Les six derniers candidats à l’investiture républicaine se sont affrontés lors d’un débat complètement surréaliste samedi 13 février dernier. Compte-rendu.
INTRODUCTION
Ce neuvième débat républicain était organisé par CBS News. Il avait lieu au Peace Center de Greenville, en Caroline du Sud. Le Peace Center… Cela ne s’invente pas ! Comme vous allez le constater en lisant ce compte-rendu, l’ambiance était plutôt à la guerre qu’à la paix. La rivalité entre Donald Trump et Jeb Bush a atteint son paroxysme, les deux hommes s’affrontant à d’innombrables reprises au cours de la soirée. La tension fut aussi à son comble entre Donald Trump et Ted Cruz, qui se sont mutuellement traités de menteurs. Ce ne fut pas beaucoup mieux entre Marco Rubio et Ted Cruz. Outre l’avalanche d’attaques personnelles, les moments surréalistes n’ont pas manqué. Ted Cruz s’est mis en colère en espagnol, Ben Carson a fait référence à Staline… En quelques mots : du grand n’importe quoi. Préparez-vous donc psychologiquement avant de vous plonger dans la lecture de ce compte-rendu 😉
LE DÉBAT
Participants: Donald Trump, Ted Cruz, Marco Rubio, Jeb Bush, John Kasich, Ben Carson
Modérateur: John Dickerson, journaliste à CBS
Durée du débat: 2h
Compte-rendu:
- La question de la succession du juge Antonin Scalia
Le débat a débuté quelques heures seulement après l’annonce de la mort d’Antonin Scalia, l’un des neuf juges de la Cour Suprême (voir notre article à ce sujet ici). Les candidats ont respecté une minute de silence en sa mémoire avant d’aborder le thème de sa succession. Ils ont semblé tous sur la même longueur d’ondes à ce sujet. Le pays étant très divisé et Barack Obama étant dans sa dernière année de mandat, il devrait renoncer à son droit de nommer le successeur de Scalia. Cette tâche devrait être laissée au prochain Président, qui aura été élu par le peuple américain en connaissance de cause. Marco Rubio et Ted Cruz ont même tous les deux affirmé que depuis 80 ans, aucun juge n’avait jamais été nommé à la Cour Suprême lors d’une année d’élection présidentielle. Le modérateur John Dickerson les a corrigés en direct, en leur rappelant que le Sénat avait voté en faveur de la nomination d’Anthony Kennedy en 1988 (mais il est vrai que son nom avait été proposé par le Président Reagan au Sénat en 1987). Ben Carson a aussi déclaré qu’il faudrait peut-être penser à ne plus nommer les juges de la Cour Suprême à vie. Finalement, ce sont les quinze premières minutes du débat qui auront été consacrées au thème de la succession de Scalia. Ensuite, plus rien. Cela n’aura donc pas été le thème dominant de la soirée, loin de là.
- Premier affrontement entre Donald Trump et Jeb Bush
Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour assister au premier affrontement entre Donald Trump et Jeb Bush. Tout a commencé lorsque Donald Trump, interrogé sur la guerre en Syrie, a suggéré qu’il vaudrait mieux essayer de travailler avec la Russie pour vaincre l’Etat Islamique plutôt que de financer des « rebelles » dont on ne connaît en réalité ni la véritable identité ni les véritables intentions. Bush expliquera qu’au contraire, il faut combattre à la fois l’Etat Islamique et Bachar El-Assad. Or, la Russie soutient Assad et bombarde les rebelles qui luttent contre lui (et qui sont financés par les Etats-Unis), et non l’Etat Islamique. Dans ces conditions, impossible pour Bush de travailler avec la Russie. Réponse de Trump ?
Jeb is so wrong. You got to fight ISIS first. […] You can’t fight two wars at one time. (Jeb a tellement tort. Il faut combattre l’Etat Islamique en premier. […] Vous ne pouvez pas mener deux guerres à la fois)
Trump ajoutera ensuite que c’est à cause de personnes comme Jeb Bush, toujours prêtes à intervenir trop promptement au Moyen-Orient, que les Etats-Unis sont coincés dans la région depuis quinze ans et y ont dépensé des milliards de dollars pour n’obtenir aucun résultat concret. Trump s’est très rapidement énervé en mettant cet argument en avant et a commencé à se faire huer par le public (qui, il faut le dire, s’est montré très hostile à son égard tout au long de la soirée). Face aux huées du public, Trump leur adressera un I only tell the truth, lobbyists (Je dis seulement la vérité, les lobbyistes). Le ton de la soirée était donné.
