Le directeur du FBI a tenu hier une conférence de presse lors de laquelle il a présenté les conclusions de l’enquête relative aux e-mails d’Hillary Clinton. Nous vous expliquons ce qu’il fallait en retenir.
1 – QU’EST-CE QUE L’ « AFFAIRE DES E-MAILS » ?
Un petit rappel des faits s’impose. Lorsqu’elle était Secrétaire d’Etat (2009-2013), Hillary Clinton a utilisé UNIQUEMENT un serveur privé pour sa correspondance électronique. Autrement dit, elle ne disposait pas d’une adresse e-mail professionnelle sur le système sécurisé du Département d’Etat. Elle utilisait la même adresse électronique personnelle pour son courrier professionnel et pour son courrier personnel. Notons qu’aucun des prédécesseurs de Clinton au poste de Secrétaire d’Etat n’avait jamais agi de la sorte. Ils disposaient tous d’une adresse professionnelle administrée par le Département d’Etat. Pourquoi Hillary Clinton n’a-t-elle pas voulu se créer une telle adresse? Elle a toujours affirmé qu’il s’agissait d’une simple question de facilité, tout en reconnaissant qu’elle avait commis une erreur.
Précisons qu’en ne se créant pas d’adresse professionnelle sur le serveur du Département d’Etat, Hillary Clinton n’a pas enfreint la loi. Aucune loi n’obligeait en effet à l’époque les membres du Département d’Etat à se créer une telle adresse (ndlr: une telle loi existe désormais mais elle est entrée en vigueur en août 2013, soit plusieurs mois après qu’Hillary Clinton ait quitté son poste). Néanmoins, il était vivement recommandé de le faire dans un mémo interne du Département d’Etat datant de 2005. Clinton n’a donc pas enfreint la loi, mais elle n’a pas respecté les directives internes du Département.
Pourquoi l’affaire a-t-elle pris une telle ampleur? Premièrement, étant donné que les e-mails d’Hillary Clinton étaient stockés uniquement sur le serveur privé qu’elle avait fait installer à son propre domicile, sa correspondance n’était pas automatiquement archivée par le Département d’Etat. En décembre 2014, soit près de deux ans après avoir quitté son poste de Secrétaire d’Etat, Clinton a finalement transmis ses e-mails au Département d’Etat afin qu’ils soient archivés. Ou plutôt, une partie de ses e-mails. Ses avocats avaient en effet été chargés de faire le tri entre les e-mails relatifs à son activité professionnelle de Secrétaire d’Etat et les autres, relevant de la sphère privée. Seuls les premiers ont été transmis au Département d’Etat, soit un peu plus de 30,000 messages sur un total de 60,000. Les 30,000 e-mails considérés comme privés ont quant à eux été définitivement effacés. Problème? Personne n’a pu vérifier – et ne peut plus vérifier – que ces 30,000 e-mails étaient bien privés et n’avaient pas à être archivés. Deuxièmement, le serveur privé d’Hillary Clinton n’a pas été sécurisé par les experts du Département d’Etat. Il aurait donc pu être piraté plus facilement par des gouvernements étrangers, ou d’autres pirates informatiques. Ceux-ci auraient ainsi pu mettre la main sur des informations confidentielles.
2 – QUELLES SONT LES CONCLUSIONS DE L’ENQUÊTE DU FBI ?
Hier, le directeur du FBI, James Comey, a tenu une conférence de presse lors de laquelle il a présenté les conclusions de l’enquête menée par son agence sur l’affaire des e-mails. L’enquête devait permettre de savoir s’il y avait lieu d’engager des poursuites judiciaires contre Hillary Clinton. La bonne nouvelle pour la candidate démocrate, c’est que Comey a annoncé que le FBI recommandait au Département de la Justice de NE PAS entamer de poursuites contre elle. C’est en effet au Département de la Justice que reviendra la décision finale. Le FBI ne fait que lui faire part de ses recommandations. Mais la Ministre de la Justice, Loretta Lynch, a d’ores et déjà annoncé qu’elle suivrait à la lettre les recommandations du FBI. Hillary Clinton ne sera donc pas inquiétée. Cependant, les conclusions de l’enquête du FBI sont accablantes pour l’ex-Secrétaire d’Etat. Alors qu’elle était déjà considérée par bon nombre d’américains comme malhonnête et peu digne de confiance, les déclarations de Comey ne risquent pas d’arranger les choses.
