Mardi 28 février, Donald Trump a prononcé son premier discours devant le Congrès. Il a surpris tout le monde en changeant radicalement de style. Son programme n’a quant à lui guère évolué. Décryptage.
UN CHANGEMENT DE TON SURPRENANT
Tout d’abord, il faut mentionner le surprenant changement de ton de Donald Trump, qui a surpris à peu près tout le monde et qui aura probablement soulagé les Républicains du Congrès. Donald Trump a enfin eu une attitude digne de celle que l’on peut attendre d’un président. Aucune attaque personnelle contre qui ce soit, aucune critique adressée à la presse ou aux juges, aucune provocation inutile. Donald Trump n’a pas non plus prononcé les mots bigly, believe me ou that I can tell you, dont il abuse habituellement. Le président a donc semble-t-il véritablement fait un effort pour apparaître plus digne de sa fonction. De ce point de vue, l’examen était totalement réussi.
L’INSTANT OÙ DONALD TRUMP EST DEVENU PRÉSIDENT ?
Ce fut le moment le plus émouvant de la soirée. Celui qui restera dans les mémoires. Donald Trump a rendu hommage à Ryan Owens, un Navy SEAL récemment décédé lors d’une mission au Yémen. Il avait invité la veuve de ce dernier à assister à son discours. Carryn Owens a reçu une standing ovation longue de 2 minutes et 11 secondes. Assise à côté d’Ivanka Trump, elle a fondu en larmes et levé les yeux vers le ciel.
« Ryan died as he lived: a warrior, and a hero » (Ryan est mort comme il a vécu: en guerrier et en héros), a entre autres déclaré Donald Trump. Ou encore « Ryan laid down his life for his friends, for his country and for our freedom, and we will never forget Ryan » (Ryan a sacrifié sa vie pour ses amis, pour son pays et pour notre liberté, et nous n’oublierons jamais Ryan).
Au-delà de l’émotion qu’il a provoquée, ce moment a parfaitement illustré le changement d’attitude de Donald Trump. Lui qui ne fait habituellement que se mettre en avant a laissé Carryn Owens lui « voler la vedette ». De plus, il a réussi à créer un moment d’unité, ce qu’il n’était encore jamais parvenu à faire depuis son accession au pouvoir. Selon Van Jones, un analyste démocrate qui s’exprime régulièrement sur CNN et qui s’est souvent montré très critique à l’encontre de Donald Trump, ce dernier est « devenu président des Etats-Unis à ce moment-là ».
PEU DE CHANGEMENTS SUR LE FOND
Le changement de ton de Donald Trump a été salué par la presse et par les Républicains. Pour les Démocrates, il ne devait pourtant pas faire oublier les idées de Donald Trump, qui n’avaient quant à elles pas changé. C’est vrai. Pour autant, doit-on s’en étonner? Il semble somme toute assez logique que le président reste fidèle au programme qu’il a défendu pendant sa campagne et pour lequel il a été élu.
Voici un extrait du discours du président Trump, qui montre bien que sa vision globale est bel et bien toujours la même.
For too long, we’ve watched our middle class shrink as we’ve exported our jobs and wealth to foreign countries. We’ve financed and built one global project after another, but ignored the fates of our children in the inner cities of Chicago, Baltimore, Detroit, and so many other places throughout our land. We’ve defended the borders of other nations, while leaving our own borders wide open – for anyone to cross and for drugs to pour in at a now unprecedented rate. And we’ve spent trillions of dollars overseas, while our infrastructure at home has so badly crumbled. (Pendant trop longtemps, nous avons regardé notre classe moyenne s’effondrer alors que nous exportions nos emplois et notre richesse dans des pays étrangers. Nous avons financé et construit un projet global après l’autre, mais nous avons ignoré le destin de nos enfants dans les centres-villes de Chicago, Baltimore, Detroit, et beaucoup d’autres endroits à travers notre pays. Nous avons défendu les frontières d’autres nations, en laissant nos propres frontières grandes ouvertes – permettant à n’importe qui de les franchir et aux drogues d’affluer à un taux record. Et nous avons dépensé des milliards de dollars à l’étranger, pendant que notre infrastructure tombait en ruines)
LE BILAN D’UN MOIS DE PRÉSIDENCE
Dans la première partie de son discours, Donald Trump a dressé un bilan positif de son premier mois à la Maison Blanche. Il a voulu faire la liste des premiers accomplissements de son administration, présentés comme autant de promesses électorales tenues. Il a notamment cité le retrait des Etats-Unis du TPP ou l’autorisation de la construction des oléoducs Keystone XL et Dakota Access. Des mesures qui devraient créer des milliers d’emplois aux Etats-Unis. Le président a aussi insisté sur le fait que de nombreuses grandes entreprises aient annoncé leur volonté d’investir à nouveau aux Etats-Unis et d’y créer des milliers de nouveaux emplois. Il a notamment cité Ford, Fiat-Chrysler, General Motors, Sprint, SoftBank, Lockheed, Intel et Walmart.
