LE RAPPORT MUELLER, EN RÉSUMÉ

Vous n’avez pas le temps de lire l’entièreté du rapport Mueller mais vous voudriez savoir ce qu’il contient? Vous cherchez un résumé de qualité? C’est là que nous intervenons. Suivez le guide !

INTRODUCTION

Le rapport Mueller, officiellement intitulé Report on the Investigation Into Russian Interference in the 2016 Presidential Election, compte 448 pages. Il est téléchargeable au format PDF en cliquant sur le lien suivant: https://www.justice.gov/storage/report.pdf. 

Le rapport est divisé en deux volumes. Le premier volume présente les conclusions de l’enquête sur la campagne d’ingérence russe lors de la campagne électorale de 2016. Le deuxième volume présente les conclusions de l’enquête menée pour savoir si le président Trump s’est rendu coupable d’entrave à la justice.

Notre résumé fait 34 pages. Il est donc assez long. Nous pensons néanmoins que réduire un rapport de 448 pages d’une telle importance à un bon résumé de 34 pages est un résultat satisfaisant 🤓 Installez-vous confortablement et n’oubliez pas que tout ce que vous allez lire n’est pas le scénario d’un film hollywoodien. Tout est bien réel.

Notez que la version du rapport qui a été rendue publique est une version expurgée. Autrement dit, certaines parties du texte ont été masquées (environ 6% du contenu du rapport, selon ProPublica). Pour chaque portion de texte qui a été masquée, le Département de la Justice explique la raison pour laquelle les informations qu’elle contenait ne pouvaient pas être dévoilées publiquement. Il s’agit le plus souvent d’informations obtenues devant un grand jury – et qui ne peuvent donc pas être légalement rendues publiques – et/ou d’informations en lien avec des enquêtes encore en cours. Quelques pages du rapport ressemblent donc à cela:

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RÉSUMÉ DU VOLUME I DU RAPPORT

Le premier volume du rapport Mueller présente les résultats de l’enquête sur l’ingérence russe lors de la campagne électorale américaine de 2016, ainsi que sur les interactions entre certains membres de l’équipe de campagne de Donald Trump et des ressortissants russes.

Conclusions principales

1. La Russie a bien mené une campagne d’ingérence sans précédent pour tenter d’influencer le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2016.

2. L’enquête menée par le procureur Mueller n’a pas démontré l’existence d’une quelconque coordination entre l’équipe de campagne de Donald Trump et le gouvernement russe dans le cadre de cette campagne d’ingérence.

Même si l’enquête a démontré que de nombreux contacts avaient eu lieu entre des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump et des ressortissants russes au cours de la campagne, le procureur Mueller a estimé qu’il n’y avait pas de quoi inculper quiconque d’un crime. Pour reprendre les mots du rapport,

The investigation also identified numerous links between the Russian government and the Trump Campaign. Although the investigation established that the Russian government perceived it would benefit from a Trump presidency and worked to secure that outcome, and that the Campaign expected it would benefit electorally from information stolen and released through Russian efforts, the investigation did not establish that members of the Trump Campaign conspired or coordinated with the Russian government in its election interference activities. (L’enquête a également identifié de nombreux liens entre le gouvernement russe et la Campagne Trump. Bien que l’enquête ait établi que le gouvernement russe pensait qu’il bénéficierait d’une présidence Trump et a travaillé pour obtenir ce résultat, et que la Campagne pensait qu’elle bénéficierait électoralement des informations volées et publiées grâce aux efforts russes, l’enquête n’a pas établi que des membres de la Campagne Trump aient conspiré ou se soient coordonnés avec le gouvernement russe dans le cadre de ses activités d’ingérence électorale)

1. La campagne d’ingérence russe

Cette partie du rapport n’est pas celle qui a suscité le plus grand nombre de commentaires et pourtant… Elle est édifiante et cruciale. L’enquête de Robert Mueller a bien pu établir que le gouvernement russe avait mené une campagne d’ingérence visant à influencer le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2016.

