Pour la troisième fois de l’histoire, un président des Etats-Unis doit faire face à un procès au Sénat et à une menace de destitution. Voici notre résumé de la deuxième semaine du procès de Donald Trump.
JOUR 6 – LUNDI 27 JANVIER
DEUXIÈME JOUR DE PLAIDOIRIE POUR LA DÉFENSE
La défense de Donald Trump doit poursuivre sa plaidoirie alors que tout le monde à Washington ne parle plus que de John Bolton et de son potentiel futur témoignage devant le Sénat. Le New York Times vient effectivement de lâcher une bombe.
D’après le journal, l’ancien conseiller à la sécurité nationale affirme dans son livre (intitulé « The Room Where It Happened » et qui doit paraître au mois de mars) que le président Trump lui aurait confié en août dernier qu’il avait l’intention de continuer à bloquer la livraison d’aide militaire à l’Ukraine jusqu’à ce que les autorités ukrainiennes « apportent leur aide avec les enquêtes sur les Démocrates, y compris les Biden ». Si John Bolton répétait cela au procès, son témoignage pourrait s’avérer capital. En effet, la Maison Blanche a toujours affirmé que la décision de bloquer la livraison d’aide militaire à l’Ukraine n’avait jamais fait partie d’un quelconque quid pro quo. Et aucun des témoins interrogés au cours de l’impeachment inquiry n’a pu apporter la preuve formelle que Donald Trump avait bien ordonné le blocage de cette livraison pour obtenir l’ouverture d’une enquête sur Joe Biden.
Sur Twitter, le président Trump affirme qu’il n’a jamais tenu de tels propos devant John Bolton et que ce dernier ment pour que son livre se vende mieux.

De son côté, le sénateur républicain Mitt Romney déclare à la presse que, au vu des révélations du New York Times, « je pense qu’il est de plus en plus probable que d’autres Républicains rejoignent ceux d’entre nous qui pensent que nous devrions entendre John Bolton comme témoin ».
Au sein de l’hémicycle du Sénat, les avocats du président poursuivent leur plaidoirie comme si de rien n’était ou presque. Ils n’évoquent quasiment pas les dernières révélations du New York Times. Seul Alan Dershowitz abordera ce thème en toute fin de journée. Il affirme que même si ce que John Bolton dit était vrai, les faits reprochés à Donald Trump ne constitueraient pas un abus de pouvoir et ne mériteraient pas la destitution.
Nothing in the Bolton revelations, even if true, would rise to the level of an abuse of power or an impeachable offense. (Rien dans les révélations de Bolton, même si elles étaient vraies, n’atteindraient le niveau d’un abus de pouvoir ou d’une faute méritant la destitution)
La déclaration du jour
L’un des autres avocats de Donald Trump, le célèbre ancien procureur Kenneth Starr, qui avait mené l’enquête ayant conduit à l’impeachment du président Clinton, explique aux sénateurs qu’il serait dangereux de « normaliser l’impeachment ». Starr estime que l’impeachment doit rester un recours ultime car la procédure a tendance à fortement diviser l’opinion publique.
Those of us who lived through the Clinton impeachment, including members of this body, full well understand that a presidential impeachment is tantamount to domestic war (…) It divides the country like nothing else. (Ceux d’entre nous qui ont vécu l’impeachment de Clinton, y compris certains membres de cette assemblée, savent très bien qu’un impeachment présidentiel est l’équivalent d’une guerre civile (…) Cela divise le pays comme rien d’autre ne peut le faire)
JOUR 7 – MARDI 28 JANVIER
TROISIÈME ET DERNIER JOUR DE PLAIDOIRIE POUR LA DÉFENSE
La défense, qui avait entamé sa plaidoirie en affirmant que le président Trump n’avait absolument rien fait de mal, la termine en affirmant que, même si le président avait fait certaines des choses dont on l’accuse, cela ne mériterait pas la destitution. Pat Cipollone, le conseiller juridique de la Maison Blanche, ajoute qu’il serait sage de laisser les électeurs décider du sort du président lors de la prochaine élection présidentielle. « Pourquoi ne pas faire confiance au peuple américain pour prendre cette décision? », demande-t-il.
La statistique du jour
Pour rappel, l’accusation et la défense disposaient chacune de 24 heures pour plaider, à répartir sur trois jours. Alors que l’accusation a quasiment utilisé l’entièreté des 24 heures allouées, la défense n’en a utilisé qu’à peu près la moitié.
