Le témoignage de l’ex-directeur du FBI licencié par Donald Trump était très attendu. Nous vous résumons ce qu’il fallait en retenir.
UN TÉMOIGNAGE ÉCRIT À LIRE ABSOLUMENT
L’audition de James Comey était prévue le jeudi 8 mai à 10h (heure de Washington). La veille, la version écrite de son témoignage était déjà rendue publique. Le texte de sept pages est accessible ici (en anglais). Et pour ceux d’entre vous qui ne maîtrisent pas assez bien la langue de Shakespeare, L’Obs a eu la bonne idée de traduire l’entièreté du document en français ici. Vous n’avez donc aucune excuse pour ne pas lire l’ensemble du texte !
James Comey y relate les événements qui l’ont troublé lors de ses différentes interactions avec Donald Trump. Il évoque d’abord sa toute première rencontre avec le futur président, le 6 janvier. À ce moment-là, Donald Trump a déjà remporté l’élection présidentielle mais n’est pas encore entré à la Maison Blanche. Cette première rencontre a lieu à la Trump Tower, dans le cadre d’une réunion rassemblant le futur président et différents représentants des services de renseignement américains. Le but de la réunion est d’informer le futur président au sujet des récents agissements de la Russie pour interférer dans le processus électoral américain. Ce jour-là, Comey dit à Donald Trump qu’il ne fait pas personnellement l’objet d’une enquête du FBI. C’est également à l’issue de ce premier entretien qu’il décide de rédiger un compte-rendu après chacune de ses entrevues avec le président. Comey précise qu’il n’avait jamais ressenti le besoin d’en faire autant après ses rencontres avec le président Obama. Il ajoute qu’en un peu plus de trois ans, il n’a rencontré ce dernier qu’à deux reprises. Il a en revanche eu neuf interactions en quatre mois seulement avec Donald Trump (dont six par téléphone) !
La deuxième rencontre évoquée par Comey est un dîner à la Maison Blanche, le 27 janvier. Le président Trump l’a spécialement invité à dîner en tête-à-tête. Comey explique s’être senti mal à l’aise lors de ce dîner, notamment lorsque le président lui a dit:
I need loyalty, I expect loyalty. (J’ai besoin de loyauté, je m’attends à ce que vous soyez loyal)
James Comey évoque ensuite une troisième rencontre dans le Bureau Ovale, le 14 février. Il assiste à une réunion consacrée à la lutte contre le terrorisme et rassemblant le Président Trump, le vice-président, le secrétaire à la Sécurité Intérieure, le ministre de la Justice, le directeur du FBI, le directeur adjoint de la CIA et le directeur du centre national de lutte contre le terrorisme. Comey affirme qu’à la fin de la réunion, Donald Trump a ordonné à tout le monde de quitter la pièce parce qu’il voulait lui parler en privé. Une fois les deux hommes seuls dans le Bureau Ovale, Comey affirme que le président lui a indiqué qu’il voulait lui parler de Michael Flynn, contraint de démissionner cinq jours plus tôt. Le président a alors indiqué à Comey que Flynn n’avait rien fait de mal en parlant à l’ambassadeur russe, avant de déclarer:
He is a good guy. I hope you can let this go. (C’est un homme bien. J’espère que vous pourrez laisser tomber)
Comey affirme avoir simplement répondu « C’est un homme bien » pour mettre fin à la conversation le plus rapidement possible. Il déclare aussi avoir interprété les propos de Trump comme une incitation claire à abandonner l’enquête visant Michael Flynn, mais pas forcément l’ensemble de l’enquête relative à la Russie et à son interférence dans le processus électoral. Dans tous les cas, Comey maintient qu’il s’agissait d’une demande totalement inappropriée ne respectant pas l’indépendance du FBI.
It was very concerning, given the FBI’s role as an independent investigative agency. (C’était très préoccupant, vu le rôle d’agence indépendante du FBI)
Comey affirme aussi qu’après cet entretien dérangeant avec le président, il a fait part de son inconfort au ministre de la Justice, Jeff Sessions. Il lui aurait demandé de faire en sorte qu’il n’ait plus à communiquer directement avec le président. Celui-ci le contactera pourtant encore par téléphone à plusieurs reprises.
