Hillary Clinton aura finalement plusieurs adversaires lors des primaires démocrates. L’un d’eux se nomme Bernie Sanders. Il est sénateur du Vermont et se dit socialiste. Il entend mettre la lutte contre les inégalités économiques au cœur du débat. Portrait d’un candidat surprenant.
SA CARRIÈRE POLITIQUE EN UN COUP D’ŒIL
Maire de Burlington, Vermont (1981-1989)
Député du Vermont à la Chambre des Représentants (1991-2007)
Sénateur du Vermont (depuis 2007)
SON PARCOURS
Bernard Sanders, dit Bernie, est né le 8 septembre 1941 à New York. Son père était un juif polonais qui avait fui son pays pour les Etats-Unis à l’âge de 17 ans. Bernie passera son enfance à Brooklyn dans un petit appartement. Il n’était pas rare que ses parents manquent d’argent. Bernie a d’ailleurs coutume de dire qu’il n’a jamais oublié d’où il vient et ce que le manque d’argent peut signifier pour une famille.
Le jeune Bernie étudie les sciences politiques à l’Université de Chicago dans les années 60. La lutte pour les droits civiques bat alors son plein. Bernie s’y implique. Il mènera un sit-in étudiant de plusieurs semaines au sein de son université afin de protester contre la ségrégation pratiquée pour la location des logements étudiants. En 1963, il se rend à Washington DC pour participer à la fameuse March on Washington for Jobs and Freedom orchestrée par Martin Luther King et assiste au fameux discours I Have A Dream.
Après avoir obtenu son diplôme, Bernie part s’installer dans le Vermont qu’il ne quittera plus. Il y travaille d’abord comme charpentier et réalisateur de films documentaires. En 1981, il se lance en politique au niveau local. Il devient maire de Burlington, la plus grande ville de l’état. A l’époque, il crée la surprise et un journal local se demande comment un maire aussi radical a pu parvenir au pouvoir.
Il sera réélu à plusieurs reprises. En 1990, il quitte sa mairie et est élu à la Chambre des Représentants. Il se présente sous l’étiquette de candidat indépendant (n’appartenant ni au Parti Démocrate ni au Parti Républicain) et est le premier candidat indépendant à être élu au Congrès depuis quarante ans. Il sera l’unique représentant du Vermont à la Chambre des Représentants durant seize ans (le Vermont est un petit état et ne compte donc qu’un seul et unique député à la Chambre). Bernie se verra attribuer le surnom de the amendment king car il est le membre du Congrès qui propose le plus grand nombre d’amendements. En 2007, il quitte la Chambre des Représentants pour le Sénat. Il occupe toujours ce poste à l’heure actuelle.
Bernie se revendique socialiste, ce qui est très rare pour un homme politique aux Etats-Unis où ce terme est connoté négativement et souvent associé au communisme. Il est un fervent admirateur d’Eugene Debs, dont il a le portrait dans son bureau. Eugene Debs (1855-1926) était un leader syndical et fut cinq fois candidat à la présidence des Etats-Unis pour le Socialist Party of America (oui, ça existe!). Le mot d’ordre de Bernie est de lutter contre les inégalités croissantes de la société américaine et l’accaparement des ressources par une petite classe de milliardaires.
Bernie réside toujours dans la ville de Burlington dont il a été le maire. Il est marié et a quatre enfants et sept petits-enfants.
L’ANNONCE DE SA CANDIDATURE
Bernie Sanders a annoncé sa candidature le 30 avril à Burlington. Il a prononcé son discours en plein air, dans un parc situé en bordure du Lac Champlain. Une foule importante s’était rassemblée pour assister à l’événement. Il faut dire qu’outre son discours, Bernie avait organisé la distribution gratuite de glaces Ben & Jerry’s ainsi qu’un concert du groupe de musique cajun Mango Jam.
LE DISCOURS
Bernie Sanders commence son discours par quelques remerciements puis il annonce directement :
I am proud to announce my candidacy for president of the United States of America. (Je suis fier d’annoncer ma candidature au poste de président des Etats-Unis d’Amérique)
Il dit sa volonté d’entamer une « révolution politique » pour transformer le pays.
Enough is enough. This great nation and its government belong to all of the people, and not to a handful of billionaires. (Trop c’est trop. Cette grande nation et son gouvernement appartiennent à tout le monde, et pas à une poignée de milliardaires)
Bernie Sanders se lance ensuite dans une longue critique du système, axée sur trois points :
- Les inégalités économiques
Bernie Sanders critique vigoureusement les inégalités économiques existantes aux Etats-Unis. Selon lui, la richesse immense du pays ne profite qu’à un tout petit nombre d’individus. Ceux qu’il appelle « la classe des milliardaires ».
Today, we live in the wealthiest nation in the history of the world but that reality means very little for most of us because almost all of that wealth is owned and controlled by a tiny handful of individuals.(Aujourd’hui, nous vivons dans la nation la plus riche de l’histoire du monde mais cette réalité ne signifie pas grand-chose pour la majorité d’entre nous car presque toute cette richesse est possédée et contrôlée par une petite poignée d’individus)
Il rappelle également que le pourcentage le plus riche de la population américaine possède autant de richesses que 90% de l’ensemble de la population. Ou encore qu’une seule famille américaine est aussi riche que les 130 millions d’américains les plus pauvres. Il qualifie cette situation d’immorale.
