Le débat opposant les candidats à la vice-présidence s’est tenu le mardi 4 octobre. Il opposait le sénateur de Virginie Tim Kaine au gouverneur de l’Indiana Mike Pence. Compte-rendu.
INTRODUCTION
L’unique débat entre candidats à la vice-présidence* avait lieu à Farmville, en Virginie, sur le campus de la Longwood University. Il devait durer 90 minutes, sans aucune interruption. Comme les débats présidentiels, il était diffusé en direct sur toutes les grandes chaînes de télévision américaines. L’occasion pour deux colistiers encore peu connus de se présenter aux américains.
*NB: Alors que les débats présidentiels sont au nombre de trois, les candidats à la vice-présidence ne s’affrontent qu’une seule fois. Et ce uniquement depuis 1976.
LE DÉBAT
Participants: Tim Kaine, Mike Pence
Modératrice: Elaine Quijano (CBS News)
Durée du débat: 1h30
Compte-rendu:
- Donald Trump omniprésent
La stratégie de Tim Kaine, le colistier d’Hillary Clinton, consistait semble-t-il à parler sans cesse de Donald Trump et de ses déclarations les plus dérangeantes. Il a finalement davantage expliqué aux américains pourquoi il ne fallait pas voter pour Donald Trump, plutôt que de leur expliquer pourquoi voter pour le ticket qu’il compose avec Hillary Clinton. Tout y est passé: les insultes de Donald Trump contre les femmes, le refus de Donald Trump de publier ses déclarations de revenus, les insultes de Donald Trump à l’encontre de John McCain, les compliments adressés par Donald Trump à Vladimir Poutine etc. Tim Kaine a aussi insisté à plusieurs reprises sur les propos de Donald Trump à l’encontre des mexicains, qu’il avait assimilés à des violeurs et des criminels. À tel point que Mike Pence finira par lui adresser un Senator, you’ve whipped out that Mexican thing again (Sénateur, vous avez encore dégainé cette histoire mexicaine).
- Les interruptions à répétition de Tim Kaine
Tim Kaine a donné l’impression d’être particulièrement grossier puisqu’il n’a cessé d’interrompre Mike Pence tout au long de la soirée. Plus de 70 fois en 90 minutes ! Face à ce comportement agaçant, Mike Pence a réussi à conserver son calme. Si le Républicain a remporté le débat, c’est donc en grande partie grâce à la différence entre son attitude et celle de son adversaire. Pour les téléspectateurs, les interruptions à répétition de Tim Kaine étaient très désagréables, voire insupportables. Cela n’a pas échappé à Mike Huckabee, ex-gouverneur de l’Arkansas, qui soutient désormais Donald Trump. Il en a profité pour nous rappeler qu’il avait toujours le sens de la formule.

- Les impôts de Donald Trump
La discussion sur l’économie s’est presque uniquement focalisée sur les impôts de Donald Trump. Après avoir accusé ce dernier de vouloir avant tout diminuer les impôts des plus fortunés, Tim Kaine a insisté sur le fait que le candidat républicain refuse de publier ses déclarations de revenus. Il a aussi dénoncé les propos tenus par Donald Trump lors de son premier débat face à Hillary Clinton. Il avait alors affirmé que ne pas payer d’impôts ferait de lui quelqu’un d’intelligent.
When Hillary said « you haven’t been paying taxes », he said « That makes me smart ». So it’s smart not to pay for our military? It’s smart not to pay for veterans? It’s smart not to pay for teachers? And I guess all of us who do pay for those things, I guess we’re stupid. (Quand Hillary a dit « vous n’avez pas payé d’impôts », il a dit « Cela fait de moi quelqu’un d’intelligent ». Donc c’est intelligent de ne pas payer pour notre armée? C’est intelligent de ne pas payer pour les vétérans? C’est intelligent de ne pas payer pour les enseignants? Et je suppose que nous tous qui payons pour ces choses, je suppose que nous sommes stupides)
La réponse de Mike Pence? Donald Trump est un businessman, pas un politicien professionnel. En tant que bon businessman, il a utilisé des dispositions existantes dans le code fiscal. Il est logique de profiter des déductions fiscales auxquelles on a le droit de prétendre.
