Votez pour Sanders et vous perdrez les avantages actuels dont vous êtes satisfaits ».
- Bernie Sanders et la transparence autour de son état de santé
Pour rappel, Bernie Sanders a été victime d’une attaque cardiaque au mois d’octobre dernier. Il est resté plusieurs jours à l’hôpital et on lui a posé des stents. Peu après, il avait promis de publier tous ses bilans de santé par souci de transparence. Il ne l’a pas fait, rendant seulement publique une lettre signée par son médecin traitant et deux cardiologues, qui affirment qu’il est apte à exercer la présidence. Lors d’une interview sur CNN quelques jours avant le débat, un journaliste lui a demandé s’il avait l’intention de tenir sa promesse initiale de publier l’ensemble de ses bilans de santé. Sanders a répondu qu’il ne publierait rien de plus que ce qu’il avait déjà publié.
Lors du débat, l’un des modérateurs a demandé à Sanders pourquoi il avait changé d’avis et n’avait pas tenu sa promesse de transparence. La première chose que Sanders a mentionné dans sa réponse est le fait que Michael Bloomberg ait également des stents et qu’il s’agit d’une procédure très courante. Il a ensuite affirmé que des cardiologues avaient certifié qu’il était apte à exercer la présidence et a invité ceux qui en doutent à le suivre durant sa campagne, lors de laquelle il participe régulièrement à plusieurs meetings par jour. « Nous verrons comment vous tenez le rythme par rapport à moi ».
PS: Il convient ici de mentionner que, quelques heures avant le débat, la porte-parole de la campagne de Bernie Sanders avait été très critiquée pour avoir déclaré lors d’une interview sur CNN que Michael Bloomberg avait été victime de plusieurs attaques cardiaques par le passé. Sauf que c’est faux. Bloomberg n’a jamais eu d’attaque cardiaque. On lui a en revanche bien posé deux stents en 2000. Le porte-parole de Michael Bloomberg a accusé la campagne de Bernie Sanders de propager des mensonges au sujet de l’ancien maire de New York et a déclaré que « Bernie Sanders est le Trump de la gauche. Je n’arrive franchement pas à voir la différence entre leurs campagnes ». Lorsque Bernie Sanders a déclaré lors du débat que Bloomberg avait également des stents, on aurait donc pu s’attendre à ce que Bloomberg réplique et évoque le mensonge de sa porte-parole, mais il s’est abstenu.
- La déclaration d’impôt de Michael Bloomberg
Les modérateurs du débat ont demandé à Michael Bloomberg s’il avait l’intention de rendre publique sa dernière déclaration d’impôt, ce qu’il n’a pas fait pour l’instant, contrairement à ses adversaires. On se souvient que Donald Trump avait été le premier candidat à la présidence à refuser de publier ses déclarations de revenus en 2016. Bloomberg a assuré qu’il publierait sa déclaration d’impôt, mais que cela prendrait encore un peu de temps parce qu’elle était longue de plusieurs milliers de pages. « Je gagne beaucoup d’argent « , a-t-il souligné.
- Elizabeth Warren vs Michael Bloomberg, round 2
Michael Bloomberg a été interrogé au sujet des plaintes déposées au fil des ans par plusieurs employées de sa compagnie pour discrimination. Bloomberg a assuré qu’il n’avait aucune tolérance pour les comportements sexistes dénoncés depuis quelques années par le mouvement #MeToo.
I have no tolerance for the kind of behavior that the #MeToo movement has exposed. And anybody that does anything wrong in our company, we investigate it, and if it’s appropriate, they’re gone that day. (Je n’ai aucune tolérance pour le genre de comportements que le mouvement #MeToo a mis en évidence. Et lorsque quelqu’un fait quelque chose de mal au sein de notre entreprise, nous faisons une enquête, et si c’est approprié, nous licencions immédiatement cette personne)
Bloomberg a ensuite ajouté que sa fondation était dirigée par une femme et que de nombreuses femmes occupaient des postes importants au sein de sa compagnie et recevaient le même salaire que les hommes.
Toutes ces explications n’ont pas convaincu Elizabeth Warren.