- La corruption du système politique
Bernie Sanders considère que le système politique américain est corrompu. Les milliardaires qui détiennent déjà l’économie du pays essaient désormais également d’acheter les candidats aux élections afin de contrôler le gouvernement. Les Etats-Unis sont en train de se transformer en oligarchie.
- Le manque d’action face au changement climatique
Pour Bernie, laisser une planète habitable aux générations futures est notre plus grande responsabilité. Les scientifiques sont désormais unanimes pour dire que le changement climatique est réel et causé par l’activité humaine. Si on ne remplace pas rapidement les énergies fossiles par des énergies renouvelables, la température augmentera de 5 à 10° Fahrenheit d’ici la fin du siècle. Cela provoquera plus de catastrophes naturelles et donc plus de souffrance humaine.
We must not, we cannot, and we will not allow that to happen. (Nous ne devons pas, nous ne pouvons pas, et nous ne permettrons pas que cela arrive)
Après avoir dénoncé le système, Bernie Sanders en vient aux solutions qu’il entend proposer en cas d’élection. Quelles sont ses principales propositions?
– La création d’un programme fédéral de rénovation des infrastructures qui permettrait de créer 13 millions d’emplois correctement rémunérés. Cette idée n’est pas sans rappeler le fameux New Deal de Franklin D. Roosevelt.
– S’opposer à tout nouvel accord commercial qui favoriserait la délocalisation d’emplois dans des pays à la main-d’œuvre bon marché.
– Augmenter le salaire minimum à 15 $ de l’heure dans l’ensemble du pays. (Selon la loi fédérale américaine, le salaire minimum est actuellement de 7,25 $ de l’heure mais certaines villes comme Los Angeles l’ont d’ores et déjà augmenté à 15 $ de l’heure)
– Mettre fin à l’inégalité des salaires entre hommes et femmes.
– Augmenter les taxes sur les plus riches et les grandes entreprises.
– Réformer Wall Street. Mais il n’explique pas comment il compte s’y prendre concrètement.
– Adopter un amendement constitutionnel limitant le montant des donations possibles à une campagne électorale et à long terme, passer à un financement public des élections.
– Lutter sérieusement contre le changement climatique en passant des énergies fossiles aux énergies renouvelables et en instaurant une taxe carbone.
– Augmenter le budget de la Sécurité Sociale et garantir l’accès aux soins de santé pour tous.
– Garantir un accès gratuit à l’éducation.
– Une politique étrangère plus responsable, sous-entendu moins interventionniste. Il rappelle notamment qu’il avait voté contre le déclenchement de la guerre en Irak. Il se dit opposé à des interventions américaines unilatérales au Moyen-Orient. Les Etats-Unis doivent lutter contre les organisations terroristes telles que l’Etat Islamique mais ils doivent le faire au sein d’une coalition internationale comprenant également des pays musulmans.
Notons enfin que Bernie Sanders s’engage à mener une campagne électorale axée sur les idées et le débat politique plutôt que sur les attaques personnelles envers les autres candidats.
This campaign is not about Bernie Sanders. It is not about Hillary Clinton. It is not about Jeb Bush or anyone else. This campaign is about the needs of the American people, and the ideas and proposals that effectively address those needs. […] Politics in a democratic society should not be treated like a baseball game, a game show or a soap opera. (Cette campagne n’est pas à propos de Bernie Sanders. Elle n’est pas à propos d’Hillary Clinton. Elle n’est pas à propos de Jeb Bush ou qui que ce soit d’autre. Cette campagne est à propos des besoins des américains, et des idées et propositions qui répondent efficacement à ces besoins. […] La politique dans une société démocratique ne devrait pas être traitée comme un match de baseball, un jeu télévisé ou un feuilleton télévisé)
LE TWEET
LE LOGO DE CAMPAGNE
Le logo de campagne Bernie 2016 évoque le drapeau américain puisqu’on y retrouve les couleurs bleues et rouges ainsi qu’une étoile à cinq branches pour le point de la lettre i.
LE SITE WEB OFFICIEL
Lorsque l’on se connecte au site web berniesanders.com, on est accueilli par une photo d’un Bernie Sanders souriant qui occupe le centre de la page. Sur le côté, un menu permet d’accéder aux rubriques habituelles : biographie, position sur les différents sujets, liens pour se porter volontaire ou faire un don.
Sa biographie est très complète. Il évoque son enfance, ses années à l’Université de Chicago et surtout sa carrière politique. Il rappelle notamment un certain nombre de votes importants qu’il a effectués lorsqu’il était député à la Chambre. Parmi ceux-ci :
– Vote contre la première Guerre du Golfe en 1991
– Vote contre le NAFTA (North American Free Trade Agreement, un accord de libre échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique) en 1993
– Vote contre le Patriot Act en 2001
– Vote contre la guerre en Irak en 2002
Il rappelle aussi qu’en 2010, il a fait un filibuster de 8h30 au Sénat pour s’opposer à un projet de réduction d’impôts pour les plus riches.
