LE JUGE ANTONIN SCALIA EST MORT (ET C’EST UNE INFORMATION POLITIQUE IMPORTANTE)

La nouvelle est tombée samedi 13 février. Antonin Scalia, l’un des neuf juges de la Cour Suprême, venait de nous quitter. La question de sa succession risque d’animer la vie politique américaine dans les mois à venir. Explications.

PRÉAMBULE : QUELQUES MOTS SUR LA COUR SUPRÊME

La Cour Suprême est la plus haute instance du système judiciaire américain. Elle est le tribunal de dernière instance au niveau fédéral et elle a le pouvoir de juger de la constitutionnalité des lois. Elle joue un rôle très important puisqu’elle est souvent amenée à trancher sur des questions de société. Par exemple, c’est un arrêt de la Cour Suprême qui a légalisé l’avortement aux Etats-Unis (Roe v Wade, 1973). De même, en juin 2015, c’est la Cour Suprême qui a estimé qu’aucun état ne pouvait plus dénier aux couples homosexuels le droit de se marier (ndlr: certains états avaient déjà légalisé le mariage entre personnes de même sexe, d’autres non). Certaines décisions de la Cour Suprême peuvent donc avoir des répercussions directes sur la vie des américains.

La Cour Suprême est composée de neuf juges. L’un d’entre eux la préside, c’est le Chief Justice. C’est devant lui que le Président des Etats-Unis prête serment le jour de son investiture. Les huit autres juges portent le nom de Associate Justices. Lorsque la Cour délibère, chaque juge dispose d’une voix. Tous les juges de la Cour Suprême sont nommés à vie par le Président des Etats-Unis, après approbation de son choix par le Sénat. Autrement dit, lorsque l’un des juges prend sa retraite ou meurt dans l’exercice de ses fonctions*, le Président est chargé de lui trouver un successeur. Lorsqu’il a fait son choix, son candidat est auditionné par le Sénat. Celui-ci vote ensuite pour ou contre sa nomination. Si le vote est négatif, le Président doit trouver quelqu’un d’autre.

*Bien que les juges soient nommés à vie, le premier cas est beaucoup plus courant que le second. Antonin Scalia n’est ainsi que le troisième juge à mourir dans l’exercice de ses fonctions au cours des soixante-trois dernières années. Le dernier cas en date était celui de William Rehnquist, qui était décédé en 2005. Pour le cas précédent celui de Rehnquist, il faut remonter jusqu’en 1953.

Parmi les neuf juges composant actuellement la Cour Suprême, Antonin Scalia était celui qui était en poste depuis le plus longtemps, presque 30 ans ! Il avait été nommé en 1986 par le Président Reagan. Un autre juge, Anthony Kennedy, a également été nommé par Reagan. Un autre a été nommé par George Bush (Clarence Thomas), deux par Bill Clinton (Ruth Ginsburg et Stephen Breyer), deux par George W. Bush (John Roberts, qui est actuellement le Chief Justice, et Samuel Alito) et deux par Barack Obama (Sonia Sotomayor et Elena Kagan).

Source: Washington Post
Source: Washington Post

QUI ÉTAIT ANTONIN SCALIA ?

Antonin Gregory Scalia, surnommé Nino par sa famille et ses amis, est né à Trenton (New Jersey) le 11 mars 1936. Il a ensuite grandi à New York, dans le quartier du Queens. Son père était italien. Il était arrivé aux Etats-Unis à l’âge de 17 ans. Sa mère était quant à elle la fille d’immigrés italiens. Tous deux étaient enseignants. Antonin a étudié le droit à la Georgetown University puis à la Harvard Law School. Il exercera plusieurs années dans des cabinets privés et enseignera également dans plusieurs universités. Il occupera aussi un poste au sein du Département de la Justice sous l’administration Nixon. Il est nommé à la Cour Suprême par le Président Reagan en 1986. Il devient alors le premier italo-américain à occuper un tel poste. Il est mort dans son sommeil, probablement d’une crise cardiaque, dans un ranch du Texas. Il avait 79 ans.