S’en suivra l’échange suivant entre Trump et Bush :
BUSH : The very basic fact is that Vladimir Putin is not going to be an ally of the United States. The whole world knows this. It’s a simple basic fact. They’re not taking out – they’re not even attempting to take out ISIS. They’re attacking the troops that we’re supporting. We need to create a coalition, Sunni led coalition on the ground with our special operators to destroy ISIS, and bring about stability. And you can’t do that with Assad in power. He has… (Le fait le plus élémentaire est que Vladimir Poutine ne sera pas un allié des Etats-Unis. Le monde entier sait cela. C’est un fait élémentaire. Ils n’éliminent pas – ils n’essayent même pas d’éliminer l’Etat Islamique. Ils attaquent les troupes que nous supportons. Nous devons créer une coalition, une coalition au sol menée par des Sunnites avec nos forces spéciales pour détruire l’Etat Islamique, et apporter la stabilité. Et vous ne pouvez pas faire cela avec Assad au pouvoir. Il a…)
TRUMP : We’re supporting troops… (Nous supportons des troupes…)
BUSH : Let me finish. (Laisse-moi finir)
TRUMP : That we don’t even know who they are. (Dont nous ne savons même pas qui elles sont)
BUSH : This is ridiculous. (C’est ridicule)
TRUMP : We’re supporting troops that we don’t even know who they are. (Nous supportons des troupes dont nous ne savons même pas qui elles sont)
DICKERSON : Alright, Mr. Trump. Alright… (Très bien, Mr. Trump. Très bien…)
TRUMP : We have no idea who they are. (Nous n’avons aucune idée de qui ils sont)
DICKERSON : Gentlemen, I think we’re going to leave that there. I’ve got a question for Senator… (Messieurs, je pense que nous allons en rester là. J’ai une question pour le sénateur…)
BUSH : This is coming from a guy who gets his foreign policy from the shows. (Cela vient d’un homme qui tire sa politique étrangère des shows télévisés)
TRUMP : Oh, yeah, yeah…
BUSH : This is a guy who thinks that Hillary Clinton is a great negotiator in Iran. (C’est un homme qui pense qu’Hillary Clinton est une grande négociatrice en Iran)
Dickerson finira par mettre fin à l’échange en posant une question à Ted Cruz. Mais la lutte entre Donald Trump et Jeb Bush ne faisait que commencer. L’ambiance est devenue encore plus tendue quelques minutes plus tard, avec l’irruption du nom de George W. Bush dans le débat.
- George W. Bush, la guerre en Irak et le 11 septembre
C’est John Dickerson qui va amener Donald Trump à parler de George W. Bush, en lui posant une question à son sujet. Il demandera à Trump s’il pense toujours, comme il l’a déclaré dans une interview en 2008, que le Président Bush aurait dû être démis de ses fonctions*.
*La question de Dickerson était tout à fait justifiée. Donald Trump a bien tenu de tels propos au sujet de George W. Bush alors qu’il était interrogé par Wolf Blitzer sur CNN. C’était en octobre 2008. Lors de cette interview, Trump avait déclaré apprécier Nancy Pelosi, la chef de file des Démocrates à la Chambre des Représentants. Mais il avait aussi déclaré qu’il regrettait qu’elle n’ait pas entamé une procédure d’impeachment pour destituer le Président Bush. Lorsque Wolf Blitzer lui avait demandé pourquoi il pensait que le Président Bush aurait dû être destitué, Trump avait mis en avant ses mensonges sur les armes de destruction massive en Irak. « Bush got us into this horrible war with lies, by lying. By saying they had WMDs, by saying all sorts of things that happened not to be true » (Bush nous a entraînés dans cette horrible guerre avec des mensonges, en mentant. En disant qu’ils avaient des armes de destruction massive, en disant toutes sortes de choses qui se sont révélées fausses).