Tout d’abord, le FBI a établi que 110 e-mails (parmi les 30,000 transmis par Clinton au Département d’Etat) contenaient des informations classifiées au moment où ils avaient été envoyés ou reçus. Certaines de ces informations classifiées étaient même classées Top Secret. Les autres étaient classées comme Secret ou Confidential. Or, Hillary Clinton a toujours affirmé qu’elle n’avait JAMAIS envoyé ou reçu d’informations classifiées depuis son serveur privé. Elle a donc clairement menti à ce sujet. 2,000 autres e-mails contenaient des informations qui ont été classifiées rétroactivement, mais qui ne l’étaient pas au moment où les messages ont été envoyés ou reçus.
Le FBI a aussi mis la main sur des e-mails qui n’avaient pas été transmis par Clinton au Département d’Etat alors qu’ils contenaient pourtant des informations relatives à son travail de Secrétaire d’Etat. Les enquêteurs ont retrouvé la trace de ces e-mails dans les boîtes mails de personnes avec qui Hillary Clinton correspondait. Parmi ces e-mails, trois contenaient des informations classifiées. Comey a toutefois précisé que rien ne prouvait qu’Hillary Clinton ait volontairement omis de transmettre ces e-mails au Département d’Etat dans le but de dissimuler des informations. Il est possible qu’elle les ait effacés (comme n’importe qui peut parfois effacer des messages de sa boîte de réception) avant que ses avocats n’effectuent le fameux tri visant à déterminer quels e-mails renvoyer au Département d’Etat. Il est aussi possible que les avocats aient classé par erreur ces e-mails comme privés lors du tri. En effet, l’enquête du FBI révèle que les avocats de Clinton n’ont pas lu l’entièreté des e-mails de leur cliente. Ils ont utilisé uniquement les titres des e-mails ainsi que des mots-clés pour effectuer le tri en question. Par conséquent, le FBI estime qu’il est possible que certains des e-mails considérés comme privés et ayant été définitivement effacés aient en réalité contenu des informations professionnelles.
Enfin, le FBI n’a trouvé aucune preuve indiquant que le serveur de Clinton ait été piraté. Par contre, les adresses e-mails de certains de ses correspondants l’ont bien été. Par conséquent, bien qu’il n’en ait pas la preuve, le FBI estime qu’il est possible que des gouvernements étrangers et/ou d’autres pirates informatiques aient eu accès à la boîte mail d’Hillary Clinton.
Conclusion? Le FBI ne peut pas prouver qu’Hillary Clinton ait volontairement enfreint la loi (d’où l’absence de poursuites), mais estime qu’elle a été « extrêmement négligente ». Pour reprendre les mots de James Comey :
Although we did not find clear evidence that Secretary Clinton or her colleagues intended to violate laws governing the handling of classified information, there is evidence that they were extremely careless in their handling of very sensitive, highly classified information. (Bien que nous n’ayons pas trouvé de preuves qu’Hillary Clinton ou ses collègues aient eu l’intention d’enfreindre les lois relatives à la gestion des informations classifiées, il y a des preuves qu’ils ont été extrêmement négligents dans leur gestion d’informations très sensibles et classifiées)
D’après le FBI, la négligence sans volonté claire d’enfreindre la loi n’est donc pas suffisante pour intenter des poursuites contre Clinton. Pour justifier cette opinion, James Comey s’est notamment basé sur de précédentes affaires judiciaires relatives à la mauvaise gestion d’informations classifiées. Toutes ces affaires impliquaient selon lui « une mauvaise gestion clairement intentionnelle et déterminée des informations classifiées; ou de grandes quantités d’informations exposées qui permettent de soutenir la thèse d’une mauvaise conduite intentionnelle; ou des indications de déloyauté envers les Etats-Unis; ou des efforts pour faire obstruction à la justice. Ce n’est pas le cas ici ».