En réalité, cette campagne d’ingérence russe était composée de deux opérations distinctes mais complémentaires: d’une part, une campagne de désinformation et de propagande sur les réseaux sociaux et, d’autre part, une campagne de piratage informatique dirigée contre la campagne d’Hillary Clinton et le Parti Démocrate.

A. La campagne d’ingérence russe sur les réseaux sociaux

Cette opération a été menée par l’Internet Research Agency (IRA), basée à St-Pétersbourg. Cette organisation est financée par un oligarque russe proche de Vladimir Poutine: Yevgeniy Prigozhin.

L’opération menée par l’IRA sur les réseaux sociaux a débuté dès 2014 et visait principalement à « provoquer et amplifier la discorde politique et sociale aux Etats-Unis », afin de discréditer le système électoral américain. En 2016, l’opération a évolué et s’est transformée en campagne visant à soutenir la candidature de Donald Trump à l’élection présidentielle. Ainsi, à partir de février 2016, l’IRA mentionne son soutien à Donald Trump et son opposition à Hillary Clinton dans des documents internes que Robert Mueller a réussi à obtenir au cours de son enquête. On peut par exemple y lire: « Idée principale: Utiliser toute opportunité qui se présente pour critiquer Hillary et les autres (excepté Sanders et Trump – nous les soutenons) ».

Outre la publication d’informations négatives et souvent mensongères sur plusieurs candidats adversaires de Trump, l’IRA a également organisé des dizaines d’événements au cours de la campagne. Certains de ces événements ont rassemblé plusieurs centaines de citoyens américains. Plusieurs rassemblements pro-Trump ont ainsi été organisés par l’IRA à New York, en Floride et en Pennsylvanie. Le rapport contient une photo de l’affiche de l’un de ces rassemblements.

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Comment l’IRA s’y prenait-elle? Rien de plus simple. Elle avait créé de très nombreux faux profils sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) au nom de citoyens américains. Elle avait aussi créé des pages Facebook telles que « Being Patriotic », « Stop All Immigrants » ou « LGBT United ». Lorsque l’IRA désirait organiser un rassemblement, elle en faisait la publicité sur ces pages et contactait ensuite des citoyens américains susceptibles d’être intéressés pour les inciter à s’y rendre. L’IRA a même parfois recruté des citoyens américains pour effectuer des missions précises. Une personne a par exemple été recrutée pour se promener dans la ville de New York déguisée en Père Noël avec un masque de Trump sur le visage ! Tous les citoyens américains qui participaient à ces événements pensaient toujours qu’ils avaient été organisés par d’autres citoyens ou des organisations américaines. Ils n’avaient pas du tout conscience d’être manipulés.

Le rapport estime que l’IRA pouvait atteindre des millions de citoyens américains sur les réseaux sociaux. Certains de ses comptes Facebook et Instagram avaient des centaines de milliers d’abonnés. En août 2017, Facebook a désactivé les comptes identifiés comme appartenant à l’IRA. D’après Facebook, ces comptes désactivés avaient publié plus de 80,000 messages depuis leur création et ces messages auraient pu atteindre jusqu’à 126 millions de personnes.

Sur Twitter, l’IRA avait créé de nombreux comptes appartenant soi-disant à des citoyens américains supporters de Donald Trump. Ces comptes publiaient de nombreux messages, parfois très polémiques, et certains avaient accumulé des dizaines de milliers d’abonnés. Certains tweets publiés par ces faux comptes de citoyens américains ont même été partagés par des journalistes ou des personnalités politiques américaines.

B. Les opérations de piratage informatique

Parallèlement aux actions de l’IRA, le GRU, une branche des services secrets russes, a mené des opérations de piratage informatique dirigées contre la campagne d’Hillary Clinton et le Parti Démocrate. En mars 2016, ce sont d’abord les boîtes mails de plusieurs employés de la campagne Clinton qui ont été piratées, dont celle de John Podesta, le directeur de campagne de la candidate démocrate. En avril 2016, ce sont les serveurs informatiques du Parti Démocrate qui ont été piratés à leur tour. Des centaines de milliers de documents ont ainsi été obtenus par le GRU.