I hope you heard what his defense was. « I’ve been nice to some women ». That just doesn’t cut it. (J’espère que vous avez entendu sa manière de se défendre. « J’ai été gentil avec certaines femmes ». Ce n’est pas suffisant)
Warren a ensuite indiqué que de nombreuses femmes travaillant pour Bloomberg avaient signé des clauses de confidentialité leur interdisant de s’exprimer. Elle a demandé à Bloomberg s’il était prêt à libérer ces femmes de ces clauses de confidentialité. Le dialogue suivant s’en est suivi:
BLOOMBERG: We have a very few nondisclosure agreements. (Nous avons très peu de clauses de confidentialité)
WARREN: How many is that? (Cela signifie combien?)
BLOOMBERG: Let me finish. (Laissez-moi finir)
WARREN: How many is that? (Cela signifie combien?)
BLOOMBERG: None of them accuse me of doing anything, other than maybe they didn’t like a joke I told. (…) There’s agreements between two parties that wanted to keep it quiet and that’s up to them. They signed those agreements and we’ll live with it. (Aucune de ces femmes ne m’a accusé d’avoir fait quoi que ce soit, à part peut-être ne pas avoir apprécié l’une de mes blagues. (…) Ce sont des accords entre deux parties qui voulaient rester discrètes et c’est leur choix. Elles ont signé ces clauses de confidentialité et nous vivrons avec)
BIDEN: Come on.
WARREN: So, wait, when you say it is up to – I just want to be clear. Some is how many? And when you say they signed them and they wanted them, if they wish now to speak out and tell their side of the story about what it is they allege, that’s now OK with you? You’re releasing them on television tonight? Is that right? (Donc, attendez, quand vous dites que – je veux juste être claire. Combien de clauses de confidentialité y a-t-il? Et lorsque vous dites qu’elles ont signé et qu’elles le voulaient, cela signifie que si elles voulaient parler aujourd’hui et donner leur version de l’histoire, vous seriez d’accord? Vous leur dites ce soir à la télévision qu’elles sont libérées de ces clauses de confidentialité? C’est bien cela?)
BLOOMBERG: Senator, the company and somebody else, in this case – a man or a woman or it could be more than that – they decided when they made an agreement they wanted to keep it quiet for everybody’s interests. (Sénatrice, l’entreprise et une autre personne, dans ce cas – un homme ou une femme ou peut-être plus que cela – ont pris leur décision lorsqu’ils ont passé un accord selon lequel ils voulaient rester discrets dans l’intérêt de tous)
BIDEN: Come on.
BLOOMBERG: They signed the agreements and that’s what we’re going to live with. (Elles ont signé ces accords et nous devrons vivre avec cela)
BIDEN: Look, let’s get something straight here. It’s easy. All the mayor has to do is say « You are released from the nondisclosure agreement », period. (…) You think the women, in fact, were ready to say « I don’t want anybody to know about what you did to me »? That’s not how it works. The way it works is they say « look, this is what you did to me » and the mayor comes along and his attorneys said « I will give you this amount of money if you promise you will never say anything ». That’s how it works. (Ecoutez, mettons les choses au clair. C’est simple. La seule chose que le maire a à faire est de dire « Vous êtes libérées de la clause de confidentialité », point final. (…) Vous croyez vraiment que ces femmes étaient d’accord pour dire qu’elles ne voulaient que personne ne sache ce qu’on leur avait fait? Ce n’est pas comme cela que cela fonctionne. La manière dont cela fonctionne est que les femmes disent ce qu’on leur a fait et le maire et ses avocats leur disent qu’ils vont leur donner de l’argent si elles promettent de ne jamais rien dire. C’est comme cela que cela fonctionne)
- Amy Klobuchar et le nom du président du Mexique
Lors d’une récente interview sur Telemundo, Amy Klobuchar avait été incapable de répondre à une question très simple, à savoir « Comment s’appelle le président du Mexique? ». Elle devait s’attendre à ce qu’on l’interroge à ce sujet lors du débat. Sa réponse fut pourtant loin d’être convaincante. Klobuchar a affirmé qu’elle aurait dû être capable de répondre à cette question mais qu’un « moment d’étourdissement » n’était pas représentatif de l’attention qu’elle porte au Mexique. Elle a ajouté que la campagne présidentielle ne devrait pas se résumer à un jeu du type « Questions pour un champion ». « Nous pourrions tous venir avec des faits. Combien de membres compte la Knesset israélienne? 120. Qui est le président du Honduras? Hernandez », a-t-elle dit en jetant un œil à ses notes.
Pete Buttigieg est intervenu pour critiquer Klobuchar.
