Hillary Clinton et Bernie Sanders s’affrontaient lors d’un nouveau débat, quarante-huit heures seulement après la fermeture des bureaux de vote au New Hampshire. Compte-rendu.
INTRODUCTION
Ce sixième débat démocrate était organisé par la chaîne PBS mais il était également diffusé en direct sur CNN. Il avait lieu à l’Université de Milwaukee (Wisconsin), quarante-huit heures seulement après que Bernie Sanders ait largement remporté la primaire du New Hampshire.
Ce débat n’a pas apporté de grandes nouveautés par rapport au précédent (dont vous pouvez lire le compte-rendu ici). Bernie Sanders continue de critiquer Hillary Clinton pour les contributions financières qu’elle reçoit de la part de Wall Street. Hillary Clinton continue d’affirmer que Bernie Sanders fait des promesses qu’il ne pourra pas tenir. Un élément nouveau a tout de même fait son apparition lorsque les candidats ont débattu autour de la personnalité de… Henry Kissinger.
LE DÉBAT
Participants: Hillary Clinton & Bernie Sanders
Modératrices: Judy Woodruff & Gwen Ifill, journalistes à PBS
Durée du débat: 2h
Compte-rendu:
- Hillary Clinton et le vote des femmes
Hillary Clinton a longtemps insisté sur le fait qu’elle pourrait devenir la première femme à accéder à la présidence des Etats-Unis et que cela constituait un argument important en sa faveur. Par exemple, lors d’un précédent débat, elle avait cité le fait d’être une femme comme réponse à la question de savoir ce qu’elle apporterait de plus que les autres candidats à la Maison Blanche. Interrogée sur le fait qu’une majorité de femmes ait voté en faveur de Bernie Sanders lors de la primaire du New Hampshire, Clinton a quelque peu rectifié le tir en assurant qu’elle ne demandait pas aux gens de la soutenir parce qu’elle était une femme.
I’m not asking people to support me because I’m a woman. (Je ne demande pas aux gens de me soutenir parce que je suis une femme)
Elle a cependant répété que les droits des femmes avaient toujours été importants pour elle et qu’il y avait encore des barrières à abattre dans la société. Par conséquent, elle a assuré qu’elle continuerait de faire des droits des femmes l’un des sujets de sa campagne.
- Les violences policières et les discriminations raciales
La question du racisme et des violences policières a été longuement abordée. Sanders et Clinton sont d’accord pour dire qu’il faut réformer la police, tout comme le système judiciaire dans son ensemble. Comme l’a dit Bernie Sanders :
We are sick and tired of seeing videos on television of unarmed people, often African-Americans, shot by police officers. (Nous en avons ras-le-bol de voir à la télévision des vidéos de personnes non-armées, souvent des afro-américains, tuées par des officiers de police)
Clinton a aussi insisté sur le fait qu’au-delà du système judiciaire, il fallait également combattre les discriminations dont sont victimes les afro-américains dans d’autres domaines, comme l’éducation ou l’emploi.
- Barack Obama
On a beaucoup parlé du Président Obama lors de ce débat. Hillary Clinton a en effet accusé Bernie Sanders d’avoir été trop critique à son égard, en le qualifiant de « lâche » et de « déception ».
The kind of criticism that we’ve heard from Senator Sanders about our president, I expect from Republicans. I do not expect from someone running for the democratic nomination to succeed President Obama. (Le genre de critiques à propos de notre président que nous avons entendues du sénateur Sanders, je m’y attends de la part des Républicains. Je ne m’y attends pas de la part de quelqu’un qui est candidat à l’investiture démocrate pour succéder au Président Obama)
Sanders n’a pas apprécié l’attaque de Clinton et a affirmé qu’il avait beaucoup de respect pour Barack Obama et pour son bilan. Il a aussi rappelé qu’il avait soutenu la candidature d’Obama à la présidence en 2008 et en 2012. Mais, a-t-il ajouté, rien n’interdit d’avoir des désaccords avec le Président sur certains sujets et il a reconnu avoir émis des critiques sur certains points.