À partir de juin 2016, le GRU a fait en sorte que les documents volés contenant des informations susceptibles de nuire à l’image d’Hillary Clinton soient publiés sur Internet. Certains documents ont d’abord été publiés sur un site web créé directement par le GRU et baptisé DCLeaks. Ensuite, d’autres documents ont été publiés sur un blog WordPress, lui aussi directement créé par le GRU, et dont l’administrateur était présenté sous le pseudonyme Guccifer 2.0. DCLeaks et Guccifer 2.0 ont ensuite contacté WikiLeaks, l’organisation de Julian Assange, pour lui proposer de lui transmettre des documents à publier. Le GRU semblait souhaiter que les documents soient publiés par WikiLeaks parce qu’il savait que cela aurait plus de visibilité et donc, plus d’impact. WikiLeaks a accepté de collaborer et a publié de très nombreux documents issus du piratage russe. Le patron de WikiLeaks, Julian Assange, était très hostile à Hillary Clinton, qu’il aurait notamment décrite à certains de ses associés comme « une sociopathe sadique ».

Lorsque la presse américaine a commencé à affirmer que la Russie était responsable du piratage informatique du Parti Démocrate, WikiLeaks a nié avoir obtenu les documents publiés sur son site des mains de la Russie. L’organisation a même tenté de faire croire qu’elle les avait obtenus via Seth Rich, un ancien employé du Parti Démocrate décédé en juillet 2016. Cette explication a contribué à entretenir une théorie du complot selon laquelle Hillary Clinton aurait fait assassiner Seth Rich pour se venger. En réalité, selon l’enquête de Robert Mueller, il ne fait aucun doute que WikiLeaks a bien reçu les documents du GRU et a collaboré avec la Russie.

⚠ Le rapport note que le GRU est aussi parvenu à pirater des ordinateurs appartenant à des individus et entités chargées de l’administration des élections dans certains états américains. Le procureur Mueller n’a pas véritablement enquêté en profondeur sur ce point parce que cela ne relevait pas de son mandat. Le rapport affirme que le FBI, le Department of Homeland Security et les autorités compétentes dans les différents états concernés ont mené ou mènent encore leurs propres enquêtes à ce sujet. Ce point pose clairement la question de l’avenir. Que se passerait-il si, lors d’une prochaine élection, la Russie ne se contentait plus seulement de tenter d’influencer la campagne, mais parvenait à truquer le résultat des votes électroniques? Certains élus américains suggèrent déjà de revenir au vote papier partout aux Etats-Unis.

Les actions de l’IRA et du GRU ont été reconnues comme des crimes. Le procureur Mueller a inculpé plusieurs individus et entités russes pour ces crimes.

2. Les contacts entre des individus associés à la campagne Trump et des ressortissants russes durant la campagne électorale

L’enquête de Robert Mueller démontre qu’alors même que les activités d’ingérence russes avaient lieu, certains membres de l’équipe de campagne de Donald Trump sont entrés en contact avec des individus proches du gouvernement russe. Tous ces contacts peuvent paraître suspects (c’est d’ailleurs pour cela que le FBI a ouvert une enquête) et sont très certainement moralement condamnables (en principe, une équipe de campagne ne devrait-elle pas alerter le FBI si un gouvernement étranger semble vouloir lui venir en aide?). Cependant, comme nous l’avons déjà indiqué ci-dessus, l’enquête du procureur Mueller n’a trouvé aucune preuve que tous ces contacts aient fait partie d’une véritable coordination entre l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie dans le cadre de sa campagne d’ingérence. Autrement dit, rien ne démontre que la campagne Trump ait été complice de la campagne d’ingérence russe. La campagne Trump a semblé vouloir profiter des agissements russes, mais, aussi moralement et politiquement condamnable que cela puisse paraître, ce n’est pas un crime. C’est en tout cas la conclusion de Robert Mueller.

⚠ Si Robert Mueller n’a inculpé aucun membre de l’équipe de campagne de Donald Trump pour conspiration avec la Russie, son enquête a en revanche permis d’inculper un certain nombre d’individus pour avoir menti sous serment (aux enquêteurs et/ou au Congrès) ou pour des crimes connexes découverts au cours de l’enquête (par exemple, les crimes financiers de Paul Manafort, pour lesquels il a été jugé et condamné).