Donald Trump a aussi déclaré que son administration avait pris et continuerait de prendre des mesures fortes pour protéger les citoyens américains. Il a rappelé que l’immense majorité des attaques terroristes perpétrées aux Etats-Unis l’avaient été par des personnes venues de pays étrangers. Ce n’est pas faux. Cependant, les terroristes qui ont frappé les Etats-Unis ne venaient pas non plus des sept pays qui étaient concernés par son décret sur l’immigration, annulé depuis par les tribunaux. Donald Trump n’a pas fait directement allusion à cette décision de justice mais a indiqué que de nouvelles mesures seraient bientôt mises en place, sans beaucoup plus de précisions.
Those given the high honor of admission to the United States should support this country and love its people and its values. (Ceux qui reçoivent le grand honneur d’être admis aux Etats-Unis doivent soutenir ce pays et aimer son peuple et ses valeurs)
LA DÉCLARATION DE LA SOIRÉE
Donald Trump n’a pas mâché ses mots au sujet de l’Etat Islamique.
As promised, I directed the Department of Defense to develop a plan to demolish and destroy ISIS – a network of lawless savages that have slaughtered Muslims and Christians, and men, women and children of all faiths and beliefs. We will work with our allies, including our friends and allies in the Muslim world, to extinguish this vile enemy from our planet. (Comme promis, j’ai demandé au Département de la Défense de développer un plan pour démolir et détruire l’Etat Islamique – un réseau de sauvages sans foi ni loi qui ont massacré des musulmans et des chrétiens, des hommes, des femmes et des enfants de toutes les fois et de toutes les croyances. Nous travaillerons avec nos alliés, y compris nos amis et alliés dans le monde musulman, pour anéantir cet ennemi infâme de notre planète)
Pour l’instant, on ne sait pas encore en quoi consistera le plan du Département de la Défense. Il devrait être dévoilé dans les prochaines semaines.
Au-delà du vocabulaire choisi, il est intéressant de constater que le président ait évoqué les victimes musulmanes de l’Etat Islamique et le fait qu’il faille travailler avec des pays musulmans pour vaincre l’organisation terroriste. Des aspects qu’il avait souvent eu tendance à ignorer au cours de sa campagne. Cette légère inflexion serait-elle le résultat de l’influence de son nouveau conseiller à la sécurité nationale, H.R. McMaster, ou de son Ministre de la Défense, James Mattis? Ce n’est pas impossible.
LES OBJECTIFS DE L’ADMINISTRATION TRUMP
Dans la deuxième partie de son discours, Donald Trump a présenté les priorités de son administration pour l’avenir. Un programme fidèle à celui qu’il a défendu durant la campagne électorale. Voici les principaux points mentionnés par le président.
1. Relancer l’économie américaine en diminuant les taxes pesant sur les entreprises et en prenant des mesures visant à les dissuader de délocaliser à l’étranger. Donald Trump a assuré que son équipe économique était en train de travailler sur une réforme fiscale à venir.
2. Réformer le système d’immigration, y compris légale.
3. Investir massivement dans les infrastructures. Le président a évoqué un « nouveau programme de reconstruction nationale ». Il a affirmé qu’il allait demander au Congrès de voter en faveur d’un plan d’investissement dans les infrastructures, pour un montant de mille milliards de dollars !
4. Abroger l’Obamacare et le remplacer par un système plus efficace.
Mandating every American to buy government-approved health insurance was never the right solution for our country. (Obliger chaque américain à se procurer une assurance santé approuvée par le gouvernement n’a jamais été la bonne solution pour notre pays)
Là aussi, c’est le Congrès qui va devoir agir et mettre en place une nouvelle législation. Donald Trump a incité les Démocrates à travailler avec les Républicains sur ce dossier. Ce qui a bien sûr peu de chances de se produire, puisque les Démocrates veulent sauvegarder l’Obamacare.
5. Réformer le système d’éducation. Donald Trump a affirmé que « Education is the civil rights issue of our time » (L’éducation est la question des droits civiques de notre époque). Il s’agit là d’une phrase souvent répétée par Jeb Bush au cours de sa campagne. Il la prononçait même dans l’une de ses publicités électorales consacrées à l’éducation ! Bush avait fait de l’éducation l’un des thèmes principaux de sa campagne. Ce n’était pas le cas de Donald Trump, qui n’en avait pas beaucoup parlé jusqu’à présent.