Réponse de Trump à la question de Dickerson? Oui, la guerre en Irak était une erreur.
Obviously, it was a mistake. George Bush made a mistake. We can make mistakes. But that one was a beauty. We should have never been in Iraq. We have destabilized the Middle East. (Bien sûr, c’était une erreur. George Bush a fait une erreur. On peut faire des erreurs. Mais celle-là était une merveille. Nous n’aurions jamais dû aller en Irak. Nous avons déstabilisé le Moyen-Orient)
Puis il ajoutera encore :
They lied. They said there were weapons of mass destruction, there were none. And they knew there were none. There were no weapons of mass destruction. (Ils ont menti. Ils ont dit qu’il y avait des armes de destruction massive, il n’y en avait aucune. Et ils savaient qu’il n’y en avait aucune. Il n’y avait pas d’armes de destruction massive)
Jeb Bush a réagi et a pris la défense de son frère. C’est alors que Trump va également accuser George W. Bush de porter une part de responsabilité dans les attentats du 11 septembre. Voici comment s’est déroulée la conversation, très tendue :
BUSH : So here’s the deal. I’m sick and tired of Barack Obama blaming my brother for all of the problems that he’s had. And, frankly, I could care less about the insults that Donald Trump gives to me. It’s blood sport for him. He enjoys it. And I’m glad he’s happy about it. But I am sick and tired of him going after my family. My dad is the greatest man alive in my mind. And while Donald Trump was building a reality TV show, my brother was building a security apparatus to keep us safe. And I’m proud of what he did. And he has had the gall to go after my brother… (Alors voilà ce qu’il se passe. J’en ai marre que Barack Obama accuse mon frère pour tous les problèmes auxquels il a été confronté. Et, franchement, je pourrais me sentir moins concerné par les insultes que Donald Trump m’adresse. C’est la corrida pour lui. Il aime ça. Et je suis content qu’il en soit heureux. Mais j’en ai marre qu’il s’en prenne à ma famille. Mon père est le plus grand homme vivant à mon avis. Et pendant que Donald Trump construisait un show de télé-réalité, mon frère construisait un dispositif pour nous garder en sécurité. Et je suis fier de ce qu’il a fait. Et il a eu l’audace de s’en prendre à mon frère…)
TRUMP : The World Trade Center came down during your brother’s reign, remember that. (Le World Trade Center s’est écroulé pendant le règne de ton frère, souviens-toi de cela)
BUSH : He has had the gall to go after my mother. (Il a eu l’audace de s’en prendre à ma mère)
TRUMP : That’s not keeping us safe. (Ce n’est pas nous garder en sécurité)
BUSH : Look, I won the lottery when I was born 63 years ago, looked up, and I saw my mom. My mom is the strongest woman I know. (Ecoutez, j’ai gagné à la loterie quand je suis né il y a 63 ans, que j’ai levé les yeux, et que j’ai vu ma mère. Ma mère est la femme la plus forte que je connaisse)
TRUMP : She should be running. (Elle devrait être candidate)
BUSH : This is not about my family or his family. This is about the South Carolina families that need someone to be a commander-in-chief that can lead. I’m that person. (Ce n’est pas à propos de ma famille ou de sa famille. C’est à propos des familles de Caroline du Sud qui ont besoin d’un commandant-en-chef qui sache diriger. Je suis cette personne)
Notons que tout au long de cet échange, Bush a été fortement applaudi alors que Donald Trump continuait d’être hué. John Dickerson a ensuite demandé à John Kasich de s’insérer dans la conversation. Kasich a alors assez bien résumé ce que beaucoup de personnes devaient ressentir à ce moment-là en regardant le débat.
KASICH : I’ve got to tell you, this is just crazy. This is just nuts, ok? Jeez, oh, man ! (Je dois vous dire, c’est juste fou. C’est juste dingue, ok? Mon Dieu !)
C’est ensuite Marco Rubio qui prendra la parole pour prendre la défense de George W. Bush. Il reprendra même la phrase « Il nous a gardés en sécurité » utilisée jusque-là par Jeb Bush pour parler de son frère.
