LINCOLN CHAFEE, DES IDÉES NOUVELLES POUR L’AMÉRIQUE

Ancien sénateur républicain puis gouverneur indépendant du Rhode Island, Lincoln Chafee est désormais candidat à l’élection présidentielle en tant que démocrate. Voici son portrait.

SA CARRIÈRE POLITIQUE EN UN COUP D’ŒIL

Maire de Warwick (1993-1999)

Sénateur du Rhode Island (1999-2007)

Gouverneur du Rhode Island (2011-2015)

SON PARCOURS

Lincoln Davenport Chafee est né le 26 mars 1953 à Providence, la capitale du petit état du Rhode Island. Il est le fils de John Chafee, homme politique républicain qui fut gouverneur du Rhode Island de 1963 à 1969 puis sénateur de 1976 jusqu’à sa mort en 1999.

Lincoln Chafee étudie les lettres classiques (c’est-à-dire principalement la littérature et la philosophie de la Grèce et de la Rome antique) à la Brown University, prestigieuse université du Rhode Island qui fait partie de l’Ivy League – ce fameux groupe de huit universités de la côte Est réputées pour l’excellence de leur enseignement mais aussi pour leur élitisme. Après avoir obtenu son diplôme en 1975, Lincoln choisit de manière assez surprenante de quitter le Rhode Island pour le Montana. Il s’inscrit à la Montana State University’s Horseshoeing School. Il y apprend le métier de maréchal-ferrant qu’il exercera ensuite pendant plusieurs années dans le milieu des courses de trot attelé. Ce métier le mènera un peu partout aux Etats-Unis et au Canada.

À la fin des années 80, Lincoln Chafee rentre au Rhode Island et commence à s’impliquer dans la vie politique locale. Il siégera d’abord au City Council (l’équivalent de notre conseil municipal) de la ville de Warwick où il réside. En 1992, il est élu maire de cette même ville. En 1999, son père, qui occupe un siège de sénateur au Congrès, meurt dans l’exercice de ses fonctions. Le gouverneur du Rhode Island nomme alors Lincoln pour remplacer son père jusqu’à la fin de son mandat. Lincoln s’exécute et est ensuite élu à ce même poste de sénateur l’année suivante. En octobre 2002, il sera le seul sénateur républicain à voter contre le déclenchement de la guerre en Irak. Il n’est pas réélu en 2006 et fait alors une pause dans sa carrière politique. Il devient professeur à la Brown University où il donne des cours sur la politique étrangère américaine. C’est aussi durant cette période que Chafee va changer d’affiliation politique. Il était jusque-là membre du Parti Républicain mais il décide de le quitter. En 2008, il annonce même son soutien à Barack Obama pour l’élection présidentielle. En 2010, il fait son retour sur la scène politique en étant élu gouverneur du Rhode Island en tant qu’indépendant (c’est-à-dire membre d’aucun parti). Sous son mandat, le Rhode Island légalisera le mariage gay auquel il est favorable. En mai 2013, il annonce qu’il rejoint les rangs du Parti Démocrate. Il deviendra très impopulaire à la fin de son mandat de gouverneur. Il n’est plus crédité que de 26% d’opinions favorables et décide donc de ne pas se représenter. Mais quelques mois plus tard, il annonce sa candidature à la présidence.

Lincoln Chafee vit aujourd’hui toujours à Warwick avec sa femme et leurs trois enfants.

L’ANNONCE DE SA CANDIDATURE

Lincoln Chafee a annoncé sa candidature le 3 juin à la George Mason University, située en Virginie.

LE DISCOURS

Le discours de Chafee a lieu dans un auditoire de l’université. Les modalités choisies sont assez inhabituelles puisqu’il ne s’exprimera que pendant treize minutes avant de se livrer à une séance de questions/réponses avec les étudiants présents dans la salle.

Dans son allocution, Chafee expose sa vision de l’attitude que devraient adopter les Etats-Unis sur la scène internationale. Il s’agit d’une intervention assez surprenante. Il est en effet plutôt rare d’entendre un candidat à la Maison Blanche déclarer que les Etats-Unis sont trop arrogants et unilatéralistes et qu’il faut donner plus de moyens à l’ONU.

