Mercredi 9 mars, Hillary Clinton et Bernie Sanders s’affrontaient lors d’un nouveau débat à Miami. Compte-rendu.
INTRODUCTION
Trois jours seulement après avoir débattu à Flint, les candidats démocrates se retrouvaient pour une autre discussion à Miami. C’était le dernier débat prévu au calendrier démocrate et donc, en principe, la dernière fois que l’on voyait Hillary Clinton et Bernie Sanders s’affronter.
Le débat était co-organisé par Univision, la plus grande chaîne de télévision hispanophone des Etats-Unis, et le Washington Post. Il était diffusé en direct sur Univision ainsi que sur CNN.
Le débat étant organisé par Univision, il s’est focalisé sur les questions qui préoccupent particulièrement la communauté latino-américaine. On y a beaucoup parlé d’immigration. On y a aussi parlé de Cuba.
LE DÉBAT
Participants: Hillary Clinton, Bernie Sanders
Modérateurs: Jorge Ramos et Maria Elena Salinas, journalistes à Univision & Karen Tumulty, journaliste au Washington Post
Durée du débat: 2h
Compte-rendu:
- Les e-mails d’Hillary Clinton, le retour
La question de la gestion de ses e-mails par Hillary Clinton lorsqu’elle était Secrétaire d’Etat a été très rapidement abordée par Jorge Ramos. Hillary Clinton a répété qu’avoir utilisé uniquement un serveur privé (et non un serveur sécurisé par le Département d’Etat) avait été une erreur, mais qu’elle n’avait pas pour autant enfreint la loi. C’est vrai dans la mesure où aucune loi n’interdisait formellement à l’époque au Secrétaire d’Etat d’utiliser uniquement une adresse e-mail privée. Une telle loi existe désormais mais elle est entrée en vigueur deux ans après que Clinton ait quitté son poste. En revanche, des directives internes recommandaient au personnel du Département d’Etat d’utiliser un serveur professionnel sécurisé. Clinton affirmera également que ses prédécesseurs ont fait la même chose qu’elle, ce qui est faux. Colin Powell a bien avoué avoir envoyé certains e-mails professionnels depuis son adresse privée, mais il disposait aussi d’une adresse professionnelle du Département d’Etat qu’il a utilisée la majeure partie du temps. Clinton est la seule Secrétaire d’Etat à avoir utilisé UNIQUEMENT une adresse privée pour toutes ses correspondances. Jorge Ramos finira par lui demander si elle se retirerait de la course à la présidence si elle venait à être inculpée. Clinton, très agacée par cette question, refusera d’y répondre.
Oh, for goodness, that’s not going to happen. I’m not even answering that question. (Oh, pour l’amour de Dieu, cela n’arrivera pas. Je ne réponds même pas à cette question)
Ramos n’insistera pas davantage et Bernie Sanders refusera encore une fois d’attaquer Clinton à ce sujet.
- Donald Trump est-il raciste ?
Les journalistes ont demandé aux deux candidats démocrates s’ils pensaient que le candidat républicain Donald Trump était raciste. Hillary Clinton et Bernie Sanders critiqueront tous les deux Trump mais aucun ne répondra catégoriquement par l’affirmative à la question. Hillary Clinton dira que les américains peuvent se faire leur propre opinion à ce sujet. Elle rappellera tout de même qu’elle a critiqué vigoureusement Trump lorsqu’il a qualifié l’ensemble des immigrants mexicains de violeurs. Elle en profitera même pour glisser un petit mot en espagnol dans sa déclaration.
When he was engaging in rhetoric that I found deeply offensive, I said basta ! (Lorsqu’il a utilisé une rhétorique que j’ai trouvé profondément offensante, j’ai dit basta !)
- Longue discussion sur l’immigration
L’immigration fut le thème le plus longuement abordé lors de ce débat. Les deux candidats s’accuseront mutuellement de ne pas avoir toujours été aussi conciliants avec les immigrés illégaux qu’ils ne le sont aujourd’hui. Hillary Clinton accusera ainsi Bernie Sanders d’avoir voté contre la loi de réforme de l’immigration en 2007. Sanders se défendra en disant qu’il s’y est opposé, comme certaines associations latinos, parce que le projet ne garantissait aucune protection aux travailleurs immigrés. D’après lui, le statut prévu pour ces guestworkers s’apparentait presque à de l’esclavage. En retour, Sanders accusera Clinton de s’être prononcée contre l’octroi du permis de conduire aux personnes en situation irrégulière lorsqu’elle était sénatrice de New York.