RUBIO : I just want to say, at least on behalf of me and my family, I thank God all the time that it was George W. Bush in the White House on 9/11 and not Al Gore. And you can – I think you can look back in hindsight and say a couple of things, but he kept us safe. And not only did he keep us safe, but no matter what you want to say about weapons of mass destruction, Saddam Hussein was in violation of U.N. resolutions, in open violation, and the world wouldn’t do anything about it, and George W. Bush enforced what the international community refused to do. And again, he kept us safe, and I am forever grateful to what he did for this country. (Je veux juste dire, au moins en mon nom et celui de ma famille, que je remercie tout le temps Dieu du fait que c’était George W. Bush qui était à la Maison Blanche le 11 septembre et pas Al Gore. Et vous pouvez – je pense que vous pouvez y repenser avec le recul et dire certaines choses, mais il nous a gardés en sécurité. Et il ne nous a pas seulement gardés en sécurité, mais peu importe ce qu’on peut dire sur les armes de destruction massive, Saddam Hussein était en violation des résolutions de l’ONU, et le monde ne voulait rien y faire, et George W. Bush a fait respecter la loi alors que la communauté internationale refusait de le faire. Et encore une fois, il nous a gardés en sécurité, et je serai toujours reconnaissant de ce qu’il a fait pour ce pays)
TRUMP : How did he keep us safe when the World Trade Center – the World – excuse me. I lost hundreds of friends. The World Trade Center came down during the reign of George Bush. He kept us safe? That is not safe. That is not safe, Marco. That is not safe. (Comment nous a-t-il gardés en sécurité alors que le World Trade Center – le World – excusez-moi. J’ai perdu des centaines d’amis. Le World Trade Center s’est écroulé pendant le règne de George Bush. Il nous a gardés en sécurité? Ce n’est pas être en sécurité. Ce n’est pas être en sécurité, Marco. Ce n’est pas être en sécurité)
RUBIO : The World Trade Center came down because Bill Clinton didn’t kill Osama bin Laden when he had the chance to kill him. (Le World Trade Center s’est écroulé parce que Bill Clinton n’a pas tué Oussama Ben Laden quand il a eu l’occasion de le tuer)
TRUMP : And George Bush – by the way, George Bush had the chance also, and he didn’t listen to the advice of his CIA. (Et George Bush – à propos, George Bush en a eu l’occasion lui aussi, et il n’a pas écouté les conseils de sa CIA)
NB: On ne sait pas pourquoi Trump continue de parler du « règne » de George W. Bush plutôt que de sa « présidence ».
- Un débat plus sérieux et technique sur l’économie
Après une pause publicitaire bienvenue pour calmer les esprits, les candidats ont débattu sur le thème de l’économie et des mesures fiscales qu’ils entendent mettre en place en cas d’élection. Cette partie du débat fut beaucoup plus sérieuse et technique. Néanmoins, le reste du débat ayant été complètement fou, personne n’en aura retenu grand-chose.
Notons que John Kasich, qui est gouverneur de l’Ohio, a dû se défendre d’avoir augmenté les dépenses de son état afin que davantage de personnes aient accès à Medicaid (programme d’aide ayant pour but de fournir une assurance maladie aux personnes à faibles revenus). Il s’est défendu en disant tout d’abord qu’aider les plus démunis et les drogués à se soigner est une bonne chose. Et il a ajouté qu’au total, cela ferait baisser les dépenses de l’état. En effet, si les drogués ont les moyens de se soigner, ils n’iront plus en prison. Or, chaque détenu coûte à l’état 22,500$ par an.
- Ted Cruz s’énerve… et parle espagnol !
Un autre moment fort (et un peu fou) du débat. Une fois de plus, Marco Rubio et Ted Cruz s’affrontaient sur le sujet de l’immigration. Nous en avons déjà parlé longuement lors de nos précédents comptes-rendus. En résumé, Cruz accuse Rubio de ne pas être assez ferme en matière de lutte contre l’immigration et Rubio accuse Cruz d’avoir autrefois eu des positions semblables aux siennes et avoir durci son discours uniquement pour les besoins de l’élection. Rubio accusera encore une fois Cruz d’être un menteur.