Comey évoque une première conversation téléphonique datant du 30 mars. Le président l’aurait appelé pour lui expliquer que l’enquête sur la Russie empêchait son administration de travailler dans de bonnes conditions et que c’était injuste parce qu’il n’avait rien fait de mal.
He said he had nothing to do with Russia, had not been involved with hookers in Russia, and had always assumed he was being recorded when in Russia. (Il a dit qu’il n’avait rien à voir avec la Russie, qu’il n’avait pas été impliqué avec des prostituées en Russie, et qu’il avait toujours supposé qu’il était enregistré lorsqu’il était en Russie)
Comey aurait simplement répondu au président que le FBI faisait de son mieux pour que l’enquête aboutisse le plus rapidement possible. Il lui aurait également répété qu’il ne faisait pas personnellement l’objet d’une enquête et qu’il l’avait fait savoir aux membres du Congrès. Donald Trump aurait alors insisté pour qu’il rende cette information publique. (Comey explique qu’il était réticent à affirmer publiquement que l’enquête ne concernait pas le président car le FBI aurait perdu en crédibilité si l’état des choses avait changé par la suite, ce qui est toujours possible).
Enfin, Comey évoque une dernière conversation téléphonique datant du 11 avril. Le président Trump l’aurait rappelé pour lui demander s’il avait réfléchi au moyen de faire savoir publiquement qu’il ne faisait pas l’objet d’une enquête. Comey lui aurait alors dit que c’était au ministère de la Justice que la Maison Blanche devait s’adresser pour en discuter.
***
Venons-en maintenant au témoignage oral et sous serment de James Comey devant le Sénat.
QUI INTERROGEAIT JAMES COMEY?
James Comey témoignait devant le comité du renseignement du Sénat (Senate Intelligence Committee), qui mène une enquête sur la Russie et les éventuels liens entre celle-ci et l’équipe de campagne de Donald Trump. Ce comité est composé de huit sénateurs républicains et de sept sénateurs démocrates. Le Républicain Richard Burr en est le président et le Démocrate Mark Warner en est le vice-président.

Tous les sénateurs membres du comité ont interrogé Comey chacun à leur tour. L’audition a duré environ trois heures. Bien qu’il ne soit pas membre du comité, John McCain a également pu interroger Comey en raison de son statut de président du comité des forces armées.
QUE FALLAIT-IL RETENIR DE L’AUDITION?
Lors de son opening statement, James Comey a expliqué qu’il n’allait pas relire les sept pages de son témoignage écrit rendu public la veille, puisque tout le monde en avait déjà pris connaissance. Il a plutôt insisté sur le fait qu’il avait été troublé par les raisons invoquées par la Maison Blanche pour justifier son licenciement. Et il a aussi affirmé que la Maison Blanche avait menti en disant qu’il n’avait plus le soutien des employés du FBI et que l’agence était en difficulté.
Those were lies, plain and simple. (Ce sont des mensonges, purement et simplement)
James Comey a ensuite répondu aux questions des sénateurs. Voici ce qu’il fallait retenir.
1 – James Comey affirme que Donald Trump lui a demandé:
- d’être loyal envers lui, tout en suggérant que l’inverse pourrait lui faire perdre son job
- d’abandonner l’enquête sur Michael Flynn, mais pas l’ensemble de l’enquête sur la Russie et son interférence dans l’élection de 2016
- de faire publiquement savoir qu’il ne faisait pas personnellement l’objet d’une enquête
D’après Comey, ces trois demandes allaient à l’encontre du respect de l’indépendance du FBI. Mais peut-on pour autant parler d’entrave à la justice? James Comey a refusé de répondre à cette question, affirmant que ce serait au procureur spécial désormais en charge de l’enquête de le déterminer.
