Robert Mueller a terminé son enquête sur l’ingérence russe lors de la campagne présidentielle de 2016 et a rendu son rapport au ministre de la Justice. Verdict? Pas de collusion entre Donald Trump et la Russie. Mais le flou persiste au sujet d’une éventuelle entrave à la justice. Décryptage.
LA LETTRE DE WILLIAM BARR AU CONGRÈS
Après près de deux ans d’enquête, le procureur spécial Robert Mueller a rendu son rapport au ministre de la Justice, William Barr. Ce dernier a rédigé un résumé des principales conclusions de ce rapport et l’a transmis au Congrès. Ce document de quatre pages a également été rendu public. Vous pouvez le lire par vous-mêmes ci-dessous.
Tentons de comprendre ce que signifie ce document.
⚠ Il ne s’agit bien que d’un résumé du rapport Mueller rédigé par William Barr et non du rapport Mueller en tant que tel. Ce dernier ferait entre 300 et 400 pages et n’a pas encore été rendu public, ni même remis à la Maison Blanche et au Congrès. Pour l’instant, seul le ministre de la Justice et ses collaborateurs ont pris connaissance de ce rapport dans son entièreté.
1. PAS DE COLLUSION ENTRE DONALD TRUMP ET LA RUSSIE
La principale mission de Robert Mueller était d’enquêter sur l’ingérence russe lors de la campagne électorale de 2016 et de découvrir si Donald Trump et son équipe de campagne avaient collaboré avec la Russie dans cette entreprise illégale.
1°) Tout d’abord, le rapport de Robert Mueller confirme qu’il y a bien eu ingérence du gouvernement russe dans la campagne présidentielle de 2016, dans le but de nuire à Hillary Clinton et de favoriser l’élection de Donald Trump.
Dans sa lettre, William Barr affirme que Mueller a mis au jour deux modes d’action distincts:
– L’Internet Research Agency, une agence russe proche du Kremlin, a mené une campagne de désinformation sur les réseaux sociaux. Elle a diffusé de nombreuses fake news et a tenté d’exacerber ainsi les tensions existantes au sein de la société américaine.
– Le gouvernement russe a commandité le piratage informatique des serveurs du Parti Démocrate et s’est arrangé pour que les informations défavorables à Hillary Clinton obtenues via ce piratage soient diffusées au grand public par l’intermédiaire de WikiLeaks.
Plusieurs ressortissants russes ont été inculpés par le procureur Mueller pour ces crimes. Ne perdons pas de vue cet élément essentiel de l’enquête: le gouvernement russe a mené une campagne inédite d’ingérence visant à influencer le résultat de l’élection présidentielle américaine.
2°) Le procureur Mueller est parvenu à la conclusion selon laquelle Donald Trump et les membres de son équipe de campagne n’avaient pas participé à cette campagne d’ingérence. Autrement dit, il n’y a pas eu collusion entre Donald Trump et/ou son équipe de campagne et la Russie.
William Barr cite le rapport Mueller dans sa lettre: « The investigation did not establish that members of the Trump Campaign conspired or coordinated with the Russian government in its election interference activities » (L’enquête n’a pas pu établir une quelconque conspiration ou coordination entre des membres de la campagne Trump et le gouvernement russe dans le cadre de ses activités d’ingérence électorale).
Donald Trump n’a cessé de clamer NO COLLUSION depuis deux ans et, sur ce point, l’enquête de Robert Mueller lui donne raison. C’est une grande victoire pour le président et ses alliés.
⚠ William Barr précise dans sa lettre que le procureur Mueller a conclu que Donald Trump et son équipe n’avaient pas collaboré avec la Russie « malgré de multiples offres de la part d’individus affiliés à la Russie d’aider la campagne de Trump ». Concrètement, cela signifie que Donald Trump et son équipe n’ont rien fait d’illégal et n’ont pas collaboré directement avec les Russes. C’est évidemment le plus important. Néanmoins, on peut penser que Donald Trump et son équipe étaient peut-être au courant des agissements russes mais n’en ont pas averti le FBI ni ne les ont dénoncés publiquement. Peut-être même voyaient-ils ces agissements d’un bon œil. Peut-être ont-ils profité de la situation. Mais cela ne constitue pas un crime.
2. ROBERT MUELLER NE TRANCHE PAS CONCERNANT UNE ÉVENTUELLE ENTRAVE À LA JUSTICE
Robert Mueller a également enquêté sur de possibles entraves à la justice commises par le président Trump. Celui-ci a-t-il tenté de mettre à mal l’enquête sur la Russie, voire d’y mettre fin? Sur ce point, Robert Mueller a choisi de ne pas trancher. Dans son rapport, il écrit: « While this report does not conclude that the President committed a crime, it also does not exonerate him » (Bien que ce rapport ne conclut pas que le Président ait commis un crime, il ne l’exonère pas non plus).