A United States senator had the right to disagree with the president, including a president who has done such an extraordinary job. So I have voiced criticisms. You’re right. (Un sénateur des Etats-Unis avait le droit de ne pas être d’accord avec le président, y compris un président qui a fait un travail si extraordinaire. Donc j’ai exprimé des critiques. Vous avez raison)
Clinton répliquera qu’on peut bien sûr avoir des désaccords sur certains sujets mais que ce qu’elle reproche à Sanders, ce sont des attaques personnelles envers le Président, comme le fait de le qualifier globalement de « déception ». Réponse de Sanders ?
Well, one of us ran against Barack Obama. I was not that candidate. (Et bien, l’un d’entre nous a fait campagne contre Barack Obama. Je n’étais pas ce candidat)
Référence à la campagne des primaires démocrates de 2008, qui avait été très tendue entre Barack Obama et Hillary Clinton.
Pourquoi cette dispute autour de Barack Obama? Il est fort probable qu’Hillary Clinton ait lancé cette attaque contre Sanders pour montrer à l’électorat afro-américain (un électorat important pour le Parti Démocrate et auprès duquel Barack Obama reste très populaire) qu’elle se revendiquait comme l’héritière du Président, alors que Sanders était plus critique à son égard.
- Henry Kissinger, l’invité surprise
Il faut avouer qu’on ne s’y attendait pas. Après avoir encore une fois attaqué Hillary Clinton sur son vote en faveur du déclenchement de la guerre en Irak en 2002, Bernie Sanders a innové en attaquant également l’ancienne Secrétaire d’Etat pour avoir fait part de sa fierté d’avoir été complimentée par Henry Kissinger.
[Pour ceux qui ne connaîtraient pas Henry Kissinger, le voici.
Il est aujourd’hui âgé de 92 ans. Il est né en Allemagne dans une famille de confession juive qui fuira le régime nazi en 1938 pour s’établir à New York. Kissinger obtiendra la nationalité américaine et étudiera les sciences politiques. Il est l’auteur de nombreux livres consacrés à la politique étrangère des Etats-Unis. Adepte de la realpolitik, il occupera le poste de Secrétaire d’Etat au sein de l’administration Nixon. Il a donc occupé ce poste pendant la majeure partie de la guerre du Vietnam. Il a ensuite contribué au rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine communiste. Il reste une figure importante dans le monde de la diplomatie]
Bernie Sanders a donc reproché à Hillary Clinton son respect pour Henry Kissinger et s’est inquiété du fait qu’elle puisse écouter ses conseils.
I find it rather amazing, because I happen to believe that Henry Kissinger was one of the most destructive secretaries of state in the modern history of this country. I am proud to say that Henry Kissinger is not my friend. I will not take advice from Henry Kissinger. And in fact, Kissinger’s actions in Cambodia, when the United States bombed that country, overthrew Prince Sihanouk, created the instability for Pol Pot and the Khmer Rouge to come in, who then butchered some 3 million innocent people, one of the worst genocides in the history of the world. So count me in as somebody who will not be listening to Henry Kissinger. (Je trouve cela plutôt incroyable, parce que je crois qu’Henry Kissinger fut l’un des secrétaires d’état les plus destructeurs de l’histoire moderne de ce pays. Je suis fier de dire qu’Henry Kissinger n’est pas mon ami. Je ne suivrai jamais les conseils d’Henry Kissinger. Et en réalité, les actions de Kissinger au Cambodge, lorsque les Etats-Unis ont bombardé ce pays, ont renversé le Prince Sihanouk, ont créé l’instabilité qui a permis à Pol Pot et aux Khmers Rouges de prendre le pouvoir, eux qui ont ensuite massacré 3 millions de personnes innocentes, l’un des pires génocides dans l’histoire du monde. Donc comptez sur moi pour ne pas écouter Henry Kissinger)
Clinton a répliqué en affirmant qu’elle était à l’écoute de toutes les personnes ayant une certaine expertise dans le domaine de la politique étrangère, ce qui ne signifiait pas pour autant qu’elle était toujours entièrement d’accord avec eux.