Les proches de Donald Trump le défendent désormais en expliquant que le président a simplement dit à Comey qu’il « espérait » qu’il pourrait laisser tomber l’enquête sur Flynn (« I hope you can let this go »). Il aurait donc simplement fait un vœu et non ordonné à Comey de mettre fin à l’enquête. Par conséquent, on ne pourrait pas parler d’entrave à la justice. Cet argument a été mis en avant par Donald Trump Jr. alors qu’il commentait l’audition de James Comey en direct sur Twitter. D’après lui, lorsque son père donne un ordre à quelqu’un, il est bien plus clair que cela.

L’un des sénateurs républicains interrogeant Comey (James Risch) a également repris cet argument lors de l’audition, posant la question suivante à Comey:
He said « I hope ». You don’t know of anyone that’s ever been charged for hoping something? (Il a dit « j’espère ». Connaissez-vous quelqu’un ayant déjà été inculpé pour avoir espéré quelque chose?)
« Non », a répondu Comey.
À l’inverse, beaucoup de Démocrates, ainsi que certains juristes, estiment qu’une simple suggestion faite au directeur du FBI pour l’inciter à mettre fin à une enquête est suffisante pour parler d’entrave à la justice.
Notre analyse. Donald Trump a-t-il eu un comportement inapproprié pour un Président des Etats-Unis en étant peu respectueux de l’indépendance du FBI? Oui. Est-ce inquiétant? Oui. Pourra-t-il pour autant être accusé d’entrave à la justice? Juridiquement parlant, ce n’est pas certain. Même s’il y a peu de raisons de penser que James Comey ait menti sous serment, les seuls éléments à charge contre Donald Trump ne reposent pour l’instant que sur son témoignage. Il faudrait sans doute davantage de preuves concrètes pour que le président soit véritablement inquiété. Mais l’enquête n’est évidemment pas terminée…
2 – James Comey a accusé à plusieurs reprises Donald Trump d’être un menteur. Autrement dit, l’ex-directeur du FBI a publiquement accusé le président des Etats-Unis d’être un menteur pathologique. Ce n’est pas rien.
Par exemple, lorsque l’on a demandé à Comey pourquoi il avait ressenti le besoin de rédiger des notes après chacune de ses entrevues avec le président, il a expliqué qu’il était inquiet à l’idée que Donald Trump puisse un jour mentir à son sujet.
I was honestly concerned he might lie about the nature of our meeting. (J’étais vraiment inquiet à l’idée qu’il puisse mentir sur la nature de notre entretien)
I knew that there might come a day where I might need a record of what happened. (Je savais que je pourrais un jour avoir besoin d’un compte-rendu de ce qu’il s’était passé)
3 – Pourquoi James Comey a-t-il décidé de dénoncer les agissements de Trump après son licenciement? Pourquoi ne pas avoir parlé plus tôt? Les sénateurs lui ont posé la question. Comey a déclaré qu’il avait été troublé par les raisons invoquées par la Maison Blanche pour justifier son licenciement mais que l’élément décisif l’ayant poussé à s’exprimer était ce tweet menaçant publié par Donald Trump peu après son licenciement.

Comey a déclaré que c’est en voyant ce tweet qu’il avait compris qu’il ne pouvait pas rester silencieux. Il a alors demandé à l’un de ses amis – un professeur de droit à l’Université de Columbia – de faire parvenir ses notes à la presse. Il a aussi affirmé qu’il espérait que leur publication pousserait le Département de la Justice à nommer un procureur spécial ! Un pari réussi puisque c’est exactement ce qu’il s’est passé.
4 – La principale critique adressée à Comey par les sénateurs fut la suivante: pourquoi ne pas avoir réagi plus fermement lorsque Donald Trump lui a suggéré de laisser tomber l’enquête visant Michael Flynn? Pourquoi ne pas lui avoir clairement dit que ce type de conversations n’était pas approprié et qu’il ne pouvait pas discuter de cela avec lui? James Comey a reconnu qu’il aurait sans doute pu mieux réagir. Mais il affirme avoir été tellement stupéfait par l’attitude du président qu’il a tout simplement voulu mettre fin à la conversation le plus rapidement possible.