Dans sa lettre au Congrès, William Barr explique que son adjoint Rod Rosenstein et lui-même estiment quant à eux, après lecture du rapport de Robert Mueller, qu’il n’y a pas d’éléments de preuve suffisants pour accuser Donald Trump d’entrave à la justice. « Deputy Attorney General Rod Rosenstein and I have concluded that the evidence developed during the Special Counsel’s investigation is not sufficient to establish that the President committed an obstruction-of-justice offense » (Le ministre de la Justice adjoint Rod Rosenstein et moi-même avons conclu que les preuves présentées durant l’enquête du procureur spécial n’étaient pas suffisantes pour établir que le Président ait commis un délit d’entrave à la justice).
La position officielle du Département de la Justice sera donc qu’il n’y a pas eu entrave à la justice de la part du président Trump. Mais le Congrès pourrait évidemment tirer une toute autre conclusion de la lecture du rapport Mueller. Rappelons qu’un président en exercice ne peut de toute façon pas être inculpé par le Département de la Justice. Il peut en revanche faire l’objet d’une procédure d’impeachment lancée par le Congrès.
La question de l’entrave à la justice risque donc de se retrouver au cœur d’une nouvelle bataille politique entre Républicains et Démocrates. Les Républicains vont sans doute accepter la conclusion du Département de la Justice selon laquelle il n’y a pas de quoi accuser le président Trump d’entrave à la justice, alors que les Démocrates vont sans doute critiquer cette décision et accuser William Barr d’avoir voulu sauver la peau de Donald Trump.
Tout semble en réalité se résumer à une question d’interprétation juridique. Qu’est-ce qui constitue réellement une entrave à la justice? L’argument principal de William Barr semble être qu’il faut qu’il y ait volonté de cacher un crime commis pour pouvoir parler d’entrave à la justice. Autrement dit, on ne peut pas accuser quelqu’un d’avoir voulu dissimuler un crime qu’il n’a pas commis. Or, ici, le crime commis à dissimuler devrait être la collusion avec la Russie. Puisque le procureur Mueller a conclu à l’absence d’un tel crime, William Barr estime qu’on ne peut pas accuser Donald Trump d’entrave à la justice. Le président a peut-être commis des actes qui auraient pu être considérés comme une entrave à la justice dans d’autres circonstances mais qui, puisqu’il n’avait rien à cacher, ne peuvent pas être considérés comme tels. (La question que l’on peut tout de même se poser est alors la suivante: Si Donald Trump n’avait vraiment rien à se reprocher, pourquoi a-t-il commis de tels actes? Est-ce une simple question d’incompétence? Et pourquoi autant d’anciens membres de son équipe de campagne ont-ils menti au FBI concernant des interactions qu’ils avaient pu avoir avec des ressortissants russes? 🤔 Les détracteurs du président continueront certainement à mettre ces questions en avant pour entretenir le doute).
Pour y voir plus clair, il faut désormais attendre de pouvoir lire le rapport complet de Robert Mueller. Celui-ci contiendra en effet davantage d’informations sur les fameux agissements suspects du président Trump et sur les raisons pour lesquelles le procureur a décidé de ne pas se prononcer définitivement sur la question de l’entrave à la justice. Mais pourra-t-on un jour lire ce rapport? Dans sa lettre, William Barr affirme qu’il rendra public tout ce qui peut légalement l’être le plus rapidement possible. Concrètement, cela signifie que le rapport Mueller sera remis au Congrès et rendu public, mais pas dans son entièreté. Certaines parties du texte seront masquées, soit parce qu’elles contiennent des informations classifiées, soit pour des raisons juridiques (la loi américaine interdit de divulguer des informations obtenues au sujet d’un individu par un grand jury si celui-ci a ensuite décidé de ne pas engager de poursuites à l’encontre de l’individu en question).
LES RÉACTIONS À LA LETTRE DE WILLIAM BARR
Bien qu’il n’ait pas encore pu prendre connaissance de l’intégralité du rapport de Robert Mueller, le président Trump crie déjà victoire et affirme être totalement blanchi. En ce qui concerne la question de la collusion avec la Russie, c’est bien le cas. En ce qui concerne la question de l’entrave à la justice, c’est, comme nous venons de le voir, un peu plus compliqué que cela.
Au Congrès, les Républicains ont surtout réagi en insistant sur la principale conclusion de l’enquête de Robert Mueller, à savoir l’absence de coordination entre la Russie et l’équipe de campagne de Donald Trump. Ils estiment qu’il est temps de passer à autre chose et invitent les Démocrates à cesser de s’acharner sur le président. Ce n’est pas gagné.
Les Démocrates insistent quant à eux sur le fait que la question de l’entrave à la justice n’est pas tranchée et veulent en savoir plus. Ils réclament que le rapport Mueller leur soit remis le plus rapidement possible dans son intégralité et soit également rendu public. « Le peuple américain a le droit de savoir », ont déclaré Nancy Pelosi et Chuck Schumer, les leaders démocrates à la Chambre et au Sénat, dans un communiqué commun.
Une réflexion sur “LE RAPPORT MUELLER CONCLUT À L’ABSENCE DE COLLUSION ENTRE DONALD TRUMP ET LA RUSSIE”