Tout d’abord, Chafee appuie là où ça fait mal en évoquant la guerre en Irak. Il rappelle qu’il a été l’un des vingt-trois sénateurs à voter contre le déclenchement de cette guerre en 2002. Il revient sur les trois raisons qui l’ont poussé à faire ce choix (et il n’est pas tendre envers l’administration Bush) :

1° Alors que les Etats-Unis tournaient enfin la page du traumatisme du Vietnam (qui a marqué sa génération) et que la guerre froide était terminée, ils avaient enfin l’occasion d’entrer dans une ère de paix prolongée.

2° Il ne faisait pas confiance à une administration Bush adepte du mensonge. Il estime que Bush avait fait de nombreuses promesses électorales qu’il n’a ensuite jamais tenues. Le fameux I am a uniter, not a divider (Je suis un rassembleur, pas un diviseur) par exemple.

3° Les néo-conservateurs de l’administration Bush qui défendaient l’idée de l’intervention parlaient en réalité d’un changement de régime en Irak depuis des années. Ils voulaient cette guerre depuis longtemps. Ils savaient qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive mais ils ont utilisé ce prétexte pour obtenir l’approbation du peuple américain. Chafee explique même s’être rendu au siège de la CIA pour leur demander à voir les preuves qu’ils avaient rassemblées concernant la présence d’armes de destruction massive et avoir constaté qu’ils n’avaient en fait aucune preuve concrète. Il dit regretter que la plupart de ses collègues n’aient pas fait ce travail d’investigation avant de voter au lieu de simplement croire ce que l’administration Bush leur disait.

Chafee rappelle ensuite que l’Amérique paye encore aujourd’hui les conséquences de ce mensonge sur les armes de destruction massive. C’est un mensonge qui a décrédibilisé l’Amérique sur la scène internationale. Il faut aujourd’hui réparer les dégâts et le seul moyen d’y parvenir est de changer complètement d’attitude sur la scène internationale. C’est cette révolution (même s’il n’emploie pas ce mot) que Chafee veut mettre en place.

L’idée générale est la suivante :

We have to find a way to wage peace (Nous devons trouver un moyen de faire la paix)

Chafee joue avec les mots dans cette formule puisque faire la guerre se dit to wage war en anglais alors que l’on dit to make peace pour faire la paix.

Concrètement, Chafee propose que les Etats-Unis :

– S’engagent dans moins de guerres coûteuses afin de dégager un budget plus important pour investir dans l’éducation ou dans les infrastructures du pays.

– Renforcent l’ONU car c’est elle qui doit être la gardienne de la paix dans le monde.

– Respectent les Conventions de Genève. Cela implique notamment de ne plus pratiquer la torture sur aucun prisonnier, y compris ceux suspectés de terrorisme.

– Ne pratiquent plus d’écoutes téléphoniques sur les citoyens américains sans mandat. Il propose même de laisser rentrer Edward Snowden (ancien employé de la NSA qui a révélé les pratiques d’écoutes à grande échelle de l’agence) aux Etats-Unis.

– Stoppent leurs frappes effectuées par des drones à l’étranger, notamment au Yémen et au Pakistan. Cette stratégie ne fonctionne pas. Ces assassinats sans procès ne font qu’attiser la colère des populations locales.

– Négocient des accords commerciaux plus équitables, qui incluent le respect de certaines normes de protection des travailleurs et de l’environnement.

– Privilégient le dialogue avec tout le monde. Par exemple, il ne faut pas reléguer la Russie au rang d’ennemi mais l’encourager à s’intégrer dans le club des nations industrialisées. Ce sera le meilleur moyen de diminuer les tensions entre elle et ses voisins. Il estime qu’on est actuellement revenu à un climat de guerre froide et que c’est une énorme erreur. Cette stratégie du dialogue est aussi valable avec les voisins sud-américains. Il dit vouloir restaurer de bonnes relations avec le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur. Il est aussi l’un des défenseurs de la politique de restauration des relations diplomatiques avec Cuba initiée par Barack Obama.

– Initient un dialogue international pour élaborer une nouvelle stratégie de lutte contre le trafic de drogues. En effet, la politique de la guerre contre la drogue (war on drugs) menée actuellement par les Etats-Unis et axée uniquement sur la répression n’est pas efficace.

– Abolissent la peine de mort.

– Et enfin, Chafee propose que les Etats-Unis adoptent le système métrique. Nous reviendrons sur cette proposition qui a particulièrement retenu l’attention des médias.