RUBIO : We’re going to have to do this again, ok? When that issue was being debated, Ted Cruz, at a committee hearing, very passionately said, I want immigration reform to pass, I want people to be able to come out of the shadows. And he proposed an amendment that would have legalized people here. Not only that, he proposed doubling the number of green cards. He proposed a 500% increase on guest workers. Now his position is different. Now he is a passionate opponent of all those things. So he either wasn’t telling the truth then or he isn’t telling the truth now. (On va devoir répéter cela encore une fois, ok? Lorsque ce problème était débattu, Ted Cruz, lors d’une audition en comité, a dit très passionnément, je veux que la réforme de l’immigration passe, je veux que les gens puissent sortir de l’ombre. Et il a proposé un amendement qui aurait légalisé les gens présents ici. Et pas seulement cela, il a proposé de doubler le nombre de green cards. Il a proposé une augmentation de 500% du nombre de travailleurs immigrés. Maintenant sa position est différente. Maintenant il est un opposant passionné de toutes ces choses. Donc soit il ne disait pas la vérité à l’époque, soit il ne dit pas la vérité maintenant)
Cruz répliquera en accusant Rubio d’avoir défendu le DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals, un programme mis en place par Barack Obama en 2012 et qui permet d’accorder un statut légal temporaire aux enfants arrivés illégalement aux Etats-Unis) lors d’une interview en espagnol à la chaîne Univision*.
*Ted Cruz faisait référence à une interview accordée par Marco Rubio à Univision (la plus importante chaîne de télévision américaine diffusant ses programmes en espagnol) en avril 2015. Interrogé pour savoir s’il supprimerait le DACA s’il était élu, Rubio avait offert une position nuancée, affirmant qu’il serait impossible de le supprimer immédiatement étant donné que de nombreuses personnes en bénéficiaient déjà. Mais il avait ajouté qu’il ne pourrait pas devenir une politique permanente des Etats-Unis. Bref, il semblait suggérer vouloir y mettre fin mais peut-être pas pour les personnes qui en bénéficiaient déjà.
Ted Cruz a lui promis de supprimer le DACA dès le premier jour de sa présidence. Son attaque visait donc à démontrer que Rubio n’était pas assez ferme en matière d’immigration. Et pire que cela, en disant que Rubio avait tenu ces propos en espagnol sur une chaîne de télévision hispanophone, Cruz entendait sans doute suggérer que Rubio tenait un double discours. Il aurait fait cette déclaration en espagnol mais aurait évité de la faire en anglais depuis le début de sa campagne.
Réponse de Rubio ?
RUBIO : Well, first of all, I don’t know how he knows what I said on Univision cause he doesn’t speak Spanish. (Et bien, tout d’abord, je ne sais pas comment il sait ce que j’ai dit sur Univision parce qu’il ne parle pas espagnol)*
*Ted Cruz et Marco Rubio ont tous deux des origines cubaines et sont donc tous deux latino-américains. Cependant, leur rapport à la langue espagnole ne semble pas être tout à fait le même. Ted Cruz a reconnu lui-même par le passé que son niveau d’espagnol était mauvais. Il ne s’exprime donc jamais publiquement dans la langue de Cervantes. À l’inverse, Marco Rubio n’a jamais caché que son grand-père n’avait jamais bien parlé anglais et qu’il avait toujours parlé espagnol avec lui. En grandissant dans une famille d’origine cubaine à Miami, il a parlé les deux langues depuis toujours et est parfaitement bilingue. Il n’hésite pas à s’exprimer régulièrement en espagnol. Bref, il n’y a aucun doute sur le fait que Rubio parle mieux espagnol que Cruz. Néanmoins, il était sans doute très exagéré de la part de Rubio de prétendre que Cruz n’en parle pas un mot et est incapable de le comprendre.
Cruz l’a visiblement très mal pris et s’est énervé… en espagnol ! Alors même qu’il ne s’exprime pour ainsi dire jamais publiquement dans cette langue. Marco, si quieres… Ahora mismo, diselo ahora en español si quieres. (Marco, si tu veux… Maintenant, dis-le maintenant en espagnol si tu veux), a-t-il lancé à Rubio. Ce dernier n’a pas relevé et a continué d’accuser Cruz de mentir.