En comparaison avec la rubrique biographique, celle consacrée aux Issues n’est pas très fournie. On y retrouve les trois points centraux contre lesquels il entend lutter :
– Les inégalités économiques
– L’influence de l’argent sur la politique
– Le changement climatique et l’environnement
On y retrouve le même discours indigné sur ces trois points que dans son discours inaugural mais il ne fait que dresser un constat négatif. Il ne parle pas des mesures qu’il entend prendre en cas d’élection. Autrement dit, il n’y a aucun programme électoral concret sur son site. Il est curieux que les mesures qu’il a annoncées lors de son discours inaugural ne s’y retrouvent pas.
On peut aussi remarquer la mention Paid for by Bernie 2016 (not the billionaires) qui apparaît en bas de page. Cela reflète bien la volonté de Bernie Sanders de se présenter comme un candidat indépendant qui n’a pas reçu de donations importantes de grandes entreprises ou de lobbies.
Enfin, mention spéciale à la page 404 du site qui est particulièrement réussie. Une vidéo de Bernie Sanders y apparaît. Il signale que la bonne nouvelle est que nous sommes sur le bon site web (et que c’est un très bon site web) mais que la mauvaise nouvelle est que nous sommes sur une mauvaise page.
SES ATOUTS ET SES POINTS FAIBLES
Bernie Sanders a expliqué avoir hésité à se présenter à l’élection présidentielle de 2016 comme candidat indépendant (étiquette sous laquelle il a siégé de nombreuses années au Congrès) plutôt que sous l’étiquette du Parti Démocrate. Mais il a finalement choisi cette dernière option afin que ses idées soient davantage entendues et relayées par les médias.
Mais soyons réalistes. En tant que socialiste, Bernie Sanders n’a évidemment que très peu de chances de remporter la primaire démocrate et encore moins d’être élu président des Etats-Unis. Si on a l’habitude d’entendre les idées qu’il défend en Europe, elles sont considérées comme extrêmes aux Etats-Unis.
Outre ses idées « extrêmes », sa candidature peut également sembler absurde pour d’autres raisons. Il n’est pas très connu ni très charismatique. Et il est aussi très âgé. S’il était élu président en novembre 2016, il aurait 75 ans et deviendrait le plus vieux président jamais élu. Le record est pour l’instant détenu par Ronald Reagan.
Bernie s’est aussi récemment fait une mauvaise publicité puisqu’un vieil article qu’il avait rédigé en 1972 pour le journal satirique Vermont Freeman a refait surface. Il y décrit notamment une femme fantasmant à l’idée d’être violée par trois hommes en même temps. Son équipe de campagne a déclaré qu’il s’agissait d’une publication satirique qui avait pour but de dénoncer les préjugés liés au genre mais ne reflétait en aucun cas la vision que Bernie Sanders avait des femmes.
Si Bernie Sanders semble a priori avoir plus de points faibles que de points forts dans cette campagne, il serait dangereux de trop le sous-estimer. Il est en effet déjà arrivé que des candidats aux idées « extrêmes » créent la surprise lors de certaines primaires. On songe par exemple au libertarien Ron Paul qui avait réalisé des scores importants lors des primaires républicaines de 2012 dans certains états. S’il a très peu de chances de l’emporter, Bernie pourrait donc tout de même gêner l’ultra-favorite Hillary Clinton. D’autant plus que celle-ci possède un patrimoine considérable, a des liens avec Wall Street et doit faire face aux critiques sur les financements de la Clinton Foundation. Dans ce contexte, certains sympathisants démocrates partageant le constat selon lequel le système est perverti par les plus riches pourraient se détourner d’Hillary et accorder leur confiance à Bernie. Ne serait-ce qu’en guise de vote de protestation.
Bernie Sanders peut aussi mettre en avant son parcours politique exemplaire. A Burlington, son bilan en tant que maire est positif et il a acquis une réputation de député sérieux qui est toujours resté fidèle à ses idées. Ses adversaires pourront difficilement l’accuser de faire de la récupération politique.
Enfin, il s’est engagé à n’accepter que des petites donations de la part de particuliers pour financer sa campagne. Cela semble bien fonctionner jusqu’ici. Il aurait ainsi réussi à collecter 1,5 million de dollars en ligne dans les 24 heures suivant l’annonce de sa candidature. C’est mieux que Ted Cruz, Rand Paul ou Marco Rubio. Cette somme est parvenue de 35.000 donneurs différents qui ont donné en moyenne 43 dollars. Néanmoins, à long terme, Bernie Sanders risque bien de manquer de moyens.
CONCLUSION
Bernie Sanders axera avant tout sa campagne sur les inégalités économiques qui ont été son cheval de bataille tout au long de sa carrière politique. S’il a peu de chances de l’emporter, il aura le mérite de faire entendre des idées socialistes lors d’une campagne électorale américaine, ce qui n’est pas commun. Cela ne pourra que contribuer au débat d’idées au sein du Parti Démocrate.