DÉBAT HOULEUX ENTRE HILLARY CLINTON ET BERNIE SANDERS

Le premier débat opposant Hillary Clinton et Bernie Sanders en face-à-face avait lieu ce jeudi 4 février. Et il fut pour le moins houleux. Compte-rendu.

INTRODUCTION

Ce cinquième débat démocrate avait lieu à l’Université du New Hampshire et était organisé par la chaîne MSNBC. Au départ, les Démocrates n’avaient pas prévu d’organiser de débat entre le caucus de l’Iowa et la primaire du New Hampshire. Ils ont changé d’avis à la dernière minute et ce débat a été ajouté au programme, tout comme trois autres débats qui auront lieu dans les prochaines semaines. C’était aussi le premier débat depuis l’abandon de Martin O’Malley. Hillary Clinton et Bernie Sanders, les deux derniers candidats à l’investiture démocrate, s’affrontaient donc pour la première fois en face-à-face, ce qui a donné lieu à plusieurs affrontements très musclés.

LE DÉBAT

Participants: Hillary Clinton & Bernie Sanders

Modérateurs: Chuck Todd & Rachel Maddow, journalistes à NBC et MSNBC

Durée du débat: 2h

Compte-rendu:

  • Les principales différences entre Hillary Clinton et Bernie Sanders

On commence désormais à connaître les différents points qui opposent les deux candidats démocrates encore en lice pour l’investiture. Ces points avaient déjà été mis en évidence lors des débats précédents et l’ont été cette fois encore. Petit récapitulatif.

  1. Une différence de méthode

Les médias parlent de plus en plus d’une opposition entre Hillary Clinton la pragmatique et Bernie Sanders l’idéaliste. Autrement dit, Sanders veut faire la révolution alors que Clinton veut faire évoluer les choses en tenant compte des réalités politiques (notamment le fait que les propositions du Président devront être ratifiées par le Congrès). Clinton reproche aux propositions de Sanders d’être irréalisables et impossibles à financer. Elle a affirmé à plusieurs reprises au cours de la soirée : I’m not making promises that I cannot keep (Je ne fais pas de promesses que je ne peux pas tenir). Sanders accuse en retour Clinton de ne pas être suffisamment progressiste.

  1. Santé

Clinton et Sanders estiment tous les deux que la loi Obamacare a représenté un énorme progrès. Sanders estime toutefois que cela n’est pas encore suffisant puisque des millions de personnes n’ont toujours aucune assurance et que les soins de santé coûtent trop cher. Il veut passer à un système d’assurance santé universelle. Clinton veut quant à elle construire sur les acquis d’Obamacare en tentant d’y apporter quelques modifications pour l’améliorer.

  1. Éducation

Sanders promet de rendre l’enseignement supérieur entièrement gratuit pour tous. Clinton est opposée à cette gratuité totale, tout en ayant un plan pour réduire le coût des études et régler le problème de la dette étudiante.

  1. Économie/Wall Street

Sanders accuse régulièrement Clinton d’avoir trop de liens avec les financiers de Wall Street. Elle n’aurait donc aucun intérêt à vraiment en réformer le fonctionnement. D’après lui, Wall Street n’a rien changé de son comportement depuis la crise financière de 2008. Les grandes banques n’ont pas été suffisamment sanctionnées et par conséquent, un nouveau krach risque de se produire à nouveau. Il promet de « casser » les grandes banques, en rétablissant notamment la loi Glass-Steagall (qui empêchait les banques de cumuler activités de dépôt et d’investissement). Il entend aussi augmenter drastiquement les impôts des milliardaires. Clinton s’oppose quant à elle au rétablissement de Glass-Steagall, qu’elle ne juge pas nécessaire. Elle accuse aussi Sanders de ne se focaliser que sur Wall Street et les banques alors que les compagnies d’assurance et d’autres entités ont également joué un rôle important dans la crise de 2008. Elle assure avoir un plan plus global que celui de Sanders pour empêcher qu’une nouvelle crise financière ne se produise.

  1. Lutte contre les armes à feu

Clinton veut lutter contre la NRA et durcir drastiquement la législation en matière d’armes à feu. Sanders déclare vouloir lui aussi faire des avancées en ce domaine mais n’en fait pas un sujet essentiel de sa campagne, contrairement à Clinton. Celle-ci accuse régulièrement Sanders de ne pas être assez ferme à ce sujet et d’avoir voté par le passé contre certains durcissements de la législation.

  1. Politique étrangère

Clinton et Sanders s’opposent tous les deux à l’envoi de troupes au sol en Syrie et/ou en Irak. Mais Clinton est vue comme plus interventionniste que Sanders, c’est-à-dire qu’elle accorde plus d’importance au rôle que les Etats-Unis doivent tenir sur la scène internationale. Lors d’un précédent débat, Clinton avait par exemple expliqué que les Etats-Unis devaient combattre à la fois l’Etat Islamique et le régime de Bachar El-Assad en Syrie. Sanders avait lui affirmé qu’il fallait lutter contre l’Etat Islamique mais que les Etats-Unis ne devaient pas de nouveau s’impliquer dans une guerre pour tenter d’imposer un changement de régime dans un pays étranger. Il rappelle d’ailleurs très souvent qu’il avait voté contre la guerre en Irak en 2002 alors que Clinton avait voté pour.