- Nouvel affrontement entre Donald Trump et Jeb Bush, au sujet de l’immigration
Après Rubio et Cruz, ce fut au tour de Trump et Bush de s’affronter au sujet de l’immigration. Rappelons que Trump veut construire un mur à la frontière, dont la construction serait financée par le gouvernement mexicain (il l’a encore réaffirmé lors de ce débat). Il a régulièrement accusé Bush d’être totalement laxiste en matière de lutte contre l’immigration illégale et l’a souvent critiqué pour avoir affirmé que les immigrants illégaux, même s’ils enfreignaient la loi, ne commettaient pas un crime mais « un acte d’amour » pour subvenir aux besoins de leur famille. Interrogé à ce sujet, voici ce que Bush a déclaré :
BUSH : The great majority of people that come to this country come because they have no other choice. They want to come to provide for their families. That doesn’t mean it’s right. We should pick who comes to our country. We should control our border. Coming here legally should be a lot easier than coming here illegally. But the motivation, they’re not all rapists, as you-know-who said. They’re not that. These are people that are coming to provide for their families. And we should show a little more respect for the fact that they’re struggling. It doesn’t mean we shouldn’t be controlling the border. That’s exactly what we should be doing. (La grande majorité des gens qui viennent dans ce pays viennent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Ils veulent venir pour subvenir aux besoins de leur famille. Cela ne signifie pas que c’est bien. Nous devrions choisir qui vient dans notre pays. Nous devrions contrôler notre frontière. Venir ici légalement devrait être beaucoup plus facile que de venir illégalement. Mais la motivation, ce ne sont pas tous des violeurs, comme vous-savez-qui l’a dit. Ils ne sont pas cela. Ce sont des gens qui viennent pour subvenir aux besoins de leur famille. Et nous devrions faire preuve d’un peu plus de respect du fait qu’ils sont en difficulté. Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas contrôler la frontière. C’est exactement ce que nous devrions faire)
Réponse de Trump et suite de la conversation :
TRUMP : Look, when I announced that I was running for president on June 16th, illegal immigration wasn’t even a subject. If I didn’t bring it up, we wouldn’t even be talking. Now I don’t often agree with Marco, and I don’t often agree with Ted, but I can in this case. The weakest person on this stage by far on illegal immigration is Jeb Bush*. They come out as an act of love, whether you like it or not. He is so weak on illegal immigration it’s laughable, and everybody knows it. (Ecoutez, lorsque j’ai annoncé ma candidature à la présidence le 16 juin, l’immigration illégale n’était même pas un sujet. Si je ne l’avais pas évoquée, nous ne serions même pas en train d’en parler. Maintenant je ne suis pas souvent d’accord avec Marco, et je ne suis pas souvent d’accord avec Ted, mais je peux l’être dans ce cas. La personne la plus faible de loin sur ce plateau en matière d’immigration illégale est Jeb Bush*. Ils viennent comme un acte d’amour, que vous le vouliez ou non. Il est tellement faible sur l’immigration illégale que cela en est ridicule, et tout le monde le sait)
*Il est étrange que Trump se déclare ici davantage d’accord avec Rubio qu’avec Bush puisque les positions de Rubio et Bush en matière d’immigration sont quasiment identiques.