Antonin Scalia sur Fox News, 2012
Antonin Scalia sur Fox News, 2012

Antonin Scalia était un fervent catholique. Avec sa femme Maureen, il a eu neuf enfants. En raison de sa foi, le couple n’utilisait pas de moyens de contraception. Scalia a un jour expliqué que

Being a devout Catholic means you have children when God gives them to you. (Être un catholique dévoué signifie que vous avez des enfants quand Dieu vous les donne)

En tant que juge à la Cour Suprême, Scalia est rapidement devenu un champion de la cause conservatrice. Il était opposé à l’avortement et au mariage entre personnes de même sexe. Il s’opposait également à l’affirmative action (discrimination positive). Mais malgré ses opinions très conservatrices, il semblait être très apprécié de l’ensemble de ses collègues pour sa franchise, son sens de l’humour et son intelligence. Le style de Scalia était très particulier et aura marqué et inspiré de nombreuses personnes dans le monde judiciaire, au sein duquel il était devenu une sorte de rock star.

Scalia était aussi connu en raison de sa défense d’une interprétation littérale de la Constitution. Il estimait que les juges devaient interpréter cette dernière en fonction de ce que ses rédacteurs avaient voulu dire, sans tenir compte des éventuelles évolutions de la société. Cette manière d’interpréter la Constitution, baptisée originalism, a de nombreux adeptes. D’autres juristes estiment que la Constitution est « vivante », c’est-à-dire que son interprétation doit pouvoir évoluer au fil du temps, en fonction des changements à l’œuvre dans la société. Scalia rejetait cette idée et estimait que l’originalism permettait justement de juger sans être victime des passions du moment.

Scalia a aussi régulièrement suggéré que la Cour Suprême avait trop de pouvoir en matière de politique sociale. D’après lui, des questions de société aussi importantes que la légalisation du mariage gay devraient être l’objet d’une décision des élus du peuple et non d’un petit groupe de neuf juges. Suite à l’arrêt de la Cour légalisant le mariage homosexuel en juin dernier, il écrivait :

A system of government that makes the People subordinate to a committee of nine unelected lawyers does not deserve to be called a democracy. (Un système de gouvernement qui rend le peuple subordonné à un comité de neuf juges non élus ne mérite pas le nom de démocratie)

LE CONFLIT POLITIQUE AUTOUR DE LA SUCCESSION DE SCALIA

Antonin Scalia est décédé. Il faut donc désormais lui trouver un successeur. Comme nous l’avons expliqué, c’est au Président des Etats-Unis qu’incombe cette tâche. Mais son choix doit ensuite être confirmé par le Sénat. Or, les Républicains sont actuellement majoritaires au Sénat et menacent déjà de bloquer toutes les propositions de Barack Obama. Le but? Faire en sorte que le successeur de Scalia soit nommé par le prochain Président des Etats-Unis, qui pourrait être un Républicain. L’enjeu est d’autant plus important que sur les huit juges restant en poste, quatre sont considérés comme plutôt libéraux et quatre comme plutôt conservateurs. Autrement dit, la nomination du successeur de Scalia pourrait faire basculer la Cour dans le camp libéral ou dans le camp conservateur*.

*Tout ceci est bien sûr quelque peu caricatural. En effet, même si les juges ont des opinions personnelles plus ou moins conservatrices et que le Président qui les nomme tient compte de ces opinions, ils sont supposés interpréter la loi et la Constitution selon les règles du droit. Ils ne sont en théorie pas là pour faire de la politique. D’ailleurs, avant le décès de Scalia, la Cour était composée de cinq juges réputés conservateurs contre quatre juges réputés libéraux et pourtant, la Cour a tranché en juin dernier en faveur du mariage homosexuel.

Quelques heures à peine après la mort de Scalia, Barack Obama a fait une brève déclaration. Il a d’abord rendu hommage à Scalia, qu’il a décrit comme a brilliant legal mind with an energetic style, incisive wit, and colorful opinions (Un esprit juridique brillant avec un style dynamique, un esprit perspicace, et des opinions hautes en couleur). Le Président a ajouté qu’il entendait bien assumer ses responsabilités en trouvant un successeur à Scalia « en temps et en heure ».