Venons-en maintenant à la description des contacts qui ont existé entre des membres de la campagne Trump et des individus proches du gouvernement russe. Robert Mueller a notamment enquêté sur les discussions autour de la construction d’une Trump Tower à Moscou, sur la fameuse rencontre entre Donald Trump Jr., Jared Kushner, Paul Manafort et une avocate russe à la Trump Tower de New York, ainsi que sur les agissements de Paul Manafort, Michael Flynn, George Papadopoulos et Carter Page.

A. Le projet de construction d’une Trump Tower à Moscou

L’enquête de Robert Mueller démontre que la Trump Organization a travaillé sur un projet de construction d’une Trump Tower à Moscou de 2013 à juin 2016. Le projet prévoyait de construire une tour rassemblant des appartements luxueux, des commerces et un hôtel.

Le projet a vu le jour peu après l’organisation du concours Miss Univers à Moscou en novembre 2013. Donald Trump était à l’époque le propriétaire de la société gérant l’organisation de ce concours. En 2013, le concours est organisé dans la capitale russe, dans la propriété de l’homme d’affaires et milliardaire russe Aras Agalarov. Donald Trump assiste à l’événement. Peu de temps après, la Trump Organization entame des discussions au sujet de la construction d’une Trump Tower à Moscou avec le Crocus Group, un groupe immobilier appartenant à Aras Agalarov.

Donald Trump Jr. est alors le principal négociateur pour la Trump Organization. De son côté, le Crocus Group est représenté par Emin Agalarov, fils d’Aras Agalarov et également chanteur à succès en Russie. Un accord préliminaire est signé entre les deux groupes en décembre 2013. De janvier à novembre 2014, les négociations autour du développement du projet se poursuivent, notamment au sujet de nombreux détails architecturaux. En février 2014, Ivanka Trump se rend même à Moscou pour rencontrer Emin Agalarov et visiter le site où la Trump Tower doit être construite.

Mais, curieusement, à partir de septembre 2014, la Trump Organization cesse de répondre aux messages du Crocus Group. Le projet est abandonné avant que la construction de la tour ait effectivement commencé.

Environ un an plus tard, en septembre 2015, la Trump Organization reçoit une nouvelle proposition relative à la construction d’une Trump Tower à Moscou. Donald Trump est alors candidat à l’élection présidentielle américaine depuis trois mois. La proposition émane de Felix Sater, un agent immobilier new-yorkais ayant déjà travaillé avec la Trump Organization sur d’autres projets. Il contacte Michael Cohen, avocat de Donald Trump et vice-président de la Trump Organization, au nom de la société russe I.C. Expert. Cette société appartient à un homme d’affaires russe, Andrei Vladimirovich Rozov. Sater connaît Rozov depuis plusieurs années et a déjà travaillé avec lui pour des achats immobiliers à New York. Donald Trump donne l’autorisation à Michael Cohen de négocier avec Sater et I.C. Expert pour voir si le projet de construction d’une Trump Tower à Moscou pourrait aboutir. Michael Cohen va donc négocier et tenir régulièrement Donald Trump informé de l’évolution des négociations. Rappelons une nouvelle fois que Donald Trump est alors déjà candidat à l’élection présidentielle.

Un accord préliminaire avec I.C. Expert est signé par Donald Trump lui-même fin 2015. Cet accord mentionne la construction d’un immeuble contenant des commerces, un hôtel de luxe de minimum 150 chambres et environ 250 appartements de luxe. Mais les négociations vont à nouveau s’enliser. Michael Cohen et Felix Sater finissent par être persuadés que le projet doit recevoir le soutien officiel du gouvernement russe pour aboutir. Ils vont alors sérieusement envisager d’organiser une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine à Moscou.

En janvier 2016, Michael Cohen envoie un email au bureau de Dmitry Peskov, le porte-parole de la présidence russe. Il y demande à Peskov de le recontacter pour discuter du projet de Trump Tower à Moscou.