Au-delà de ces accusations mutuelles, il faut surtout retenir qu’Hillary Clinton et Bernie Sanders se sont accordés sur l’essentiel. Tous les deux ont déclaré qu’ils entendaient mener à bien une nouvelle réforme de l’immigration qui permettrait aux onze millions de personnes présentes illégalement sur le territoire d’acquérir la citoyenneté américaine. Pressés par Jorge Ramos, ils s’engageront également tous les deux à ne plus expulser aucune personne en situation irrégulière si elle n’a pas de casier judiciaire. C’est une promesse importante et les deux candidats se distinguent là du Président Obama dont l’administration pratique les expulsions.
Hillary Clinton profitera aussi de cette discussion sur l’immigration pour se moquer ouvertement de Donald Trump et de son fameux mur.
He’s talking about a very tall wall, right? A beautiful tall wall. The most beautiful tall wall, better than the Great Wall of China, that would run the entire border. That he would somehow magically get the Mexican government to pay for. And, you know, it’s just fantasy. (Il parle d’un très haut mur, n’est-ce pas? Un beau haut mur. Le plus beau haut mur, mieux que la Grande Muraille de Chine, qui longerait toute la frontière. Et qu’il parviendrait par magie à faire payer au gouvernement mexicain. Et, vous savez, ce n’est qu’un fantasme)
- L’économie
En ce qui concerne l’économie, le débat fut exactement le même qu’à Flint trois jours plus tôt. Hillary Clinton a de nouveau reproché à Bernie Sanders de ne pas avoir voté en faveur du plan de sauvetage de l’industrie automobile en 2009. Sanders a de nouveau reproché à Clinton ses liens avec les financiers de Wall Street.
- L’éducation
Bernie Sanders continue d’affirmer qu’il a l’intention de rendre l’enseignement supérieur totalement gratuit, afin que tout le monde puisse y avoir accès. Clinton l’a encore une fois accusé de faire des promesses qu’il ne pourrait pas tenir. Elle affirme notamment que le plan de Sanders serait impossible à financer. Elle dira même des promesses de Sanders :
If it sounds too good to be true, it probably is. (Si cela paraît trop beau pour être vrai, ça l’est probablement)
- Cuba
Comment ne pas évoquer Cuba lors d’un débat ayant lieu à Miami et organisé par une chaîne de télévision hispanophone? Jorge Ramos qualifiera d’ailleurs sa première question sur Cuba de Welcome to Miami Question. Il rappellera que le Président Obama doit bientôt se rendre en visite à Cuba. Ce sera le premier président américain à se rendre sur l’île depuis Calvin Coolidge en 1928 ! Ramos a demandé à Hillary Clinton si elle serait prête à se rendre elle aussi à Cuba et si elle considérait Raul Castro comme un dictateur. Clinton s’est montrée très critique vis-à-vis du régime cubain.
I think both Castros have to be considered authoritarian and dictatorial. (Je pense que les deux Castros doivent être considérés comme autoritaires et dictatoriaux)
Mais Clinton a aussi déclaré qu’elle approuvait la politique de Barack Obama. D’après elle, avoir de meilleures relations avec Cuba permettra d’encourager plus efficacement le gouvernement cubain à faire des réformes démocratiques.
Bernie Sanders devra quant à lui se justifier de déclarations faites en 1985. À l’époque, il avait tenu des propos plutôt positifs à l’égard de Fidel Castro. Une vidéo a été diffusée. On y voyait Sanders tenir les propos suivants :
You may recall way back in, when was it, 1961, they invaded Cuba, and everybody was totally convinced that Castro was the worst guy in the world. All the Cuban people were going to rise up in rebellion against Fidel Castro. They forgot that he educated their kids, gave them health care, totally transformed their society. (Vous devez vous rappeler il y a longtemps, quand était-ce, 1961, ils ont envahi Cuba, et tout le monde était convaincu que Castro était le pire homme du monde. Tous les cubains allaient s’élever en rébellion contre Fidel Castro. Ils avaient oublié qu’il avait éduqué leurs enfants, qu’il leur avait donné la santé, qu’il avait totalement transformé leur société)
Sanders se justifiera en disant que ces propos visaient avant tout à dénoncer la politique d’ingérence des Etats-Unis en Amérique Latine, que ce soit à Cuba, au Nicaragua, au Chili etc. Les Etats-Unis ont eu tort d’intervenir partout en Amérique Latine pour imposer des régimes leur étant favorables. Les journalistes lui demanderont s’il regrette les propos qu’il a tenus à l’égard de Fidel Castro. Sa réponse sera nuancée.