BUSH : So, you know. This is the standard operating procedure, to disparage me. That’s fine… (Donc, vous savez. C’est la procédure standard, me dénigrer. C’est très bien…)
TRUMP : Spend a little more money on the commercials. (Dépense un peu plus d’argent pour les publicités)
BUSH : But, if you want to talk about weakness, you want to talk about weakness? It’s weak to disparage women. (Mais, si vous voulez parler de faiblesse, vous voulez parler de faiblesse? C’est faible de dénigrer les femmes)
TRUMP : I don’t know what you’re talking about. (Je ne sais pas de quoi tu parles)
BUSH : It’s weak to denigrate the disabled. And it’s really weak to call John McCain a loser because he was a… (C’est faible de dénigrer les personnes handicapées. Et c’est très faible d’appeler John McCain un loser parce qu’il était un…)
TRUMP : I never called him… (Je ne l’ai jamais appelé…)
BUSH : That is outrageous. The guy is an American hero. (C’est scandaleux. Cet homme est un héros américain)
TRUMP : He also said about language… Two days ago he said he would take his pants off and moon everybody, and that’s fine. Nobody reports that. He gets up and says that, and then he tells me, oh, my language was a little bit rough. My language. Give me a break. (Il a aussi dit à propos du langage… Il y a deux jours il a dit qu’il enlèverait son pantalon et qu’il montrerait ses fesses à tout le monde, et c’est très bien. Personne n’en parle. Il se lève et dit cela, et puis il me dit, oh, mon langage est un peu brutal. Mon langage. Lâche-moi un peu)
Bush précisera en plaisantant qu’il tient à rassurer sa mère : « I didn’t say that I was going to moon somebody » (Je n’ai pas dit que j’allais montrer mes fesses à quelqu’un)
À quoi Trump faisait-il référence? À une déclaration de Jeb Bush lors d’une interview accordée au Boston Globe. Mais en réalité, Bush n’a jamais dit qu’il avait l’intention de montrer ses fesses à quiconque. Il se plaignait du fait que les médias s’intéressent davantage aux frasques de Trump qu’à la campagne des autres candidats, et notamment la sienne. Il avait alors déclaré, à titre d’exemple, que même s’il montrait ses fesses à tout le monde, la presse ne le remarquerait sans doute pas. « I could drop my pants, moon the whole crowd. Everybody would be aghast, except the press guys would never notice » (Je pourrais enlever mon pantalon, montrer mes fesses à toute la foule. Tout le monde serait horrifié, sauf les gens de la presse qui ne le remarqueraient même pas).
- Affrontement entre Donald Trump et Ted Cruz
À la fin du débat, ce sera au tour de Ted Cruz de s’en prendre à Donald Trump, en l’accusant d’avoir autrefois défendu des positions très libérales. Donald Trump avouera avoir « évolué » avec l’âge sur certaines questions et se décrira comme un « commonsense conservative » (un conservateur raisonnable).
CRUZ : You know, flexibility is a good thing but it shouldn’t – you shouldn’t be flexible on core principles. (Vous savez, la flexibilité est une bonne chose mais elle ne devrait pas – vous ne devriez pas être flexible sur des principes fondamentaux)
Cruz accusera ensuite Trump de s’être décrit autrefois comme très favorable à l’avortement. Trump l’accusera de mentir. (Ndlr: En réalité, sur ce point, Ted Cruz a raison. Trump s’est bien défini comme très favorable à l’avortement par le passé, notamment lors d’une interview sur CNN).
TRUMP : You are the single biggest liar. You probably are worse than Jeb Bush. (Tu es le plus gros menteur. Tu es probablement pire que Jeb Bush)
Cruz répliquera que dès que l’on confronte Trump à la réalité de ses déclarations passées, tout ce qu’il sait faire est de crier au mensonge.
- Complicité naissante entre John Dickerson et Marco Rubio ?
Lors de la dernière partie du débat, le modérateur John Dickerson semblait un peu épuisé (et on peut le comprendre). En témoigne ce moment où il a demandé à Marco Rubio de prendre la parole sans lui poser de question !
DICKERSON : Senator Marco Rubio, please weigh in. (Sénateur Marco Rubio, s’il-vous-plaît, donnez votre point de vue)
RUBIO : On anything I want? (Sur ce que je veux?)
Et un peu plus tard, il dira même à Rubio de faire ce qu’il veut…
DICKERSON : Senator Rubio, I want to ask you a 30-second question, no president can… (Sénateur Rubio, je veux vous poser une question à laquelle vous répondrez en 30 secondes, aucun président ne peut…)
RUBIO : Thirty seconds? (30 secondes?) (Ndlr: Normalement, les candidats ont 1 minute pour répondre aux questions)
DICKERSON : No – well, I’ll ask the question, you do what you want. (Non – enfin, je vais poser la question, vous faites ce que vous voulez)
RUBIO : I speak fast. (Je parle vite)
Il était probablement temps que cela se termine.