- La police et les tensions raciales
Tim Kaine a insisté sur l’importance de rétablir un dialogue constructif entre les forces de police et les citoyens. Il a aussi mentionné la nécessité d’investir davantage dans la santé mentale (ce qu’Hillary Clinton a l’intention de faire) et de durcir la législation en matière d’armes à feu. Il a dénoncé l’approche du tout sécuritaire défendue par Donald Trump.
Après avoir rappelé que l’un de ses oncles était policier, Mike Pence a quant à lui insisté sur la nécessité de donner les moyens nécessaires à la police pour rétablir la loi et l’ordre. La priorité est là, même s’il faudra aussi envisager une réforme de la justice par la suite. Pence a aussi accusé Hillary Clinton d’instrumentaliser chaque événement dramatique pour suggérer que la police est raciste, ce qui est à ses yeux inacceptable. Le racisme n’est pas la seule explication. Pence a évoqué la mort de Keith Lamont Scott, un afro-américain abattu par la police à Charlotte et dont la mort avait provoqué plusieurs nuits d’émeutes dans la ville. Il a rappelé que le policier qui avait abattu Scott était lui-même afro-américain.
What Donald Trump and I are saying is let’s not have the reflex of assuming the worst of men and women in law enforcement. We truly do believe that law enforcement is not a force for racism or division in our country. (Ce que Donald Trump et moi-même disons est n’ayons pas le réflexe de présupposer le pire de la part des hommes et femmes qui portent l’uniforme. Nous croyons vraiment que la police n’est pas une force porteuse de racisme et de division dans notre pays)
- L’immigration
Concernant l’immigration, Mike Pence a totalement défendu la ligne Trump. Il a affirmé que le plan de Donald Trump mettrait fin à l’immigration illégale une bonne fois pour toutes. C’est nécessaire car les immigrants illégaux font baisser les salaires des américains et certains sont des criminels. Tim Kaine a évidemment dénoncé cette approche en accusant Donald Trump de vouloir mettre en place une « brigade d’expulsion » qui serait chargée d’expulser 16 millions de personnes du territoire ! Réponse de Pence? Cette brigade existe déjà. Il s’agit de l’ICE (Immigrations and Customs Enforcement), une agence gouvernementale chargée d’assurer la sécurité à la frontière et d’expulser les personnes en situation irrégulière. Elle n’a simplement actuellement pas les moyens nécessaires pour faire correctement son boulot.
- Le terrorisme et la politique étrangère
Tim Kaine a déclaré que la menace terroriste avait diminué depuis l’arrivée de Barack Obama au pouvoir, en raison notamment de la mort d’Oussama Ben Laden. Pas certain que les américains aient le même sentiment après les attaques terroristes survenues ces derniers mois aux Etats-Unis et en Europe. Mike Pence a quant à lui reconnu que l’administration Obama avait mené à bien l’opération visant à assassiner Ben Laden mais qu’en dehors de cela, le bilan était catastrophique. Le retrait des troupes américaines d’Irak aurait notamment créé un vide permettant à l’Etat Islamique de devenir l’organisation puissante qu’il est aujourd’hui. Pence a aussi dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien.
D’autre part, Tim Kaine a insisté sur l’expérience d’Hillary Clinton en matière de politique étrangère, alors que Donald Trump ne ferait que défendre des idées dangereuses. Kaine a notamment dénoncé l’admiration du candidat républicain pour les dictateurs.
He loves dictators. He’s got kind of a personal Mount Rushmore: Vladimir Putin, Kim Jong-Un, Muammar Gaddafi and Saddam Hussein. (Il aime les dictateurs. Il a une sorte de Mont Rushmore personnel: Vladimir Poutine, Kim Jong-Un, Mouammar Kadhafi et Saddam Hussein)
- Les réfugiés syriens
La question des réfugiés syriens a été évoquée. Tim Kaine et Hillary Clinton veulent continuer à les accueillir alors que Mike Pence et Donald Trump ne le souhaitent pas. Mike Pence a rappelé pourquoi il y était opposé. Le danger que certains d’entre eux soient des terroristes infiltrés serait trop grand et la priorité doit être d’assurer la sécurité des citoyens américains. Il a ajouté que vu le chaos actuel en Syrie, il était impossible de contrôler correctement les antécédents des candidats à l’asile.