6. Lutter contre la criminalité. Donald Trump a notamment cité l’exemple de la ville de Chicago, où 4,000 personnes ont été tuées par balle en 2016.
This is not acceptable in our society. (Ce n’est pas acceptable dans notre société)
Le président a appelé à respecter et à soutenir les forces de l’ordre.
Il a aussi raconté l’histoire d’un homme dont le fils a été assassiné par un immigrant sans papiers. Il avait invité cet homme à assister à son discours. Dans ce cadre, Donald Trump a annoncé qu’il avait demandé au Département de la Sécurité Intérieure de créer une unité chargée de prendre en charge les familles des victimes d’assassinats perpétrés par des personnes en situation irrégulière. Le service devrait être baptisé VOICE, pour Victims Of Immigration Crime Engagement. Quelques grondements se sont faits entendre dans les rangs démocrates. Rappelons que même si les histoires malheureuses de meurtres perpétrés par des illégaux existent, le taux de criminalité des immigrants est moins élevé que celui des personnes nées aux Etats-Unis.
7. Protéger les Etats-Unis et reconstruire l’armée américaine. Donald Trump a annoncé qu’il enverrait bientôt son projet budgétaire au Congrès et que celui-ci contiendrait une hausse massive du budget alloué à la Défense.
Donald Trump a aussi assuré qu’il était attaché à l’OTAN, qu’il avait pourtant qualifiée d’organisation « obsolète » pendant sa campagne. Mais il a répété que tous les pays membres de l’organisation devraient désormais respecter leurs obligations financières.
We strongly support NATO, an alliance forged through the bonds of two World Wars that dethroned fascism, and a Cold War that defeated communism. But our partners must meet their financial obligations. (Nous soutenons fermement l’OTAN, une alliance forgée par les liens noués lors de deux Guerres Mondiales qui ont détrôné le fascisme, et d’une Guerre Froide qui a défait le communisme. Mais nos partenaires doivent remplir leurs obligations financières)
Donald Trump ajoutera également:
My job is not to represent the world. My job is to represent the United States of America. (Mon job n’est pas de représenter le monde. Mon job est de représenter les Etats-Unis d’Amérique)
Autrement dit, la politique étrangère de Donald Trump semble toujours aussi floue. Les accents nationalistes sont toujours bel et bien présents. Le président américain ne semble pas envisager le rôle de son pays comme celui d’un gendarme du monde. Il affirme toujours aussi clairement qu’il agira avant tout en fonction des intérêts nationaux américains. Cependant, sa volonté d’augmenter considérablement le budget alloué à la Défense et sa promesse de détruire l’Etat Islamique ne semblent pas vraiment correspondre à l’idée d’un repli isolationniste. 🤔
UN MESSAGE OPTIMISTE POUR CONCLURE
La fin du discours de Donald Trump se voulait optimiste. Nouveau contraste assez saisissant avec les accents de ses discours précédents, y compris son discours d’investiture. Le président a demandé aux américains et aux membres du Congrès, Républicains comme Démocrates, de travailler ensemble pour construire un futur meilleur. Et de continuer à croire en l’Amérique et à sa grandeur.