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Email envoyé par Michael Cohen à Dmitry Peskov, le porte-parole de la présidence russe, au sujet du projet de Trump Tower à Moscou

Lors d’un témoignage sous serment au Congrès, Michael Cohen a menti en déclarant ne jamais avoir reçu de réponse à cet email et avoir par conséquent décidé d’abandonner le projet dès le mois de janvier 2016. Il a dans un premier temps répété ce mensonge à Robert Mueller et son équipe d’enquêteurs. Plus tard, il a admis avoir menti sous serment. En réalité, l’assistante de Peskov a répondu à Michael Cohen et les négociations relatives à la construction de la Trump Tower de Moscou se sont poursuivies jusqu’en juin 2016.

Selon la nouvelle version des faits de Michael Cohen, l’assistante de Peskov a répondu à son email en lui donnant un numéro de téléphone pour la joindre. Ils auraient discuté pendant une vingtaine de minutes au téléphone et Cohen lui aurait demandé de l’aide pour s’assurer que le projet aboutisse. Elle lui aurait dit qu’elle allait faire le nécessaire. Cependant, selon Cohen, rien ne se serait passé ensuite. Il n’aurait plus reçu aucune nouvelle. L’enquête de Robert Mueller n’a pas permis de prouver que Cohen mentait à nouveau.

De son côté, Felix Sater a tenté à plusieurs reprises de convaincre Michael Cohen de se rendre à Moscou pour négocier. Il a aussi tenté de convaincre Donald Trump d’effectuer lui-même le déplacement. Sater avait même obtenu les visas nécessaires. En avril 2016, il a transmis un message à Michael Cohen pour savoir quand il souhaitait se rendre à Moscou et si le voyage devait être organisé avant ou après la Convention Nationale Républicaine (lors de laquelle Donald Trump, après avoir remporté les primaires républicaines, a été officiellement désigné comme candidat du Parti Républicain à l’élection présidentielle de 2016). Cohen lui a répondu qu’il était prêt à se rendre à Moscou avant la Convention et que Donald Trump pourrait s’y rendre après.

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Extrait du rapport Mueller relatif à la correspondance entre Michael Cohen et Felix Sater pour l’organisation d’un voyage à Moscou

Finalement, Michael Cohen a changé d’avis et ne s’est jamais rendu à Moscou. Donald Trump non plus.

B. George Papadopoulos

Qui est-il? George Papadopoulos fut l’un des conseillers en matière de politique étrangère de la campagne Trump de mars à octobre 2016.

Pourquoi Robert Mueller a-t-il enquêté à son sujet? Parce que c’est à cause de George Papadopoulos que le FBI a ouvert son enquête sur l’ingérence russe et sur une possible coordination entre l’équipe de campagne Trump et la Russie. Papadopoulos s’était en effet vanté auprès d’un membre d’un gouvernement étranger d’avoir reçu des indications selon lesquelles le gouvernement russe pourrait assister la campagne de Donald Trump en publiant anonymement des informations nuisibles à la candidature d’Hillary Clinton. Cette personne, dont l’identité n’est pas révélée, a alerté le FBI, qui a alors démarré son enquête sur la Russie.

Qu’est-ce que Robert Mueller a découvert au cours de son enquête? Que George Papadopoulos avait tenté d’organiser une rencontre entre les membres de l’équipe de campagne de Donald Trump et le gouvernement russe.

Papadopoulos a intégré l’équipe de campagne de Donald Trump en mars 2016, en tant que conseiller en matière de politique étrangère. Il travaillait alors au London Centre of International Law Practice.

Quelques semaines après avoir rejoint l’équipe de campagne de Trump, Papadopoulos s’est rendu à Rome dans le cadre de son travail et y a rencontré Joseph Mifsud. Ce dernier est un ressortissant maltais qui a travaillé comme professeur à la London Academy of Diplomacy. Au cours de sa carrière, Mifsud a noué des contacts en Russie. D’après Papadopoulos, Mifsud s’est intéressé à lui lorsqu’il a appris qu’il faisait partie de l’équipe de campagne de Donald Trump. Mifsud a alors proposé à Papadopoulos de lui présenter des leaders européens et d’autres personnes ayant des contacts avec le gouvernement russe.