- La Russie
La discussion sur la Russie a mis en lumière une forte différence de point de vue entre Mike Pence et Donald Trump ! Alors que Donald Trump a parfois complimenté Vladimir Poutine, Mike Pence l’a qualifié de small and bullying leader of Russia (le petit et brutal leader de la Russie). Lorsque Tim Kaine a rappelé que Mike Pence avait lui-même qualifié récemment Vladimir Poutine de meilleur leader que Barack Obama, Pence a nié avoir jamais prononcé ces mots. « J’ai dit qu’il était plus fort qu’Obama sur la scène internationale », a-t-il répliqué*. Avant d’expliquer qu’il fallait interpréter ces propos comme un constat, et non un quelconque soutien à Poutine.
When Donald Trump and I observe that, as I’ve said in Syria, in Iran, in Ukraine, that the small and bullying leader of Russia has been stronger on the world stage than this administration, that’s stating painful facts. That’s not an endorsement of Vladimir Putin. (Lorsque Donald Trump et moi observons que, comme je l’ai dit, en Syrie, en Iran, en Ukraine, le petit et brutal leader de la Russie a été plus fort sur la scène internationale que cette administration, il s’agit de présenter des faits douloureux. Ce n’est pas un soutien à Vladimir Poutine)
*En réalité, Mike Pence a bien utilisé le terme de « leader ». Ses propos exacts au micro de CNN le mois dernier :
I think it’s inarguable that Vladimir Putin has been a stronger leader in his country than Barack Obama has been in this country. (Je pense qu’il est incontestable que Vladimir Poutine a été un leader plus fort dans son pays que Barack Obama ne l’a été dans ce pays)
Mike Pence a également dénoncé la politique de la Russie en Ukraine et l’annexion de la Crimée, des sujets rarement évoqués par Donald Trump. Et surtout, alors que Donald Trump a plusieurs fois répété qu’il faudrait s’allier avec la Russie pour combattre l’Etat Islamique en Syrie, voici ce que Mike Pence a déclaré :
The provocations by Russia need to be met with American strength. And if Russia chooses to be involved and continue, I should say, to be involved in this barbaric attack on civilians in Aleppo, the United States of America should be prepared to use military force to strike military targets of the Assad regime to prevent them from this humanitarian crisis that is taking place in Aleppo. (Il faut répondre aux provocations de la Russie avec force. Et si la Russie choisit d’être impliquée et continue, je devrais dire, à être impliquée dans cette attaque barbare contre des civils à Alep, les Etats-Unis d’Amérique devraient être préparés à utiliser la force militaire pour toucher des cibles militaires du régime d’Assad et empêcher cette crise humanitaire qui se produit à Alep)
Donald Trump n’a jamais évoqué une intervention militaire américaine contre le régime d’Assad.
- La foi et la politique
L’une des dernières questions posées par la modératrice était typiquement américaine. Elle a demandé à Kaine et Pence, tous deux connus pour être des croyants très pratiquants, de donner un exemple d’un moment où ils avaient eu des difficultés à concilier leur foi personnelle et leur action politique.
Tim Kaine a évoqué la peine de mort. Il a expliqué que l’église catholique y était opposée et qu’il l’était donc également à titre personnel. Il a affirmé qu’il avait été difficile pour lui d’autoriser des exécutions lorsqu’il était gouverneur de Virginie. Mais il s’agissait de faire respecter la loi de l’état. De plus, les condamnations à la peine de mort sont décidées par des jurys populaires.
Mike Pence a répondu moins directement à la question mais a choisi de parler de l’avortement. Celui-ci est légal aux Etats-Unis et il a du mal à le comprendre. Il a même interpellé Tim Kaine en lui demandant comment il pouvait défendre certaines prises de position d’Hillary Clinton alors qu’il est lui-même personnellement opposé à l’avortement en tant que catholique. Tim Kaine a répondu qu’il fallait essayer de créer une culture favorable à la vie mais qu’il était hors de question d’interdire aux femmes d’avorter. Il faut laisser chaque femme libre de sa décision. D’après Tim Kaine, chacun doit essayer de suivre les préceptes de sa religion mais ne doit pas chercher à les imposer à l’ensemble de la société.