La déclaration du jour
If John Bolton says that in the book, I believe John Bolton. (Si John Bolton affirme cela dans son livre, je crois John Bolton)
John Kelly, ex-chef de cabinet de la Maison Blanche, lors d’une conférence en Floride.
JOUR 8 – MERCREDI 29 JANVIER
PREMIER JOUR DE QUESTIONS-RÉPONSES
Après avoir entendu les arguments de l’accusation et de la défense pendant plusieurs jours, les sénateurs disposent de 16 heures (réparties sur deux jours) pour leur poser des questions.
Puisque les sénateurs n’ont pas le droit de prendre la parole durant le procès, ils doivent rédiger leurs questions sur une fiche conçue spécialement à cet effet (photo ci-dessous). Les questions ne sont pas anonymes puisque le sénateur doit mentionner son nom sur la fiche. Il doit aussi préciser si sa question est adressée à l’accusation, à la défense ou les deux. Plusieurs sénateurs peuvent également faire équipe et poser une question en commun. Les fiches sont transmises à John Roberts, le juge de la Cour Suprême qui préside le procès, et ce dernier les lit à haute voix. L’accusation et/ou la défense disposent d’un temps illimité pour répondre à chaque question.
Pour cette première journée de questions-réponses, 93 questions sont posées au total. La majorité d’entre elles s’apparentent plutôt à des occasions données à l’accusation et à la défense de répéter leurs principaux arguments. Bernie Sanders pose par exemple la question suivante à l’accusation: « Pourquoi devrions-nous croire que ce que raconte le président Trump a une quelconque crédibilité? ». Une occasion pour l’accusation de répéter que Donald Trump a l’habitude de mentir et est moins crédible que des témoins ayant parlé sous serment. Mais une question qui ne permet pas vraiment d’y voir plus clair.
Les questions vraiment pertinentes seront assez peu nombreuses et bon nombre d’entre elles seront posées par Mitt Romney, Susan Collins et Lisa Murkowski, trois sénateurs républicains ayant laissé entendre qu’ils pourraient voter en faveur de la convocation de témoins. Susan Collins et Lisa Murkowski ont par exemple demandé à la défense si le président Trump avait évoqué ses préoccupations quant aux agissements de Joe Biden en Ukraine avant que ce dernier annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2020. La défense a été forcée de reconnaître ne disposer d’aucune trace d’une quelconque mention de Joe ou Hunter Biden par le président avant que Joe Biden annonce sa candidature à l’élection présidentielle.
La déclaration du jour
Every public official that I know believes that his election is in the public interest. And if a president does something which he believes will help him get elected in the public interest, that cannot be the kind of quid pro quo that results in impeachment. (Chaque élu que je connais croit que son élection est dans l’intérêt public. Et si un président fait quelque chose dont il pense qu’elle l’aidera à se faire élire dans l’intérêt public, cela ne peut pas être considéré comme le type de quid pro quo pouvant conduire à l’impeachment)
Alan Dershowitz, l’un des avocats de la défense, en réponse à une question posée par le sénateur Ted Cruz. Dershowitz affirme en fait ici que, même si Donald Trump avait effectivement bloqué une livraison d’aide militaire à l’Ukraine pour obtenir l’ouverture d’une enquête sur Joe Biden, cela ne devrait pas être considéré comme un abus de pouvoir. Pourquoi? Parce qu’en agissant pour favoriser sa réélection, le président n’aurait pas seulement agi pour défendre ses intérêts personnels, mais aussi pour défendre ce qu’il estime être l’intérêt de la nation. Chaque homme politique estimerait en effet qu’agir en faveur de sa réélection revient à agir dans l’intérêt du pays.
L’argument de Dershowitz a suscité de très nombreuses réactions négatives dans la presse et dans le camp démocrate. Pour beaucoup, il revient à placer le président des Etats-Unis au-dessus des lois.
Les tweets du jour
Pendant ce temps-là, le président Trump publie de nouveaux tweets critiques à l’encontre de John Bolton. Il affirme que s’il avait écouté son ancien conseiller à la sécurité nationale, « nous en serions maintenant à la Sixième Guerre Mondiale ». Les tweets du président sont remarquables dans la mesure où – comme c’est souvent le cas lorsqu’il critique d’anciens membres de son administration – il reconnaît avoir recruté quelqu’un de (soi-disant) totalement incompétent au sein de son administration.

La révélation du jour
Nouvelle révélation. Le député démocrate Eliot Engel, président du comité des Affaires étrangères de la Chambre des Représentants, révèle lors d’une interview que John Bolton l’a contacté en septembre dernier pour lui conseiller d’enquêter sur le licenciement de l’ambassadrice en Ukraine Marie Yovanovitch !