BUTTIGIEG: You’re staking your candidacy on your Washington experience. You’re on the committee that oversees border security. You’re on the committee that does trade (…) and were not able to speak to literally the first thing about the politics of the country to our south. (Tu bases ta candidature sur ton expérience à Washington. Tu es membre d’un comité qui supervise la sécurité à la frontière. Tu es membre du comité qui s’occupe du commerce (…) et tu n’as pas été capable de parler de la première chose qui concerne la politique du pays situé à notre frontière sud)
KLOBUCHAR: Are you trying to say that I’m dumb? Or are you mocking me here, Pete? (Est-ce que tu essayes de dire que je suis idiote? Ou est-ce que tu te moques de moi, Pete?)
BUTTIGIEG: I’m saying you shouldn’t trivialize that knowledge. (Je dis que tu ne devrais pas dévaloriser ce type de connaissances)
KLOBUCHAR: I said I made an error. People sometimes forget names. (J’ai dit que j’avais commis une erreur. Les gens oublient parfois des noms)
Elizabeth Warren a ensuite tenu à prendre la défense d’Amy Klobuchar. Elle a affirmé qu’il pouvait arriver à tout le monde d’oublier un nom et qu’il était injuste d’attaquer Klobuchar sur ce point.
Missing a name all by itself does not indicate that you do not understand what’s going on. (Oublier un nom n’indique pas que vous ne comprenez pas ce qu’il se passe)
- Michael Bloomberg vs Bernie Sanders
Sans doute l’affrontement le plus mémorable de la soirée.
Tout a commencé lorsque Chuck Todd, l’un des modérateurs du débat, a interrogé Bernie Sanders au sujet d’un tweet qu’il a publié il y a plusieurs mois et qui affirmait: « Les milliardaires ne devraient pas exister ». Chuck Todd a demandé à Bernie Sanders d’expliquer ce qu’il avait voulu dire en publiant ce message.
I’ll tell you what I mean. We have a grotesque and immoral distribution of wealth and income. Mike Bloomberg owns more wealth than the bottom 125 million Americans. That’s wrong. That’s immoral. That should not be the case when we got a half a million people sleeping out on the street, where we have kids who cannot afford to go to college, when we have 45 million people dealing with student debt. (Je vais vous dire ce que j’ai voulu dire. Nous avons une distribution de la richesse et des revenus grotesque et immorale. Mike Bloomberg est plus riche que les 125 millions d’Américains les moins riches. Ce n’est pas acceptable. C’est immoral. Cela ne devrait pas être le cas quand nous avons un demi-million de personnes qui dorment dans la rue, quand nous avons des enfants qui n’ont pas les moyens d’aller à l’université, quand nous avons 45 millions de personnes confrontées à la dette étudiante)
Après que Bernie Sanders ait délivré sa réponse, Chuck Todd s’est tourné vers le milliardaire Michael Bloomberg et lui a demandé: « Mayor Bloomberg, should you exist? » (Maire Bloomberg, devriez-vous exister?) 😅
Bloomberg a répondu qu’il ne pouvait pas parler au nom de tous les milliardaires, mais qu’il savait qu’il avait beaucoup de chance et qu’il utilisait une partie de sa fortune pour financer de nobles causes et qu’il faisait aussi des dons importants au Parti Démocrate. Chuck Todd a insisté et lui a demandé s’il pensait qu’il était justifié qu’il gagne autant d’argent. Réponse de Bloomberg:
Yes. I worked very hard for it. (Oui. J’ai travaillé très dur pour cela)
Les modérateurs du débat ont ensuite évoqué l’une des propositions de Bernie Sanders, qui consisterait à obliger les grandes entreprises à laisser leurs employés détenir 20% de leur capital. Bernie Sanders a défendu cette proposition.
What we need to do to deal with this grotesque level of income and wealth inequality is make sure that those people who are working – you know what, Mr. Bloomberg, it wasn’t you who made all that money. Maybe your workers played some role in that, as well. And it is important that those workers are able to share the benefits, also. When we have so many people who go to work every day and they feel not good about their jobs, they feel like cogs in a machine. I want workers to be able to sit on corporate boards, as well, so they can have some say over what happens to their lives. (Pour palier ce niveau grotesque d’inégalité de revenus et de richesse, nous devons nous assurer que ces gens qui travaillent – vous savez, Mr. Bloomberg, ce n’est pas vous qui avez gagné tout cet argent. Peut-être que vos travailleurs ont aussi joué un rôle là-dedans. Et il est important que ces travailleurs en partagent aussi les bénéfices. Lorsque nous avons autant de gens qui vont au travail chaque jour et ne se sentent pas bien au travail, ils se sentent comme des rouages dans une machine. Je veux que les travailleurs puissent aussi s’asseoir au sein des conseils d’administration pour avoir leur mot à dire sur ce qui concerne leurs vies)
Les modérateurs ont demandé à Michael Bloomberg de réagir. Et là, Bloomberg a fait ce que personne n’avait encore jamais fait jusque-là: accuser Bernie Sanders de défendre des idées communistes.