- Quand Ben Carson cite Staline
On croyait avoir à peu près tout entendu et puis… Lors de son closing statement, Ben Carson n’a rien trouvé de mieux que de citer Staline. Voici ce qu’il a déclaré :
Joseph Stalin said if you want to bring America down, you have to undermine three things : our spiritual life, our patriotism and our morality. (Joseph Staline a dit que si vous voulez renverser l’Amérique, vous devez discréditer trois choses : notre vie spirituelle, notre patriotisme et notre moralité)
Au-delà du choix étrange de citer Staline lors d’un débat républicain, il s’avère que ces propos n’ont en réalité probablement jamais été prononcés par ce dernier. En effet, aucune source fiable ne mentionne cette citation de Staline. Mais elle circule beaucoup sur Internet.
- La phrase de la soirée
My wife tells me I’m wrong all the time. And I listen. (Ma femme me dit tout le temps que j’ai tort. Et je l’écoute)
Donald Trump, interrogé pour savoir s’il était capable d’accepter les critiques.
VAINQUEURS ET PERDANTS
Peut-on vraiment désigner des vainqueurs et des perdants suite à un tel débat? La tâche est difficile mais on s’y colle tout de même.
- Les gagnants
Marco Rubio. Une semaine tout juste après avoir été l’auteur d’une performance catastrophique lors du débat de ABC News, Marco Rubio s’est très bien repris. On a retrouvé le Rubio qu’on avait eu l’habitude de voir lors des débats précédents. Sa défense de George W. Bush face aux accusations de Donald Trump fut l’un des moments forts de la soirée. Sa seule erreur fut sans doute de suggérer que Ted Cruz était incapable de comprendre l’espagnol.
Jeb Bush. Certes, la défense de sa famille a parfois viré quelque peu au ridicule (My dad is the greatest man alive) mais globalement, Jeb Bush sort gagnant de ce débat. Il a (enfin) véritablement réussi à prendre le dessus sur Trump lors d’un débat, poussant ce dernier à sortir de ses gonds et à paraître par moments franchement ridicule. Il paraît même que Donald Trump a refusé de serrer la main de Bush à la fin du débat…
Les débats républicains. Dans un précédent article, nous écrivions que les débats républicains étaient bien plus animés et riches en rebondissements que les débats démocrates, et, par conséquent, plus agréables à regarder. Nous confirmons. Bien sûr, on a eu davantage l’impression ici de regarder un spectacle de cirque qu’un débat politique (et ce n’est pas une bonne chose pour la politique ni pour le Parti Républicain cf. les perdants ci-dessous). Mais tout de même, en ce qui nous concerne, on a bien ri. Et, bien que cela ait un aspect pitoyable, cela donne envie d’assister au prochain épisode.
- Les perdants
Donald Trump. Certes, le niveau global du débat n’était pas très relevé. Mais Trump n’a fait QUE traiter ses adversaires de menteurs ou les attaquer personnellement tout au long de la soirée. Il n’a pas dit une seule chose positive ou constructive. Il n’a pas présenté une seule proposition politique concrète, si ce n’est celle de faire payer la construction de son mur par le gouvernement mexicain. Et il s’est fait copieusement hué par le public.
Ben Carson. On peut lui reconnaître la qualité d’éviter les attaques personnelles, tout comme John Kasich. Mais il a encore une fois été transparent ou presque. Jusqu’à ce qu’il décide de citer Staline dans son closing statement.
La politique en général et le Parti Républicain en particulier. Ce débat ressemblait davantage à un spectacle de cirque qu’à un débat politique. Or, on parle quand même ici d’un débat entre des candidats à la présidence des Etats-Unis d’Amérique ! Si on a bien ri sur le moment, c’est un peu effrayant quand on y songe a posteriori. La politique, déjà décriée par de nombreux citoyens, ne sort pas grandie d’une telle soirée. Le Parti Républicain encore moins.
Ce débat a réuni 13,5 millions de téléspectateurs, ce qui en fait le débat le plus regardé depuis le début de l’année 2016 (Républicains et Démocrates confondus).
Le prochain débat républicain aura lieu le 25 février, soit après la primaire de Caroline du Sud et le caucus du Nevada mais avant le Super Tuesday. Il sera organisé par CNN et c’est le célèbre journaliste Wolf Blitzer qui sera aux commandes. On lui souhaite bonne chance.