Think of the marvels we can achieve if we simply set free the dreams of our people. Cures to illnesses that have always plagued us are not too much to hope. American footprints on distant worlds are not too big a dream. Millions lifted from welfare to work is not too much to expect. And streets where mothers are safe from fear, schools where children learn in peace, and jobs where Americans prosper and grow are not too much to ask. When we have all of this, we will have made America greater than ever before. For all Americans. This is our vision. This is our mission. But we can only get there together. We are one people, with one destiny. We all bleed the same blood. We all salute the same great American flag. And we are all made by the same God. […] From now on, America will be empowered by our aspirations, not burdened by our fears. Inspired by the future, not bound by the failures of the past. And guided by our vision, not blinded by our doubts. I am asking all citizens to embrace this renewal of the American spirit. I am asking all members of Congress to join me in dreaming big and bold and daring things for our country. I am asking everyone watching tonight to seize this moment. Believe in yourselves. Believe in your future. And believe, once more, in America. (Songez aux merveilles que nous pourrions réaliser en libérant simplement les rêves de notre peuple. Trouver des remèdes aux maladies qui nous affectent n’est pas un espoir trop grand. Des empreintes américaines posées sur le sol de mondes lointains ne sont pas un trop grand rêve. Des millions de personnes passant des allocations au travail n’est pas une aspiration trop grande. Et des rues dans lesquelles les mères n’ont pas peur, des écoles où les enfants apprennent en paix, et des emplois grâce auxquels les américains peuvent réussir ne sont pas trop demander. Lorsque nous aurons tout cela, nous aurons rendu l’Amérique plus grande qu’elle ne l’a jamais été. Pour tous les américains. C’est notre vision. C’est notre mission. Mais on ne pourra y arriver que tous ensemble. Nous sommes un peuple, avec un destin. Nous avons tous le même sang. Nous saluons tous le même grand drapeau américain. Et nous avons tous été créés par le même Dieu. […] À partir de maintenant, l’Amérique sera poussée par nos aspirations, pas limitée par nos peurs. Inspirée par le futur, pas liée aux erreurs du passé. Et guidée par notre vision, pas aveuglée par nos doutes. Je demande à tous les citoyens d’adhérer à ce renouveau de l’esprit américain. Je demande à tous les membres du Congrès de me rejoindre en rêvant grand et en osant des choses pour notre pays. Je demande à tous ceux qui nous regardent ce soir de s’emparer de ce moment. Croyez en vous-mêmes. Croyez en votre futur. Et croyez, une fois de plus, en l’Amérique)
La question que l’on peut se poser est évidemment de savoir si Donald Trump peut incarner un tel renouveau et convaincre les américains de sa bonne volonté. Par exemple, est-il crédible lorsqu’il déclare que « The time for trivial fights is behind us » (Le temps des querelles insignifiantes est derrière nous)?
LA RÉPONSE DE STEVE BESHEAR
Le parti d’opposition charge toujours l’un de ses membres de répondre au discours du président devant le Congrès. Cette année, les Démocrates avaient curieusement (ndlr: la tâche est en général plutôt confiée à un jeune espoir du parti) choisi de confier cette mission à Steve Beshear, ex-gouverneur du Kentucky. La mise en scène imaginée par le parti a été quelque peu moquée sur les réseaux sociaux. Pour ne rien arranger, Beshear a débuté son discours en déclarant: « I’m a proud Democrat, but first and foremost, I’m a proud Republican, and Democrat, and mostly American » (Je suis un fier Démocrate, mais avant tout, je suis un fier Républicain, et un Démocrate, et avant tout un Américain). Hum, OK.
Plus sérieusement, Beshear a dénoncé l’hypocrisie du président Trump, qui prétend être proche du peuple mais qui a nommé des milliardaires au sein de son Cabinet. Pour Beshear, Trump n’est pas le champion du peuple mais le champion de Wall Street. Il a aussi critiqué la volonté de Trump et des Républicains d’abroger l’Obamacare. Il a dit craindre que des millions d’américains se retrouvent à nouveau sans aucune assurance maladie. « Ce n’est pas un jeu. C’est une question de vie ou de mort », a-t-il déclaré.
COMMENT LES AMÉRICAINS ONT-ILS RÉAGI AU DISCOURS DE DONALD TRUMP ?
Plutôt bien, si l’on en croit le traditionnel sondage réalisé par CNN après chaque discours du président devant le Congrès. 57% des personnes interrogées ont déclaré avoir apprécié le discours de Trump. C’est plus que le nombre de personnes ayant déclaré avoir apprécié les derniers discours sur l’état de l’Union de Barack Obama. En revanche, c’est moins que le nombre de personnes qui avaient réagi positivement au premier discours de ce même Barack Obama devant le Congrès, en 2009 (68%). C’est également moins que le nombre de personnes qui avaient réagi positivement au premier discours de George W. Bush devant le Congrès, en 2001 (66%). D’autre part, 69% des personnes interrogées déclaraient être plus optimistes après le discours de Donald Trump qu’avant. 28% seulement se déclaraient plus pessimistes.
LE TWEET DE LA SOIRÉE
Terminons par une petite info insolite. Wilbur Ross, le Secrétaire au Commerce, a assisté au discours de Donald Trump en… pantoufles ! Des pantoufles de luxe toutefois, commercialisées par la marque Stubbs & Wootton. Leurs produits peuvent être personnalisés et coûtent entre 400$ et 600$. Les pantoufles portées par Ross étaient décorées du logo du Département du Commerce. C’est une journaliste du Huffington Post qui a été la première à le remarquer et à partager l’info, photos à l’appui, sur son compte Twitter. God bless America !
Une réflexion sur “DONALD TRUMP ENDOSSE SON COSTUME DE PRÉSIDENT DEVANT LE CONGRÈS”