JACKSON: Mayor Bloomberg, you own a large company. Would you support what Senator Sanders is proposing? (Maire Bloomberg, vous détenez une grande entreprise. Soutenez-vous les propositions du sénateur Sanders?)
BLOOMBERG: Absolutely not. I can’t think of a way that would make it easier for Donald Trump to get re-elected than listening to this conversation. It’s ridiculous. We’re not going to throw out capitalism. Other countries tried that. It was called communism and it just didn’t work. (Absolument pas. Je ne peux pas songer à quelque chose qui puisse davantage aider Donald Trump à être réélu que d’écouter cette conversation. C’est ridicule. Nous ne mettrons pas fin au capitalisme. D’autres pays ont essayé. Cela s’appelait le communisme et cela n’a pas fonctionné)
La tension est encore montée d’un cran. Quelques minutes plus tard (après une brève intervention d’Elizabeth Warren pour défendre sa proposition de création d’un impôt sur la fortune), le modérateur Lester Holt est revenu vers Bernie Sanders et lui a demandé de réagir à un récent sondage montrant que deux-tiers des électeurs américains déclarent être mal à l’aise à l’idée d’élire un socialiste à la Maison Blanche. Bernie Sanders a déclaré qu’il défendait le « socialisme démocratique » et pas le communisme. « C’est un coup bas », a-t-il ajouté en regardant vers Michael Bloomberg. Il a ensuite expliqué que le socialisme démocratique qu’il défend s’apparente à ce qui existe au Danemark, avant d’ajouter que l’Amérique est en réalité déjà une société socialiste mais uniquement pour les riches. Un nouvel échange très musclé avec Michael Bloomberg s’en est suivi.
SANDERS: We are living in many ways in a socialist society right now. The problem is, as Dr. Martin Luther King reminded us, we have socialism for the very rich, rugged individualism for the poor. (…) I believe in democratic socialism for working people, not billionaires, health care for all, educational opportunities for all. Creating a government that works for all, not just for Mr. Bloomberg. (Nous vivons d’une certaine manière dans une société socialiste en ce moment. Le problème, comme nous l’a rappelé le Dr. Martin Luther King, est que nous pratiquons le socialisme pour les très riches, et l’individualisme sauvage pour les pauvres. (…) Je crois au socialisme démocratique pour les travailleurs, pas pour les milliardaires, aux soins de santé pour tous, aux opportunités d’éducation pour tous. Créer un gouvernement qui travaille pour nous tous, pas uniquement pour Mr. Bloomberg)
BLOOMBERG: What a wonderful country we have. The best known socialist in the country happens to be a millionaire with three houses. What did I miss here? (Quel merveilleux pays nous avons. Le socialiste le plus connu du pays est un millionnaire qui possède trois maisons. Qu’est-ce que j’ai raté?)
[Fact-check: Bernie Sanders est effectivement millionnaire et n’attaque d’ailleurs plus que les milliardaires depuis qu’il l’est devenu, alors que, lors de sa campagne de 2016, il critiquait systématiquement « les millionnaires et les milliardaires ». Il est également vrai qu’il possède trois maisons – sa résidence principale dans le Vermont, une maison de vacances au bord d’un lac dans ce même état et une maison à Washington, D.C.]
SANDERS: Well, you’ll miss that I work in Washington, house one. (Et bien, vous avez raté que je travaille à Washington, maison numéro 1)
BLOOMBERG: That’s the first problem. (C’est le premier problème)
SANDERS: Live in Burlington, house two. (Et je vis à Burlington, maison numéro 2)
BLOOMBERG: That’s good. (Très bien)
SANDERS: And like thousands of other Vermonters, I do have a summer camp. Forgive me for that. Where is your home? Which tax haven do you have your home? (Et comme des milliers d’autres habitants du Vermont, je possède une maison de vacances. Pardon pour cela. Où est votre maison? Dans quel paradis fiscal se trouve-t-elle?)