5 – La phrase du jour (à voir également dans la vidéo ci-dessus)
I’ve seen the tweet about tapes. Lordy, I hope there are tapes. (J’ai vu le tweet à propos des enregistrements. Mon Dieu, j’espère qu’il y a des enregistrements)
James Comey affirme que si ses conversations avec le président ont vraiment été enregistrées, il espère que les enregistrements seront rendus publics. Ils permettraient de prouver qu’il dit la vérité.
6 – James Comey a aussi critiqué Loretta Lynch lors de son audition. Lynch n’est autre que l’ex-ministre de la Justice de Barack Obama. Comey a affirmé qu’elle lui avait demandé, alors que le FBI enquêtait sur les e-mails d’Hillary Clinton, de parler d’une « affaire » et non d’une « enquête ».
At one point, the Attorney General had directed me not to call it an investigation but instead to call it a matter, which confused me and concerned me. (À un moment donné, l’Attorney General m’a demandé de ne pas qualifier cela d’enquête mais plutôt d’affaire, ce qui m’a troublé et inquiété)
Loretta Lynch s’était aussi entretenue en privé avec Bill Clinton sur le tarmac d’un aéroport pendant la campagne. Comey a déclaré que cette rencontre l’avait poussé à présenter les conclusions de l’enquête sur Hillary Clinton au public. Il craignait que le public n’ait plus confiance dans l’indépendance du FBI s’il ne le faisait pas. Rappel: Les conclusions de l’enquête du FBI étaient qu’il n’y avait pas assez d’éléments à charge pour engager des poursuites contre l’ex-Secrétaire d’Etat, bien qu’elle ait été « extrêmement négligente » dans sa gestion d’informations classifiées. Les Républicains continuent de considérer que le FBI a été clément avec Clinton en estimant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments à charge pour engager des poursuites à son encontre.
7 – Enfin, qu’est-il donc arrivé à John McCain? Il a semblé très confus au moment d’interroger Comey, qu’il a même qualifié de « Président Comey ». Le sénateur de l’Arizona a semblé reprocher à Comey de s’être exprimé publiquement pour disculper Hillary Clinton et de refuser de le faire pour Donald Trump. Or, dans le premier cas, Comey a présenté les conclusions d’une enquête qui était terminée. L’enquête relative à la Russie est quant à elle toujours en cours. Personne n’a vraiment compris où John McCain voulait réellement en venir, d’autant plus qu’il est habituellement l’un des sénateurs républicains les plus critiques à l’encontre du président.
Quelques heures après la fin de l’audition, John McCain a tenté de se justifier avec humour. Dans un communiqué, il a affirmé qu’il n’aurait pas dû rester éveillé tard la veille de l’audition pour regarder un match de baseball à la télévision. Il affirme qu’il cherchait simplement à savoir pourquoi James Comey ne voulait pas dire s’il pensait qu’il y avait lieu ou non de poursuivre Donald Trump pour entrave à la justice, alors qu’il avait donné son avis sur Hillary Clinton.
LA RÉPONSE DE DONALD TRUMP
Donald Trump n’a miraculeusement publié aucun tweet durant l’audition de James Comey.
Le lendemain, il recevait le Président roumain à la Maison Blanche. Lors d’une conférence de presse organisée pour l’occasion, il a déclaré que James Comey avait affirmé des choses fausses la veille. Autrement dit, Donald Trump accuse Comey d’avoir menti sous serment ! (Ce qui, rappelons-le, est un crime aux Etats-Unis). Le président a aussi affirmé qu’il était disposé à témoigner à son tour sous serment devant le Sénat.
LE CHIFFRE DU JOUR
19,5 millions d’américains ont regardé l’audition de James Comey en direct à la télévision. Elle était diffusée sur toutes les grandes chaînes (ABC, NBC, CBS, CNN, Fox News, MSNBC, etc.). Ce chiffre ne concerne que les audiences télévisées. Des millions de personnes supplémentaires ont suivi l’audition en streaming sur Internet. Twitter a par exemple annoncé que 2,7 millions de personnes avaient consulté son livestream.
2 réflexions sur “RETOUR SUR LE TÉMOIGNAGE DE JAMES COMEY AU SÉNAT”