LE TWEET

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LOGO ET SLOGAN DE CAMPAGNE

Le logo de campagne de Lincoln Chafee comprend son nom ainsi que son slogan de campagne Fresh Ideas For America (Des idées nouvelles pour l’Amérique).

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LE SITE WEB OFFICIEL

Voici un aperçu de la page d’accueil du site chafee2016.com

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Au centre, une photo de Lincoln Chafee ainsi que son slogan et un lien pour faire un don à sa campagne. En haut de la page, les liens pour accéder aux différentes rubriques du site.

Dans la rubrique consacrée à sa biographie, notons que Chafee n’évoque à aucun moment son enfance ni sa vie privée. Aucune mention de sa famille, de sa femme ou de ses enfants. Il insiste uniquement sur son parcours professionnel et politique. Il rappelle notamment que lorsqu’il était gouverneur du Rhode Island, il s’est consacré en priorité à l’éducation et à la rénovation des infrastructures. Il dit qu’il a également fait baissé le chômage et légalisé le mariage homosexuel.

UN PROGRAMME ÉLECTORAL FLOU

Sur le site web de Chafee, on trouve une rubrique intitulée Priorities et qui fait office de programme électoral. Il y présente ses quatre priorités :

1/ Eviter les imbroglios à l’étranger

Il rappelle qu’il fait partie des vingt-trois sénateurs qui ont voté contre le déclenchement de la guerre en Irak en 2002. Cette guerre a mené à plusieurs tragédies : de nombreux soldats américains sont morts, des fortunes ont été dépensées inutilement et surtout, les Etats-Unis y ont perdu leur crédibilité internationale. Il faut désormais réparer les dégâts. Pour cela, il faut notamment respecter davantage les partenaires internationaux et prendre des décisions internationales « with brains and not biceps » (avec le cerveau et pas les biceps). Tout ceci rejoint bien sûr la stratégie globale que Chafee a évoquée lors de son discours.

2/ La classe moyenne

Le système actuel est défavorable à la classe moyenne. Celle-ci doit s’endetter pour étudier et même lorsqu’elle travaille dur, elle a du mal à joindre les deux bouts. Il rappelle que lorsqu’il était sénateur, il avait voté contre les réductions fiscales proposées par l’administration Bush. Celles-ci n’ont fait selon lui que favoriser les plus riches et creuser le fossé entre riches et pauvres. Mais Chafee ne dit pas quelles mesures il entend prendre pour améliorer la situation.

3/ La protection de l’environnement

Chafee pense que le respect de l’environnement et la croissance économique sont conciliables. Il s’engage à défendre des politiques soucieuses de l’environnement. Mais là encore, il ne précise pas lesquelles.

4/ La protection des libertés individuelles

Chafee veut défendre les libertés accordées aux citoyens par la Constitution. Il estime que ces libertés ont été mises à mal récemment. C’est notamment le cas avec les écoutes téléphoniques de masse pratiquées par la NSA. On comprend qu’il est opposé à ce que ces écoutes continuent. Il dit aussi vouloir défendre le droit des femmes à avorter. Et enfin, concernant le droit à porter des armes, il déclare « I believe in common sense adherence to the Second Amendment » (Je crois en une adhésion de bon sens au Second Amendement). Sans plus de précisions. Difficile de savoir ce que cela veut dire exactement.

Finalement, hormis sa vision de la politique étrangère, le programme électoral de Chafee reste assez flou. On n’a guère idée des mesures concrètes qu’il entend prendre s’il était élu.

L’ADOPTION DU SYSTÈME MÉTRIQUE, UNE IDÉE SAUGRENUE ?

Nous l’avons vu, Lincoln Chafee a fait une proposition étonnante lors de son discours d’annonce. Il voudrait que les Etats-Unis adoptent le système métrique comme la grande majorité des autres pays du monde. Il a déclaré :

Only Myanmar, Liberia and the United States aren’t metric and it will help our economy. (Seuls le Myanmar, le Liberia et les Etats-Unis ne sont pas métriques et cela aidera notre économie)

De quoi parle-t-on exactement? Le système métrique est le système d’unités de mesure le plus répandu au monde. C’est un système décimal, donc assez simple à utiliser puisque l’on passe toujours d’une unité à l’autre en multipliant ou divisant par dix. Mais si vous avez déjà voyagé aux Etats-Unis, vous avez pu vous rendre compte que les américains utilisent un autre système de mesures. Quelques exemples :

– Pour mesurer les distances, les américains utilisent les miles au lieu des kilomètres

– Pour mesurer la hauteur, les feets au lieu des mètres

– Pour le poids, les pounds au lieu des kilogrammes

– Pour la température, les degrés Fahrenheit au lieu des degrés Celsius

etc.