BLOOMBERG: New York City, thank you very much, and I pay all my taxes. And I’m happy to do it because I get something for it. (New York City, merci bien, et je paye tous mes impôts. Et je suis heureux de le faire parce qu’ils servent à quelque chose)
Bloomberg a encore ajouté qu’il était d’accord pour dire que le taux d’imposition des plus riches devrait augmenter et qu’il avait lui-même augmenté les impôts locaux lorsqu’il était maire de New York. Il s’est toutefois dit opposé à la création d’un impôt sur la fortune, idée défendue par Sanders et Warren.
- Amy Klobuchar vs Pete Buttigieg
Après s’être déjà affrontés sur la question de la connaissance du nom du président du Mexique, Amy Kobuchar et Pete Buttigieg se sont une nouvelle fois disputé à la fin de la soirée. Amy Klobuchar n’a pu cacher ce qui semble être une véritable inimité envers Buttigieg lorsqu’il lui a reproché d’avoir voté au Sénat en faveur de la confirmation de certains juges nommés par Donald Trump.
I wish everyone was as perfect as you, Pete. (J’aimerais que tout le monde soit aussi parfait que toi, Pete)
- Hormis Bernie Sanders, aucun candidat n’affirme que la personne ayant remporté le plus grand nombre de délégués devrait automatiquement remporter l’investiture du parti lors de la Convention Nationale Démocrate
La dernière question posée par les modérateurs concernait un scénario qui semble plausible cette année, à savoir qu’aucun des candidats aux primaires démocrates ne remporte la majorité requise en termes de nombre de délégués pour remporter l’investiture du parti. Dans ce cas, que se passerait-il lors de la Convention Nationale Démocrate? Le candidat ayant remporté le plus grand nombre de délégués (sans pour autant obtenir la majorité) devrait-il remporter l’investiture du parti? Seul Bernie Sanders a répondu par l’affirmative à cette question. Tous les autres candidats ont affirmé qu’il faudrait suivre les règles en place (qui impliquent notamment des super-délégués et sont complexes – et que nous n’allons donc pas détailler ici parce que ce compte-rendu est déjà bien trop long).
VAINQUEURS ET PERDANTS
(Pour chaque débat, nous vous donnerons notre avis sur les gagnants et les perdants de la soirée. Attention, même si nous tentons d’analyser les choses de la manière la plus objective possible – il ne s’agit pas de déclarer gagnant le candidat dont nous partageons le plus les positions -, il s’agit évidemment d’un choix quelque peu subjectif. Il n’est pas interdit d’avoir un avis divergent)
Soyons clairs, l’avis que nous allons vous donner ici ne fait pas du tout l’unanimité. L’immense majorité des observateurs ont désigné Elizabeth Warren comme la grande gagnante de la soirée et Michael Bloomberg comme le grand perdant. Le président Trump a même qualifié la performance de « Mini Mike » de « pire performance de toute l’histoire des débats » sur Twitter. Nous avons au contraire placé Warren dans la colonne des perdants et Bloomberg dans la colonne des vainqueurs. Nous vous expliquons pourquoi, mais, transparence oblige, nous concédons que nous avons peut-être eu un peu plus de mal que d’habitude à faire preuve d’objectivité.
- Les gagnants
Michael Bloomberg. Tout d’abord, précisons que la performance de Michael Bloomberg fut loin d’être parfaite. Il fut la cible privilégiée de tous les autres candidats présents sur le plateau et la manière dont il s’est défendu n’aura certainement pas convaincu tous les électeurs démocrates. Nous pouvons donc comprendre pourquoi de nombreuses personnes ont estimé que Bloomberg était ressorti perdant de ce débat.
Cependant, l’ex-maire de New York a, à notre sens, réussi à mettre Bernie Sanders en difficulté lorsqu’il l’a attaqué sur sa défense du socialisme comme aucun de ses adversaires ne l’avait fait jusqu’à présent. La petite phrase de Bloomberg sur « le socialiste le plus célèbre du pays est un millionnaire qui possède trois maisons » fut le moment le plus commenté du débat sur Twitter. La question que lui a adressée Chuck Todd sur son droit à exister fut quant à elle le troisième moment le plus commenté de la soirée.