Les Républicains ne sont évidemment pas du tout d’accord avec Comey. D’après eux, la négligence est habituellement suffisante pour poursuivre un individu qui a mis en danger la sécurité nationale des Etats-Unis en partageant des informations confidentielles de manière inappropriée, peu importe qu’il l’ait fait intentionnellement ou non. Lors de sa conférence de presse, Comey a d’ailleurs lui-même parlé d’une législation fédérale qui considère comme un crime le fait de « mal gérer des informations classifiées de manière intentionnelle ou d’une manière grossièrement négligente« . Sans doute le FBI a-t-il estimé que la négligence de Clinton n’était pas suffisamment grossière. Les Républicains ont une autre explication. Si Hillary Clinton échappe aux poursuites, ce serait uniquement parce qu’elle s’appelle Hillary Clinton. Dans une carte blanche publiée par le TIME (à lire ici), Rand Paul qualifie la décision du FBI de ne pas recommander de poursuites à l’encontre de Clinton de « scandale ». D’après lui, n’importe quel autre fonctionnaire ou militaire qui aurait été si négligent avec la sécurité nationale aurait été poursuivi en justice et probablement licencié. Il mentionne même le cas d’un employé du Département d’Etat qui a été licencié par Hillary Clinton parce qu’il n’avait pas respecté certaines procédures. Paul écrit aussi que la loi prévoit de sanctionner la négligence, intentionnelle ou non. Enfin, Paul met aussi en avant le fait qu’une rencontre entre Bill Clinton et la Ministre de la Justice ait curieusement eu lieu quelques jours à peine avant que le FBI ne rende sa décision. James Comey a pourtant bien insisté lors de sa conférence de presse sur le fait que l’enquête du FBI ait été menée de manière totalement indépendante.
3 – QUELQUES RÉACTIONS RÉPUBLICAINES
Outre la carte blanche de Rand Paul, nous avons sélectionné quelques autres réactions républicaines.
Donald Trump
Pour Trump, l’absence de poursuites contre Hillary Clinton est la preuve ultime que le « système » est totalement « truqué » en faveur des puissants.

Paul Ryan
Dans un communiqué, Ryan a estimé que la décision du FBI de ne pas recommander de poursuites à l’encontre de Clinton « défie l’entendement ».
Mike Huckabee
Huckabee a choisi de réagir avec humour sur Twitter.

NB: En anglais, l’expression « walk on thin ice » est l’équivalent de notre « marcher sur des œufs ».
Ted Cruz
Ted Cruz a lui aussi choisi l’humour en partageant sur son compte Twitter une vidéo parodique que son équipe de campagne avait déjà utilisée lors des primaires.
La vidéo met en scène une fausse Hillary Clinton en train de détruire une tour d’ordinateur à l’aide d’une batte de baseball. Le tout accompagné d’une chanson de rap.
4 – CONCLUSION
Hillary Clinton peut être soulagée d’échapper à des poursuites judiciaires qui auraient probablement incité les délégués démocrates à choisir un autre candidat à la présidence, malgré sa victoire lors des primaires. Mais si elle échappe au pire, les conclusions de l’enquête du FBI risquent de ternir encore davantage son image auprès des électeurs américains. Les Républicains continueront aussi d’utiliser l’affaire des e-mails comme un argument anti-Clinton majeur.
La déclaration complète de James Comey lors de sa conférence de presse a été publiée sur le site web du FBI. Voici le lien permettant d’y accéder: