L’affaire russe a été omniprésente tout au long de l’année 2017. Mais que fallait-il vraiment en retenir? Nous vous proposons un petit guide pour faire le point sur l’essentiel.
3 ENQUÊTES SONT TOUJOURS EN COURS
Trois enquêtes ont débuté en 2017 et vont se poursuivre en 2018. Un premier rappel s’impose donc d’entrée de jeu: les enquêtes ne sont pas terminées et, par conséquent, mieux vaut éviter de tirer des conclusions trop hâtives quant à la culpabilité ou l’innocence de Donald Trump dans toute cette histoire.
Les enquêtes en cours ⇒ 2 enquêtes au Congrès et 1 enquête menée par le procureur indépendant Robert Mueller, mandaté par le ministère de la Justice.
∗ Au Congrès, le comité du renseignement de la Chambre des Représentants (House Intelligence Committee) et le comité du renseignement du Sénat (Senate Intelligence Committee) mènent chacun leur propre enquête sur la Russie. Ces comités enquêtent avant tout sur les actions menées par la Russie pour interférer dans le processus électoral américain en 2016, mais aussi sur une complicité éventuelle entre la Russie et certains membres de l’équipe de campagne de Donald Trump. Ils ont interrogé de nombreux témoins (parfois lors d’auditions publiques, souvent à huis clos) et ont déjà fait part de certaines de leurs découvertes. Le comité du renseignement de la Chambre des Représentants a par exemple publié un document contenant des exemples de publications russes sur les réseaux sociaux pendant la campagne électorale.
∗ Le procureur indépendant Robert Mueller a été désigné par le ministère de la Justice pour enquêter sur les agissements de la Russie lors de la campagne électorale de 2016 ainsi que sur une éventuelle complicité entre le Kremlin et l’équipe de campagne de Donald Trump.
L’enquête de Robert Mueller a déjà conduit à quatre inculpations et se poursuit. On sait que le procureur a déjà interrogé de nombreux proches de Donald Trump et même des membres ou ex-membres de son équipe à la Maison Blanche: Jared Kushner, Hope Hicks, Reince Priebus, Sean Spicer, etc. Toutefois, rien n’a filtré au sujet du contenu de ces interrogatoires. Le secret de l’instruction est bien gardé. Il ne reste donc qu’à s’armer de patience et à attendre les conclusions d’une enquête qui pourrait encore durer de longs mois.
CE QUE L’ON SAIT AVEC CERTITUDE
1. La Russie a bien tenté d’influencer le résultat de l’élection présidentielle américaine en 2016, notamment via l’Internet Research Agency. Cette agence très proche du Kremlin a utilisé le web et les réseaux sociaux pour propager des fake news et attiser les divisions politiques déjà existantes au sein de la société américaine. L’objectif principal était de faire perdre confiance aux Américains dans leur processus démocratique et dans leurs institutions. Il s’agissait aussi de décrédibiliser Hillary Clinton et de favoriser l’élection de Donald Trump.
En dehors du président Trump, tout le monde à Washington reconnaît unanimement l’implication de la Russie et s’en inquiète. Les agences de renseignement américaines sont formelles, tout comme les membres du Congrès, et même les ministres du Cabinet Trump. Donald Trump est le seul qui continue encore à affirmer que l’ « histoire russe » n’est qu’un « canular » inventé par les Démocrates qui veulent trouver une excuse pour expliquer leur défaite à l’élection présidentielle.
Attention ! Le résultat de l’élection présidentielle en tant que tel n’a pas été truqué par la Russie. Les machines de vote n’ont pas été piratées et la victoire de Donald Trump reste donc totalement légitime. Mais il semble important de reconnaître que la Russie s’est immiscée dans la campagne et que sa propagande a pu influencer certains électeurs (difficile d’estimer combien avec exactitude). C’est évidemment un sujet très important, d’autant que la Russie a utilisé les mêmes pratiques pour tenter d’influencer d’autres résultats électoraux en Europe. Et continuera probablement à le faire.
2. La question de savoir si certains membres de l’équipe de campagne de Donald Trump, voire Donald Trump lui-même, ont été en contact avec les Russes pendant la campagne et donc complices de leurs agissements n’est quant à elle pas tranchée. Pour l’instant, nous n’en savons toujours rien. Certains éléments troublants ont certes été mis au jour mais rien n’a pu être définitivement prouvé. (Mais, encore une fois, l’enquête est toujours en cours). Quels sont ces éléments troublants?
∗ Deux anciens membres de l’équipe de campagne de Donald Trump ont été inculpés par le procureur Mueller pour avoir menti au FBI au sujet de leurs conversations avec des ressortissants russes (voir ci-dessous).
∗ Donald Trump Jr., Jared Kushner et Paul Manafort (à l’époque directeur de campagne du candidat Trump) ont rencontré une avocate russe à la Trump Tower durant la campagne électorale. Cette dernière avait promis à Donald Trump Jr. qu’elle pourrait lui transmettre des informations compromettantes au sujet d’Hillary Clinton. Donald Trump Jr. a reconnu les faits et prétend que son père n’était au courant de rien. Le président a par ailleurs défendu son fils en disant que la recherche d’informations sur ses opposants est courante dans une campagne électorale et que n’importe qui aurait accepté la rencontre. Sauf qu’en réalité, si l’opposition research est en effet une pratique courante aux Etats-Unis, il est très rare d’accepter des informations venues de l’étranger. Certains observateurs pensent d’ailleurs que cette rencontre à la Trump Tower pourrait bien être l’élément qui mènera à une accusation concrète de collusion entre l’équipe de campagne de Trump et la Russie. On sait en tout cas que Robert Mueller enquête en particulier sur cet événement.
∗ Donald Trump Jr. a échangé des messages privés avec Wikileaks sur Twitter durant la campagne, alors que le site web dirigé par Julian Assange – et dont les liens avec le Kremlin ne font plus guère de doute – publiait les e-mails de dirigeants du Parti Démocrate, obtenus suite à une opération de piratage informatique.
∗ Jeff Sessions, à la fois sénateur et conseiller de Donald Trump pendant la campagne et aujourd’hui ministre de la Justice, a dans un premier temps déclaré lors de son audition devant le Sénat qu’il n’avait jamais eu de conversations avec des ressortissants russes pendant la campagne. Il a ensuite rectifié le tir en reconnaissant lors d’une audition ultérieure qu’il avait bien rencontré l’ambassadeur russe en poste à Washington à deux reprises. Il a affirmé qu’il ne s’en souvenait pas lors de sa première audition, tant les rencontres furent brèves et sans importance. Les Démocrates l’accusent d’avoir menti sous serment. D’autre part, Jeff Sessions s’est récusé de l’affaire russe, estimant qu’il serait inapproprié qu’il soit mêlé aux décisions relatives à cette affaire alors qu’il a été membre de l’équipe de campagne de Donald Trump. Concrètement, cela signifie que toutes les décisions du ministère de la Justice au sujet de l’enquête sur la Russie ne sont pas prises par Jeff Sessions mais par son principal adjoint et numéro 2 du ministère, Rod Rosenstein. C’est d’ailleurs Rosenstein qui a pris la décision de nommer le procureur indépendant Robert Mueller. Donald Trump n’a pas caché qu’il était déçu de la décision prise par Jeff Sessions de se récuser. Durant l’été 2017, il s’en est pris violemment à son ministre, à tel point que la presse américaine s’est demandé si celui-ci n’allait pas démissionner. Ce ne fut pas le cas. Jeff Sessions est toujours là.
4 MISES EN EXAMEN ONT ÉTÉ ANNONCÉES PAR ROBERT MUELLER
Robert Mueller a déjà inculpé quatre personnes dans le cadre de son enquête. Toutes ont été membres de l’équipe de campagne de Donald Trump en 2016.
∗ Michael Flynn, conseiller de Donald Trump en matière de politique étrangère durant la campagne puis conseiller à la sécurité nationale à la Maison Blanche jusqu’à sa démission en février 2017 (après que la presse ait révélé qu’il avait menti, y compris au vice-président Mike Pence, au sujet de ses conversations avec l’ambassadeur russe)
Michael Flynn a été inculpé pour avoir menti au FBI au sujet de ses conversations avec l’ambassadeur russe en poste à Washington, Sergey Kislyak, durant la période de transition. Il avait nié avoir évoqué la question des sanctions contre la Russie avec l’ambassadeur, alors que c’était bien le cas. [En décembre 2016, Barack Obama a sanctionné la Russie pour la punir de son interférence dans le processus électoral américain. Michael Flynn aurait alors conseillé au Kremlin, via l’ambassadeur russe, de ne pas répliquer parce que la politique américaine à l’égard de la Russie changerait lorsque Donald Trump entrerait à la Maison Blanche quelques semaines plus tard. La levée des sanctions contre la Russie aurait même été évoquée. Vladimir Poutine a effectivement refusé de répliquer aux sanctions décrétées par Barack Obama, affirmant qu’il attendait de voir quelle serait la politique mise en place par son successeur]
Michael Flynn a plaidé coupable et a surtout annoncé qu’il avait passé un accord de coopération avec Robert Mueller. Autrement dit, il est fort probable que celui-ci ait décidé de l’inculper uniquement pour ses mensonges au FBI malgré l’existence d’autres charges plus sérieuses, en échange de sa coopération. La question est donc la suivante: qu’est-ce que Robert Mueller espère obtenir de si important de la part de Michael Flynn?
∗ George Papadopoulos, membre de l’équipe de campagne de Donald Trump en 2016
George Papadopoulos faisait partie de l’équipe de conseillers de Donald Trump pendant la campagne. Il n’occupait apparemment pas un rôle déterminant au sein de l’équipe mais aurait régulièrement proposé à des personnes plus haut placées que lui dans la hiérarchie de les mettre en contact avec des officiels russes. Comme Michael Flynn, Papadopoulos a été inculpé pour avoir menti au FBI au sujet de ses conversations avec des ressortissants russes. Il a lui aussi plaidé coupable.
∗ Paul Manafort, ex-directeur de campagne de Donald Trump (de juin à août 2016) & Rick Gates, son associé depuis de nombreuses années et lui aussi membre de l’équipe de campagne de Donald Trump en 2016
Paul Manafort et Rick Gates ont eux aussi été inculpés par Robert Mueller, mais pour des faits qui ne sont pas directement liés à la Russie et à la campagne électorale de 2016: fraude fiscale, blanchiment d’argent, etc. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’avant de travailler pour Donald Trump, ils ont travaillé pour l’ex-président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch. Certains observateurs pensent donc que Mueller tente, en les inculpant de ces divers crimes, de leur mettre la pression pour qu’ils collaborent à son enquête sur la Russie. Pour l’instant, cela ne fonctionne pas vraiment puisque Manafort et Gates ont décidé de plaider non coupable. Leur procès pourrait avoir lieu dès le mois de mai.
DONALD TRUMP POURRAIT-IL VRAIMENT ÊTRE DESTITUÉ?
C’est la question à trois milliards de dollars. La procédure de destitution (impeachment) est prévue par la Constitution américaine mais ne peut être entamée contre le Président des Etats-Unis que si des charges très sérieuses pèsent contre lui. Inutile donc de rêver d’un impeachment pour simple cause d’incompétence. En revanche, si Robert Mueller parvenait à prouver que Donald Trump a été complice de l’interférence russe dans le processus électoral américain, le président pourrait être accusé de trahison et cela pourrait conduire à une procédure d’impeachment. Rien n’est donc impossible mais, comme nous l’avons vu, nous n’en sommes pas encore là. Pour le moment, il n’y a pas assez d’éléments probants contre le président.
D’autre part – et cette hypothèse est finalement peut-être plus réaliste – Donald Trump pourrait être accusé d’entrave à la justice, ce qui constituerait également une cause valable pour lancer une procédure d’impeachment à son encontre. Tout repose ici sur le licenciement de James Comey, alors directeur du FBI, au mois de mai 2017. Devant le Congrès, Comey a déclaré sous serment que Donald Trump lui avait demandé d’être loyal envers lui et lui avait suggéré de « laisser tomber » son enquête sur Michael Flynn. Comey n’aurait pas répondu favorablement et fut licencié peu de temps après. Or, s’il était prouvé que Donald Trump a bien viré James Comey parce que celui-ci refusait de mettre fin à une enquête visant son conseiller à la sécurité nationale, il s’agirait bien de non respect de la séparation des pouvoirs et d’entrave à la justice.
Comment fonctionne la procédure d’impeachment?
Imaginons qu’il y ait assez d’éléments probants pour entamer une procédure d’impeachment contre Donald Trump (ce qui, répétons-le, n’est pas encore le cas actuellement), que se passerait-il?
Tout d’abord, il faut savoir que le déclenchement de la procédure ne signifie pas que le président sera in fine destitué. En réalité, aucun président des Etats-Unis n’a jamais été destitué, bien que cette possibilité soit prévue par la Constitution. Le seul qui l’aurait probablement été est Richard Nixon mais il a préféré démissionner avant que cela n’arrive. Bill Clinton a été visé par une procédure d’impeachment mais n’a finalement pas été destitué.
Voici les différentes étapes de la procédure d’impeachment, de son déclenchement jusqu’à l’éventuelle destitution du président:
1. La procédure d’impeachment doit être lancée par un vote à la majorité simple à la Chambre des Représentants.
2. Un « procès » est ensuite organisé au Sénat. L’accusé, c’est-à-dire le Président des Etats-Unis, est appelé à témoigner. Il peut être assisté d’un avocat. Des témoins sont également appelés à témoigner comme lors d’un vrai procès devant un tribunal. Les séances sont présidées par un juge de la Cour Suprême.
3. À l’issue du « procès », les sénateurs votent pour ou contre la destitution du président. Mais pour que le président soit effectivement destitué, il faut que 2/3 des sénateurs (soit 67 sénateurs sur 100) votent en faveur de la destitution. Dans le cas de Bill Clinton, moins de 2/3 des sénateurs avaient voté en faveur de la destitution, ce qui explique qu’il n’avait finalement pas dû quitter la présidence.