La performance de Bloomberg aura donc eu le mérite de lancer un véritable débat sur l’identité socialiste de Bernie Sanders. Un débat resté jusqu’ici à l’arrière-plan. Or, ce débat nous semble crucial pour le Parti Démocrate vu l’impact qu’une victoire de Sanders pourrait avoir sur son évolution idéologique dans les années à venir. Il était peut-être temps que quelqu’un mette enfin les pieds dans le plat. Michael Bloomberg l’a fait. Nous pensons que cela méritait d’être salué.
Chuck Todd. Parce qu’il a interrogé Bernie Sanders sur son tweet selon lequel « les milliardaires ne devraient pas exister » et provoqué ainsi l’échange le plus significatif de la soirée.
Pete Buttigieg. Pete Buttigieg a attaqué à la fois Bernie Sanders et Michael Bloomberg pour tenter de se présenter comme le candidat incarnant un juste milieu entre, d’une part, un ennemi du capitalisme, et, d’autre part, un milliardaire trop fortuné incarnant ses dérives. C’était plutôt intelligent. ll ne s’est pas non plus privé de reprocher à Amy Klobuchar de ne pas avoir été capable de citer le nom du président du Mexique. Alors que Klobuchar l’avait souvent critiqué pour son manque d’expérience lors des débats précédents, sous-entendant qu’elle avait une meilleure connaissance des dossiers, l’occasion était trop belle. Ces deux-là ne semblent pas prêts de partir en vacances ensemble. Dans leur duel du jour, Buttigieg s’est imposé, poussant Klobuchar dans ses retranchements, au point qu’elle ne parvienne plus à cacher son dédain pour l’ex-maire de South Bend.
Joe Biden. Joe Biden s’est montré relativement discret lors de ce débat, mais il a toutefois attaqué Michael Bloomberg à plusieurs reprises. Et, contrairement à celles d’autres candidats, ses attaques ne portaient pas sur le statut de milliardaire de l’ex-maire de New York, mais sur des questions politiques plus concrètes (sa défense du stop-and-frisk, ses critiques vis-à-vis de l’Obamacare…). Dans un débat où tout le monde a passé son temps à s’insulter, Joe Biden s’en est largement tenu à la politique, donnant l’image d’une personne sérieuse, raisonnable et « au-dessus de la mêlée ».
- Les perdants
Bernie Sanders. Grâce à Michael Bloomberg, Bernie Sanders a été véritablement bousculé lors d’un débat pour la première fois depuis le début de la campagne. Ses partisans estimeront sans aucun doute qu’il s’est très bien défendu. Les électeurs plus indécis pourraient en revanche se poser quelques questions. Combien de téléspectateurs ignoraient jusqu’ici que Bernie Sanders était millionnaire et possédait trois maisons? Combien savaient qu’il avait déclaré que « les milliardaires ne devraient pas exister »?
Amy Klobuchar. Une sénatrice et candidate à la présidence des Etats-Unis devrait connaître le nom du président du Mexique. Il n’y avait pas de bonne excuse et Klobuchar n’aurait pas dû chercher à en trouver une. Connaître le nom du président du Mexique n’est pas comparable au fait de connaître le nombre exact de sièges à la Knesset ou le nom du président de la Gambie. Carton rouge.
Elizabeth Warren. Elizabeth Warren s’était montrée très discrète lors du dernier débat. Elle avait ici clairement changé de tactique. La sénatrice du Massachusetts s’est montrée très offensive et s’est acharnée sur Michael Bloomberg. Elle a mis l’ancien maire de New York en difficulté lorsqu’elle lui a demandé pourquoi il n’était pas prêt à libérer ses anciennes employées de leurs clauses de confidentialité. Ce fut un bon moment pour elle. Mais de quelle crédibilité dispose Warren lorsque, juste après le débat, lors d’une interview sur CNN, elle déclare que Bloomberg devrait mettre son ego de côté, mettre un terme à sa campagne et « continuer à donner de l’argent pour aider les Démocrates à battre Donald Trump »? « Dis donc, le milliardaire arrogant qui persécute les femmes, tu devrais retirer ta candidature. Mais n’oublie pas de continuer à nous donner de l’argent, c’est vrai que ça peut aider ». Peut-on faire plus hypocrite?
UN TWEET POUR CONCLURE…
Ce tweet a été publié par John Delaney, l’un des ex-candidats aux primaires démocrates, juste après le débat.

Une réflexion sur “COMPTE-RENDU DU DÉBAT DÉMOCRATE DE LAS VEGAS”