JOUR 9 – JEUDI 30 JANVIER
DEUXIÈME JOUR DE QUESTIONS-RÉPONSES
Deuxième et dernier jour de questions posées par les sénateurs à l’accusation et à la défense. 87 questions sont posées, contre 93 la veille. Au total, 180 questions ont donc été posées par les sénateurs en deux jours.
Petite polémique du jour: John Roberts refuse de poser l’une des questions adressées par le sénateur républicain Rand Paul à l’accusation et à la défense. Le refus de John Roberts aurait été motivé par la présence dans cette question du nom d’un homme que plusieurs médias ont présenté comme le lanceur d’alerte présumé. Or, le nom d’un lanceur d’alerte ne peut en principe pas être révélé publiquement. Rand Paul, furieux, lira plus tard sa question à haute voix devant la presse, soulignant qu’elle ne décrivait pas l’homme dont le nom était mentionné comme étant le lanceur d’alerte.
À l’issue de l’audience du jour, le sénateur républicain Lamar Alexander annonce qu’il ne votera pas en faveur de la convocation de témoins. Plus surprenant, Alexander explique qu’il pense que le président Trump est bien coupable de ce dont on l’accuse, mais que cela ne mérite pas la destitution. Il souligne aussi que la destitution du président diviserait profondément la société et qu’il vaut mieux laisser aux électeurs le soin de décider en novembre prochain si Donald Trump mérite d’être sanctionné (c’est-à-dire non réélu) ou non.
There is no need for more evidence to prove something that has already been proven and that does not meet the U.S. Constitution’s high bar for an impeachable offense. (Il n’y a pas besoin de davantage de preuves pour prouver quelque chose qui a déjà été prouvé et qui ne remplit pas les critères de la Constitution pour justifier une destitution)
Dans le même temps, Susan Collins annonce quant à elle qu’elle votera en faveur de la convocation de témoins.
JOUR 10 – VENDREDI 31 JANVIER
VOTE CONTRE LA CONVOCATION DE TÉMOINS
C’est l’heure de vérité et les sénateurs votent contre la convocation de témoins (49-51).
Seulement deux sénateurs républicains ont voté avec les Démocrates en faveur de la convocation de témoins: Susan Collins et Mitt Romney.
Lisa Murkowski, dont on pensait qu’elle ferait de même, a avancé une drôle d’explication pour justifier son vote d’opposition. Elle a affirmé que convoquer des témoins ne servirait à rien parce que cela ne changerait de toute façon rien au résultat final du procès.
Parmi les sénateurs républicains ayant publié des communiqués pour justifier leur vote contre la convocation de témoins, certains reprennent les mêmes arguments que Lamar Alexander la veille, notamment Marco Rubio et Rob Portman. Contrairement à d’autres Républicains qui continuent d’affirmer que le président Trump n’a strictement rien fait de mal, Rubio et Portman affirment que la conduite du président est répréhensible, mais pas au point de justifier sa destitution. Ils estiment que la destitution du président ne ferait que diviser davantage une opinion publique déjà dangereusement divisée et que ce ne serait pas dans l’intérêt des Etats-Unis. Le communiqué de Marco Rubio contient cette phrase étonnante:
Just because actions meet a standard of impeachment does not mean it is in the best interest of the country to remove a President from office. (Ce n’est pas parce que des actions correspondent au standard de la destitution que cela signifie qu’il est dans l’intérêt du pays de destituer le Président)
En refusant de convoquer des témoins lors du procès, les sénateurs républicains sont allés à l’encontre de la volonté de l’opinion publique, si l’on en croit tous les sondages réalisés à ce sujet. D’après un récent sondage réalisé par le Washington Post et ABC News, 66% des Américains déclaraient vouloir entendre de nouveaux témoins lors du procès, y compris 65% des électeurs indépendants. Les électeurs républicains étaient beaucoup plus partagés, mais 45% d’entre eux affirmaient tout de même vouloir entendre des témoins.
ET MAINTENANT?
Aucun témoin ne sera convoqué et le procès du président Trump s’achèvera dans les prochains jours. Deux audiences sont encore prévues au programme. Ce lundi 3 février, l’accusation et la défense disposeront chacune de deux heures pour présenter leurs conclusions. Mercredi, le verdict sera rendu par les sénateurs. Donald Trump sera acquitté. Game over.
Une réflexion sur “IMPEACHMENT TRIAL, SEMAINE 2”