Le 24 mars 2016, Papadopoulos a rencontré une nouvelle fois Joseph Mifsud à Londres. Celui-ci était accompagné d’une femme russe nommée Olga Polonskaya. D’après Mifsud, il s’agissait de l’une de ses anciennes étudiantes ayant des contacts avec Poutine. Papadopoulos affirme qu’il a cru comprendre qu’elle était la nièce du président russe. Polonskaya a notamment dit à Papadopoulos qu’elle était amie avec l’ambassadeur russe en poste à Londres et qu’elle pourrait l’aider à entrer en contact avec lui.

À l’issue de cette rencontre, Papadopoulos a transmis un email aux autres membres de l’équipe de conseillers de Donald Trump en matière de politique étrangère. Le message était intitulé: « Rencontre avec le leadership russe – y compris Poutine ». On pouvait notamment y lire que Papadopoulos pensait pouvoir organiser une rencontre entre des membres de l’équipe de campagne et « le leadership russe », y compris Vladimir Poutine, pour discuter des relations entre les Etats-Unis et la Russie.

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Email envoyé par George Papadopoulos à plusieurs membres de l’équipe de campagne de Donald Trump après sa rencontre avec Joseph Mifsud et Olga Polonskaya à Londres

Notez que Papadopoulos a menti dans ce message puisqu’il y déclare qu’il a rencontré l’ambassadeur russe à Londres, alors que ce n’est pas le cas.

Sam Clovis, un autre conseiller de Donald Trump, répondra à Papadopoulos et à toute l’équipe que ce n’est pas le moment de rencontrer les Russes. « Nous ne devrions pas organiser de rencontre avec les Russes tant que nous n’avons pas rencontré nos alliés de l’OTAN, particulièrement la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ».

Peu de temps après, l’équipe de conseillers en matière de politique étrangère de Donald Trump – dirigée par le sénateur Jeff Sessions – s’est réunie à Washington. Lors de cette réunion, Papadopoulos a déclaré qu’il pourrait organiser une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine grâce à ses contacts à Londres. D’après plusieurs témoins, Donald Trump s’est montré très intéressé par la proposition de Papadopoulos. D’après Papadopoulos, Jeff Sessions s’est également montré enthousiaste, mais d’autres témoins contestent cette version des faits. Quoi qu’il en soit, Papadopoulos est ressorti de la réunion avec le sentiment qu’on l’encourageait à poursuivre ses efforts pour organiser une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Il a donc continué à travailler en ce sens.

Par l’intermédiaire de Joseph Mifsud, Papadopoulos est parvenu à entrer en contact avec Ivan Timofeev, un membre du Russian International Affairs Council ayant des contacts au Ministère russe des Affaires Etrangères. Papadopoulos et Timofeev ont correspondu à plusieurs reprises sur Skype et par email pour tenter d’organiser une rencontre entre l’équipe de campagne de Donald Trump et des membres du gouvernement russe.

Joseph Mifsud a aussi informé Papadopoulos qu’il avait appris lors d’un voyage à Moscou que les Russes avaient obtenu des « saletés » au sujet d’Hillary Clinton sous la forme de milliers d’emails. Papadopoulos a ensuite affirmé à un représentant d’un gouvernement étranger que la campagne Trump avait reçu des indications selon lesquelles le gouvernement russe pourrait les aider en publiant anonymement ces emails. Cette personne a alerté le FBI, provoquant l’ouverture d’une enquête.

En octobre 2016, George Papadopoulos a été licencié de l’équipe de campagne de Donald Trump.

C. Carter Page

Qui est-il? Carter Page a fait partie de l’équipe de campagne de Donald Trump de janvier à septembre 2016. Comme George Papadopoulos, il y occupait la fonction de conseiller en matière de politique étrangère.

Pourquoi Robert Mueller a-t-il enquêté à son sujet? Parce que Carter Page a vécu et travaillé en Russie pendant plusieurs années et avait été suspecté à l’époque par le FBI d’avoir été approché par des membres des services secrets russes. De plus, il s’est rendu à Moscou durant la campagne.