- Les phrases de la soirée
If your son or my son handled classified information the way Hillary Clinton did, they’d be court martialed. (Si votre fils ou mon fils avaient manipulé des informations classifiées de la même manière qu’Hillary Clinton, ils seraient jugés devant une cour martiale)
Mike Pence à Tim Kaine. Les deux hommes ont chacun un fils qui sert dans l’armée américaine.
He is asking everybody to vote for somebody that he cannot defend. (Il demande à tout le monde de voter pour quelqu’un qu’il ne peut pas défendre)
Tim Kaine, soulignant que Mike Pence avait habilement évité tout au long du débat de défendre certains des propos les plus polémiques de Donald Trump.
UNE FAIBLE AUDIENCE
Le débat Kaine/Pence n’a réuni que 37 millions de téléspectateurs, soit l’audience la plus basse pour un débat vice-présidentiel depuis 2000. Le débat vice-présidentiel le plus regardé de l’histoire reste donc celui de 2008, qui opposait Joe Biden à Sarah Palin. Il avait réuni 70 millions de téléspectateurs ! Il y a quatre ans, 51 millions d’américains avaient regardé le débat Biden/Ryan.
VAINQUEURS ET PERDANTS
Qui sont les vainqueurs et les perdants de ce débat vice-présidentiel ?
- Les gagnants
Mike Pence. Le colistier de Donald Trump a semblé plus calme et responsable que Tim Kaine, qui l’interrompait sans cesse et se montrait parfois agressif. Si Pence a été déclaré vainqueur du débat (y compris dans les sondages), il le doit avant tout à l’attitude de son adversaire. Mais si Pence fut le vainqueur de la soirée, il n’est pas certain que cela change quoi que ce soit à la dynamique de la campagne. En effet, il est peu probable que sa bonne performance suffise à faire oublier toutes les polémiques déclenchées par Donald Trump. Enfin, le fait que Pence ait adopté une position totalement différente de celle de son colistier au sujet de la Russie pose question.
Scott Walker. Le gouverneur du Wisconsin a aidé Mike Pence à se préparer pour le débat, en jouant le rôle de Tim Kaine. Vu la manière dont Pence a su garder son calme face aux attaques de Kaine et les esquiver habilement, on peut raisonnablement penser que Walker a bien tenu son rôle.
Sarah Palin. L’ex-gouverneure de l’Alaska détient toujours, avec Joe Biden, le record du débat à la vice-présidence le plus regardé de l’histoire. De plus, son commentaire publié suite au débat Kaine/Pence a recueilli plus de 29,000 likes sur Facebook.

Jan Brewer. L’ex-gouverneure de l’Arizona (2009-2015), qui soutient Donald Trump, fut l’auteure du meilleur tweet de la soirée.

- Les perdants
Tim Kaine. Tim Kaine a interrompu son adversaire à plus de 70 reprises et honnêtement, que l’on soit d’accord ou non avec la teneur de ses propos, c’était tout simplement insupportable. Un exemple pour vous en convaincre. Alors que Mike Pence évoquait la manière dont il avait vécu le 11 septembre 2001 alors qu’il se trouvait à Washington (ndlr: il était député à l’époque), Tim Kaine a jugé utile de lui couper la parole pour affirmer « I was in Virginia » (J’étais en Virginie). OK.
Elaine Quijano. La modératrice a perdu le contrôle dès les premières minutes du débat. Elle a été incapable d’empêcher les interruptions à répétition. Plus grave encore, les candidats ont rarement véritablement répondu aux questions qu’elle leur posait, s’éloignant sans cesse du sujet abordé pour en revenir aux attaques contre Donald Trump et Hillary Clinton. Quijano a elle-même contribué à ce que le débat ne porte que sur les colistiers de Kaine et Pence. En effet, elle ne leur a pas posé de questions sur leur propre bilan. Aucune question posée à Mike Pence sur la très controversée loi relative à la liberté religieuse adoptée en Indiana, par exemple.