  • La peine de mort

Une nouvelle différence entre les deux candidats, que l’on pourrait ajouter à la liste ci-dessus, a été mise au jour lors de ce débat. Le sujet n’avait pas été abordé lors des débats précédents. Il s’agit de la peine de mort. Hillary Clinton a affirmé y être toujours favorable pour les crimes les plus graves.

I do for very limited, particularly heinous crimes believe it is an appropriate punishment. (Je crois que c’est une punition appropriée pour certains crimes particulièrement abominables)

Sanders s’est lui déclaré opposé à la peine de mort et a dit souhaiter qu’elle soit abolie. Il a mentionné le fait qu’il y ait trop d’erreurs judiciaires, et surtout que :

Of course there are barbaric acts out there. But, in a world of so much violence and killing, I just don’t believe that government itself should be part of the killing. (Bien sûr qu’il y a des actes barbares là-dehors. Mais, dans un monde où il y a autant de violence et de massacre, je ne crois pas que le gouvernement lui-même devrait prendre part au massacre)

  • Un débat plus musclé que les précédents

La première heure du débat fut la plus tendue à laquelle on ait assisté depuis le début de la campagne ! Hillary Clinton semblait très agacée par le fait que Sanders l’ait accusée dans les jours précédents d’être trop modérée (ce qui, au sein du Parti Démocrate, signifie trop proche du centre) et donc, pas assez progressiste. Clinton a répliqué très violemment. Elle a tout d’abord déclaré que quasiment personne au sein du Parti Démocrate ne correspondait à ce que Sanders semblait estimer être un vrai progressiste, et que cela n’avait donc aucun sens. Elle l’a même qualifié de « gardien auto-proclamé du progressisme ». Sanders a répliqué en la qualifiant de membre de l’establishment alors qu’il représenterait les « américains ordinaires » qui ne font plus confiance à la classe politique. Et de rappeler une nouvelle fois les liens de Clinton avec Wall Street et le fait qu’elle ait accepté d’être rémunérée par plusieurs grandes entreprises comme Goldman Sachs pour prononcer des discours lors de conférences. Clinton a alors attaqué Sanders comme elle ne l’avait encore jamais fait jusqu’ici.

You know, Senator Sanders has said he wants to run a positive campaign. I’ve tried to keep my disagreements over issues, as it should be. But time and time again, by innuendo, by insinuation, there is this attack that he is putting forth, which really comes down to, you know, anybody who ever took donations or speaking fees from any interest group has to be bought. And I just absolutely reject that, Senator. And I really don’t think these kinds of attacks by insinuation are worthy of you. And enough is enough. If you’ve got something to say, say it directly. But you will not find that I ever changed a view or a vote because of any donation that I ever received. […] So I think it’s time to end the very artful smear that you and your campaign have been carrying out. (Vous savez, le sénateur Sanders a dit qu’il voulait mener une campagne positive. J’ai essayé de garder mes désaccords sur les sujets politiques, comme cela devrait être le cas. Mais encore et encore, par des sous-entendus, par des insinuations, il y a cette attaque qu’il met en avant, qui se résume à, vous savez, quiconque a déjà accepté des dons ou un paiement pour un discours de la part de n’importe quel groupe d’intérêt doit forcément être acheté. Et je rejette absolument cela, sénateur. Et je ne pense vraiment pas que ce genre d’attaques par insinuation soit digne de vous. Et cela commence à bien faire. Si vous avez quelque chose à dire, dites-le sans détours. Mais vous ne trouverez pas trace d’un changement d’opinion ou de vote en raison d’un don que j’aurais reçu. […] Donc je pense qu’il est temps de mettre fin à la diffamation très rusée que vous et votre campagne avez mise en place)

  • Les discours rémunérés d’Hillary Clinton

Pour prolonger la question, les journalistes ont demandé à Hillary Clinton si elle serait prête à publier les retranscriptions des discours qu’elle a prononcés pour Goldman Sachs et pour lesquels elle a été rémunérée. Réponse de Clinton? I will look into it (Je vais y réfléchir).

  • Le point faible de Sanders : la politique étrangère

Depuis le début de la campagne, on sent bien que Sanders est moins à l’aise dès qu’il s’agit de parler de politique étrangère. Il n’en fait d’ailleurs pas le thème principal de sa campagne. Sa priorité, ce sont les inégalités économiques, les soins de santé, l’éducation etc. Son principal argument contre Clinton en matière de politique étrangère est le vote de cette dernière en faveur de la guerre en Irak en 2002, alors que lui avait voté contre. D’après lui, cela prouverait que Clinton manque de discernement et est trop favorable aux interventions militaires en général. Il a une fois de plus réitéré cette attaque.