Interrogé par l’un des étudiants qui assistait à son discours sur la nécessité de passer au système métrique, Chafee a donné deux arguments en faveur du changement :

1/ C’est une mesure symbolique qui permettrait de montrer à la communauté internationale que les Etats-Unis ont l’intention de changer leur manière de voir le monde.

2/ C’est une mesure qui sera bénéfique pour l’économie du pays. En effet, c’est le système métrique qui est utilisé au niveau international et les entreprises américaines sont déjà forcées de s’y adapter. L’américain moyen ne s’en rend peut-être pas compte mais le fait d’avoir des unités de mesure différentes du reste du monde complique inutilement le travail des entreprises américaines.

Si beaucoup d’américains semblent sceptiques face à la nécessité de ce changement, le second argument de Chafee n’est pas si saugrenu que cela. Un article paru dans le Huffington Post rappelle d’ailleurs qu’en 1991, le président George Bush a signé un executive order (sorte de loi édictée directement par le président sans passer par un vote au Congrès) imposant l’usage préférentiel du système métrique par les Etats-Unis dans leurs relations commerciales avec les autres pays. Plus récemment, une pétition réclamant l’adoption du système métrique a rassemblé plus de 50.000 signatures.

LES CRITIQUES VISANT HILLARY CLINTON

Lincoln Chafee n’hésite pas à attaquer son adversaire aux primaires démocrates et favorite de ces primaires, Hillary Clinton.

S’il insiste si régulièrement sur le fait qu’il a voté contre le déclenchement de la guerre en Irak en 2002, c’est aussi pour mieux rappeler qu’Hillary Clinton (qui était à l’époque sénatrice de l’état de New York) avait elle voté pour. Il estime que c’est une erreur colossale qui devrait automatiquement la disqualifier de la course à la présidence. En avril dernier, il déclarait sur CNN :

Considering the premise for invading Iraq was based on falsehoods and considering the ramifications we live with now from that mistake, I would argue that anybody who voted for the Iraq War should not be president and certainly should not be leading the Democratic Party. (Considérant que le prémisse pour envahir l’Irak était basé sur des mensonges et considérant les conséquences avec lesquelles nous vivons depuis en raison de cette erreur, j’affirmerais que toute personne qui a voté pour la guerre en Irak ne devrait pas être président et ne devrait certainement pas diriger le Parti Démocrate)

Lors de la séance de questions/réponses avec les étudiants qui a suivi son discours d’annonce, il a lancé deux autres piques à Hillary sans la nommer directement. Il a d’abord déclaré qu’une chose qui le préoccupait beaucoup était de savoir que certains néo-conservateurs favorables à la guerre en Irak occupaient aujourd’hui des postes de conseillers auprès de plusieurs candidats à la présidence, y compris « le principal candidat démocrate ». Puis il a également déclaré que des affaires comme l’affaire des e-mails du Département d’Etat ne devraient pas se produire car elles nuisent à la crédibilité internationale des Etats-Unis. Tout le monde aura bien sûr compris qu’il fait référence à l’utilisation d’une adresse e-mail privée par Hillary Clinton lorsqu’elle était Secrétaire d’Etat.

CONCLUSION

Tout est possible en politique mais Lincoln Chafee n’a a priori que très peu de chances de remporter les primaires démocrates. Il n’est pas très populaire (ses adversaires n’auront pas de mal à rappeler qu’il a quitté son poste de gouverneur avec seulement 26% d’opinions favorables) et les médias ne couvrent pour l’instant pas énormément sa campagne. Le fait qu’il ait été longtemps républicain puis indépendant avant de finalement rejoindre le Parti Démocrate pourrait aussi gêner certains électeurs. Sa candidature aura en revanche très certainement le mérite d’ouvrir le débat sur la question de la politique étrangère dans le camp démocrate, et ce alors que les trois autres candidats du parti (Clinton, Sanders et O’Malley) n’en parlent pour l’instant que très peu.

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