I plan to fulfill my constitutional responsibilities to nominate a successor in due time. There will be plenty of time for me to do so, and for the Senate to fulfill its responsibility to give that person a fair hearing and a timely vote. These are responsibilities that I take seriously, as should everyone. They’re bigger than any one party. They are about our democracy. (J’ai l’intention de remplir mes responsabilités constitutionnelles en nommant un successeur en temps et en heure. Il y aura le temps nécessaire pour moi de le faire, et pour le Sénat de remplir sa responsabilité d’accorder à cette personne une audition équitable et un vote dans les délais. Ce sont des responsabilités que je considère sérieusement, comme tout le monde le devrait. Elles sont plus importantes que n’importe quel parti. Elles concernent notre démocratie)

Mais l’immense majorité des Républicains n’est pas de cet avis. D’après eux, étant donné que Barack Obama est en fin de mandat, il ne devrait pas proposer de successeur à Scalia. La tâche devrait être laissée au prochain Président, qui aura été élu par le peuple américain en connaissance de cause. C’est l’opinion qu’a mise en avant le leader des Républicains au Sénat, Mitch McConnell :

The American people should have a voice in the selection of their next Supreme Court Justice. Therefore, this vacancy should not be filled until we have a new President. (Le peuple américain devrait avoir son mot à dire dans la sélection de son prochain juge à la Cour Suprême. Par conséquent, ce poste vacant ne devrait pas être rempli jusqu’à ce que nous ayons un nouveau Président)

Les candidats républicains à la présidence, qui s’affrontaient lors d’un débat quelques heures seulement après l’annonce de la mort de Scalia, sont allés dans le même sens.

Traduction: Le juge Scalia était un héros américain. Nous lui devons à lui & à la nation, que le Sénat s'assure que ce soit le prochain Président qui nomme son remplaçant.
Traduction: Le juge Scalia était un héros américain. Nous lui devons à lui & à la nation, que le Sénat s’assure que ce soit le prochain Président qui nomme son remplaçant.

Ted Cruz et Marco Rubio ont même affirmé que cela faisait plus de 80 ans qu’un juge n’avait plus été nommé à la Cour Suprême lors de l’année de l’élection présidentielle. Mais ils se trompent. En réalité, c’est arrivé pour la dernière fois en février 1988. Le Sénat avait alors approuvé la nomination d’Anthony Kennedy. Mais il est vrai que son nom avait été proposé par le Président Reagan au Sénat en 1987.

Les Démocrates ne partagent évidemment pas l’avis des Républicains. Ils estiment que Barack Obama est président jusqu’en janvier 2017 et qu’il n’y a donc aucune raison qu’il ne remplisse pas son devoir. Peu importe qu’il soit au début ou à la fin de son mandat. La Cour Suprême ne peut pas fonctionner pendant presque un an avec un siège vacant. Voici ce qu’a déclaré le leader de la minorité démocrate au Sénat, Harry Reid :

The President can and should send the Senate a nominee right away. With so many important issues pending before the Supreme Court, the Senate has a responsibility to fill vacancies as soon as possible. It would be unprecedented in recent history for the Supreme Court to go a year with a vacant seat. (Le Président peut et devrait proposer un candidat au Sénat tout de suite. Avec autant de questions importantes en attente à la Cour Suprême, le Sénat a la responsabilité de remplir les postes vacants le plus rapidement possible. Ce serait sans précédent dans l’histoire récente que la Cour Suprême reste un an avec un siège vacant)

Les deux candidats démocrates à la présidence, Hillary Clinton et Bernie Sanders, ont émis une opinion semblable. Ils ont insisté sur le fait que la Constitution prévoit qu’il revient au Président de nommer les juges de la Cour Suprême, année électorale ou non. On assisterait tout simplement à une honteuse manœuvre politicienne de la part des Républicains.

Traduction: Ce serait une bonne idée pour les Républicains de lire la Constitution des Etats-Unis.
Traduction: Ce serait une bonne idée pour les Républicains de lire la Constitution des Etats-Unis.

Chaque camp risque de camper sur ses positions et le Sénat risque de voter contre toutes les nominations proposées par Barack Obama. Attendez-vous donc à entendre beaucoup parler de cette affaire de succession dans les semaines et mois à venir.

 

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