- Sources d’inspiration
Les journalistes ont demandé aux deux candidats de répondre à une question posée par un internaute sur Facebook. Il s’agissait de nommer deux chefs d’état – un américain et un étranger – comme sources d’inspiration. Comme figure américaine, Sanders et Clinton ont tous les deux cité le Président Franklin Delano Roosevelt, qui a changé la vision du rôle du gouvernement aux Etats-Unis. En ce qui concerne la figure étrangère, Bernie Sanders a choisi l’ancien Premier Ministre britannique Winston Churchill. Il a précisé que Churchill était bien trop conservateur à son goût sur de nombreux sujets mais qu’il admirait la façon dont il avait réussi à unir la nation britannique de manière efficace pour vaincre l’Allemagne nazie. Hillary Clinton a quant à elle choisi de citer Nelson Mandela.
- Les phrases de la soirée
Well, Secretary Clinton, you’re not in the White House yet. (Et bien, Secrétaire Clinton, vous n’êtes pas encore à la Maison Blanche)
– Bernie Sanders
I am not a single-issue candidate, and I do not believe we live in a single-issue country. (Je ne suis pas la candidate d’un seul problème, et je ne crois pas que nous vivions dans un pays qui n’a qu’un seul problème)
– Hillary Clinton, reprochant à Bernie Sanders de n’axer sa campagne que sur un seul et unique thème.
- L’expression de la soirée
The Trumps of the world (Les Trumps du monde)
C’est la nouvelle expression de Bernie Sanders. Il a en effet utilisé ce terme à plusieurs reprises au cours du débat, pour désigner toutes les personnes tentant de « diviser l’Amérique ».
VAINQUEURS ET PERDANTS
Il est fort probable qu’à l’issue de ce débat, chaque camp estime que son candidat en soit sorti vainqueur. Mais la presse américaine désignait dans sa large majorité Hillary Clinton comme la gagnante, et nous partageons cet avis. Ce qui ne signifie pas pour autant que la performance de Sanders ait été catastrophique.
- Les gagnants
Hillary Clinton. Elle n’a laissé apparaître aucun signe de frustration malgré sa lourde défaite au New Hampshire deux jours plus tôt, ce qui aura certainement rassuré ses supporters. Sa prestation fut convaincante et elle a réussi à faire avouer à son adversaire qu’il avait parfois été critique à l’encontre du Président Obama. Sans doute un bon point pour conserver la large avance dont elle dispose auprès des électeurs afro-américains. Enfin, elle n’a guère été mise en danger par les questions posées. Les modératrices du débat n’ont en effet pas abordé une seule fois l’épineuse question de ses e-mails ni sa gestion de la crise à Benghazi.
CNN. Le débat a réuni 8 millions de téléspectateurs. La moitié l’a regardé sur CNN et non sur PBS, la chaîne organisatrice.
Les débats républicains. Il faut reconnaître que les débats républicains ont jusqu’ici été très animés et riches en rebondissements, alors que les débats démocrates se suivent et se ressemblent. Or, quand il s’agit de suivre un débat à 3h du matin (décalage horaire oblige), on aime bien qu’il y ait de l’animation et quelques surprises. [Certains diront que l’on aime un peu trop la politique spectacle. Critique à moitié acceptée ;)]
- Les perdants
Bernie Sanders. Si Clinton est désignée comme la gagnante, Sanders occupe forcément la place du perdant. Et il est vrai qu’il a montré certaines limites en répondant presque systématiquement à toutes les questions posées (sauf celles sur la politique étrangère) en attaquant les « milliardaires ». On a de plus en plus l’impression qu’il répète exactement les mêmes phrases de débat en débat. Pour autant, il n’a commis aucune gaffe qui aurait pu décevoir ses supporters. Et il a paru plus solide que lors des débats précédents sur le thème de la politique étrangère.
Henry Kissinger. L’ancien Secrétaire d’Etat républicain ne s’attendait sans doute pas à voir son nom apparaître lors d’un débat démocrate en 2016. Et ce ne fut pas que pour dire du bien de lui…
Le prochain débat démocrate aura lieu le 6 mars à Flint, cette ville du Michigan touchée par un scandale d’eau empoisonnée. Il sera organisé par CNN.