One of us voted the right way and one of us didn’t. (L’un de nous a voté dans le bon sens et l’autre non)

Clinton a répliqué en affirmant que :

A vote in 2002 is not a plan to defeat ISIS. (Un vote en 2002 n’est pas un plan pour vaincre l’Etat Islamique)

Elle a ensuite insisté sur les lacunes de Sanders en matière de politique étrangère. D’après elle, ce dernier ne serait pas prêt à être commandant-en-chef.

A group of national security experts, military intelligence experts, issued a very concerning statement about Senator Sanders’s views on foreign policy and national security, pointing out some of the comments he has made on these issues, such as inviting Iranian troops into Syria to try to resolve the conflict there, putting them right at the doorstep of Israel. Asking Saudi Arabia and Iran to work together, when they can’t stand each other and are engaged in a proxy battle right at this moment. (Un groupe d’experts en matière de sécurité nationale, d’experts en matière de renseignements militaires, a publié une déclaration très inquiétante à propos des opinions du sénateur Sanders sur la politique étrangère et la sécurité nationale, attirant l’attention sur certains des commentaires qu’il a fait sur ces questions, comme inviter les troupes iraniennes en Syrie pour essayer de résoudre le conflit, les plaçant au pas de la porte d’Israël. Ou demander à l’Arabie Saoudite et à l’Iran de travailler ensemble, alors qu’ils ne peuvent pas se supporter et sont engagés dans une bataille par procuration en ce moment même)

Sanders s’est ensuite retrouvé en difficulté lorsque les journalistes l’ont interrogé sur les troupes américaines présentes actuellement en Afghanistan. Combien de temps y resteraient-elles s’il était élu Président? Réponse de Sanders :

Well, I think our great task is to make certain that our young men and women in the military do not get sucked into never-ending, perpetual warfare within the quagmire of Syria and Iraq. (Et bien, je pense que notre plus grande tâche est de faire en sorte que nos jeunes hommes et femmes de l’armée ne soient pas entraînés dans une guerre sans fin, perpétuelle dans le bourbier de la Syrie et de l’Irak)

La question portait sur l’Afghanistan, Bernie.

  • Les e-mails d’Hillary Clinton

Hillary Clinton affirme ne se faire aucun souci au sujet de l’ « affaire » entourant son usage d’un serveur privé pour ses e-mails alors qu’elle était Secrétaire d’Etat.

I have absolutely no concerns about it whatsoever. (Je ne me fais absolument pas le moindre souci à ce sujet)

Quant à Bernie Sanders, il a refusé de donner son avis sur la question, affirmant qu’une enquête était en cours et qu’il n’avait pas l’intention de la politiser.

  • Le dernier conseil d’Hillary Clinton aux électeurs du New Hampshire

Dans son closing statement, Clinton a demandé aux électeurs du New Hampshire d’apporter à la fois leur cœur ET leur tête avec eux au moment de voter mardi (ndlr: la primaire du New Hampshire aura lieu mardi 9 février et Sanders est crédité d’une large avance sur Clinton dans les sondages).

  • La phrase de la soirée

On our worst days, I think it is fair to say we are 100 times better than any Republican candidate. (Même dans nos pires jours, je pense qu’il est juste de dire que nous sommes 100 fois meilleurs que n’importe quel candidat républicain)

– Bernie Sanders

  • Le tweet de la soirée

Ce tweet d’un journaliste politique est un peu cruel pour Clinton et Sanders mais il nous a tellement fait rire que nous ne résistons pas à la tentation de le partager avec vous.

Traduction: Ma fille de 14 ans en train de regarder le débat démocrate: "C'est comme regarder ses grands-parents se disputer"
Traduction: Ma fille de 14 ans en train de regarder le débat démocrate: « C’est comme regarder ses grands-parents se disputer »

QUI A REMPORTÉ LE DÉBAT ?

Il nous semble difficile d’affirmer que l’un ou l’autre des deux candidats ait remporté le débat. Hillary Clinton s’est montrée plus déterminée que jamais et a violemment attaqué son adversaire. Certaines de ses attaques nous ont semblé efficaces, notamment en matière de politique étrangère. Mais Bernie Sanders, hormis sa réponse assez catastrophique à une question portant sur l’Afghanistan (à laquelle il a répondu en parlant de la Syrie et de l’Irak), n’a pas commis de faute grave qui aurait pu décourager les personnes ayant l’intention de voter pour lui. Et sa dénonciation des liens de Clinton avec Wall Street continue de mettre cette dernière en difficulté.

UNE TRÈS FAIBLE AUDIENCE

Le débat n’a réuni que 4,5 millions de téléspectateurs, ce qui en fait le débat le moins regardé depuis le début de la campagne électorale ! Et pourtant, on ne peut pas reprocher cette fois-ci au Parti Démocrate de l’avoir programmé un samedi ou un dimanche…

Le prochain débat démocrate aura lieu le 11 février, soit deux jours après la primaire du New Hampshire.

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