Cuba is, of course, an authoritarian undemocratic country, and I hope very much as soon as possible it becomes a democratic country. But on the other hand, it would be wrong not to state that in Cuba they have made some good advances in health care. They are sending doctors all over the world. They have made some progress in education. (Cuba est, bien sûr, un pays autoritaire non-démocratique, et j’espère qu’il deviendra un pays démocratique le plus vite possible. Mais d’un autre côté, il serait faux de ne pas déclarer qu’ils ont fait de bons progrès en matière de santé à Cuba. Ils envoient des médecins partout dans le monde. Ils ont fait des progrès en matière d’éducation)
Hillary Clinton, comprenant bien que ces propos pourraient nuire à Sanders auprès de la communauté cubaine de Floride, en rajoutera une couche :
I think in that same interview, he praised what he called the revolution of values in Cuba and talked about how people were working for the common good, not for themselves. I just couldn’t disagree more. You know, if the values are that you oppress people, you disappear people, you imprison people or even kill people for expressing their opinions, for expressing freedom of speech, that is not the kind of revolution of values that I ever want to see anywhere. (Je pense que dans la même interview, il a fait l’éloge de ce qu’il a appelé la révolution des valeurs à Cuba et il parlait du fait que les gens travaillaient pour le bien commun, et non pour eux-mêmes. Je ne peux pas être plus en désaccord. Vous savez, si les valeurs sont que vous opprimez les gens, que vous faites disparaître des gens, que vous emprisonnez des gens ou même que vous tuez des gens parce qu’ils expriment leurs opinions, parce qu’ils font usage de leur liberté d’expression, ce n’est pas le genre de révolution des valeurs que je veux voir où que ce soit)
Les opposants républicains de Clinton ne manqueront sans doute pas de lui faire remarquer que si elle est aussi critique du régime castriste, il est étrange qu’elle dise soutenir le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba initié par Barack Obama.
- La phrase de la soirée
I am not a natural politician, in case you haven’t noticed, like my husband or President Obama. (Je ne suis pas une politicienne de nature, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, comme mon mari ou le Président Obama)
Déclaration d’Hillary Clinton pour expliquer le fait que beaucoup d’américains aient une mauvaise image d’elle. Les journalistes venaient de rappeler que d’après tous les sondages réalisés récemment, une majorité d’américains la considèrent comme « malhonnête » et « pas digne de confiance ».
VAINQUEURS ET PERDANTS
Pour une fois, nous commencerons par les perdants. En effet, nous pensons qu’Hillary Clinton et Bernie Sanders sortent tous deux davantage perdants que gagnants de ce débat. La presse américaine n’était pas forcément de notre avis et a eu du mal à s’accorder. Certains estimaient que Clinton était la gagnante du débat et Sanders le perdant, d’autres disaient exactement l’inverse. Chacun son opinion donc. Nous nous permettons simplement de vous faire partager la nôtre.
- Les perdants
Hillary Clinton. Les journalistes n’ont pas épargné Clinton puisqu’ils lui ont posé des questions sur ses e-mails, sur sa gestion de la crise à Benghazi ou encore sur le fait qu’une majorité d’américains la pensent « malhonnête ». Pas vraiment l’idée que l’on se fait de la soirée idéale. Et Clinton a parfois eu du mal à masquer son agacement. Elle a même fait preuve d’une arrogance certaine en refusant de répondre à l’une des questions de Jorge Ramos.
Bernie Sanders. Rien de dramatique pour Bernie Sanders. Sa performance était assez semblable aux précédentes. Mais ses propos sur Cuba et Fidel Castro ne vont sans doute pas l’aider à gagner des voix en Floride.
- Les gagnants
Les immigrants illégaux. Clinton et Sanders se sont tous les deux engagés à ne plus expulser aucune personne en situation irrégulière (sauf en cas de casier judiciaire) s’ils étaient élus à la Maison Blanche.
Le costume de Bernie Sanders. Certains internautes le voyaient brun, d’autres bleu. La question a fait débat tout au long de la soirée sur les réseaux sociaux.
Rand Paul. L’ex-candidat républicain à la présidence a de nouveau mis le feu à Twitter alors même que le débat démocrate battait son plein. Tout est parti d’une information indiquant qu’Hillary Clinton aurait rémunéré un cabinet de gestion à hauteur de 90,000$ pour que celui-ci établisse une liste de treize chansons à diffuser lors de ses meetings. Rand Paul a repris cette information dans un premier tweet.

Il a ensuite proposé sa propre liste de chansons à Hillary Clinton.

Paul proposera six chansons au total. En voici deux.