Qu’est-ce que Robert Mueller a découvert au cours de son enquête? Que Carter Page avait proposé d’organiser une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine à Moscou pendant la campagne.

En janvier 2016, Carter Page a commencé à travailler au sein de l’équipe de campagne de Donald Trump. Il déclare lui-même que son objectif était d’aider Donald Trump à améliorer les relations entre les Etats-Unis et la Russie.

En juillet 2016, Carter Page a été invité à prononcer un discours à la New Economic School (NES) de Moscou. Interrogés par les enquêteurs, des membres de la NES ont affirmé qu’ils avaient invité Page parce qu’il était membre de l’équipe de campagne de Trump et « son expert sur la Russie ». Page a demandé l’autorisation de se rendre à Moscou pour prononcer ce discours. Il a même d’abord suggéré que Donald Trump y aille à sa place. Corey Lewandowski, à l’époque directeur de campagne de Donald Trump, a répondu que Donald Trump n’irait pas à Moscou mais que Carter Page pouvait répondre favorablement à l’invitation, à condition toutefois de prononcer son discours à titre personnel et non au nom de l’équipe de campagne de Donald Trump. Page s’est donc rendu à Moscou à titre personnel. Dans son discours à la NES, il a critiqué la politique américaine envers la Russie.

Alors qu’il se trouvait à Moscou, Carter Page a écrit à plusieurs membres de l’équipe de campagne pour leur dire qu’il avait appris des choses très intéressantes de la part de députés et de membres de l’administration présidentielle russe. L’un de ces messages se trouve ci-dessous. Carter Page y affirmait que le gouvernement russe espérait que Donald Trump remporterait l’élection présidentielle et pourrait ensuite collaborer avec la Russie sur de nombreux dossiers internationaux.

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Email envoyé par Carter Page à d’autres membres de l’équipe de campagne de Donald Trump depuis Moscou

Peu de temps après la Convention Nationale Républicaine de Cleveland, la presse américaine a révélé que Carter Page s’était rendu à Moscou quelques semaines plus tôt. L’équipe de campagne de Donald Trump s’est alors défendue en affirmant que Page n’était qu’un « conseiller informel ». Page a ensuite été licencié au mois de septembre 2016.

D. La rencontre entre Donald Trump Jr., Jared Kushner, Paul Manafort et une avocate russe à la Trump Tower de New York le 9 juin 2016

Le rapport Mueller n’apporte ici quasiment aucun élément nouveau par rapport à tout ce qui avait déjà été révélé dans la presse. Pour rappel, Donald Trump Jr. a été contacté par Robert Goldstone, le manager d’Emin Agalarov (avec lequel, rappelez-vous, Trump Jr. avait négocié pour la construction d’une Trump Tower à Moscou). Goldstone proposait à Donald Trump Jr. d’organiser une rencontre avec une avocate russe qui était soi-disant en possession d’informations compromettantes sur Hillary Clinton. Donald Trump Jr. a accepté de la rencontrer à la Trump Tower de New York et a demandé à Jared Kushner et à Paul Manafort, alors directeur de campagne de son père, de l’accompagner. Au cours de la rencontre, Natalia Veselnitskaya, avocate proche du gouvernement russe, a déclaré que des fonds provenant d’activités illégales en Russie avaient été distribués à Hillary Clinton et à d’autres politiciens démocrates. Mais lorsque Donald Trump Jr. lui a demandé de fournir des preuves de ce qu’elle avançait, elle n’a pas pu le faire. Elle a ensuite voulu parler du Magnitsky Act, une loi américaine permettant de sanctionner des individus suspectés de bafouer les droits de l’homme. Lorsque cette loi avait été adoptée par les Etats-Unis en 2012, elle avait permis de mettre en place des sanctions contre la Russie. En guise de représailles, le gouvernement russe avait décidé de mettre fin à un programme permettant aux citoyens américains d’adopter des enfants russes.

Il est établi que Jared Kushner a envoyé un sms à des associés pour qu’ils l’appellent et lui donnent ainsi une excuse pour pouvoir quitter la réunion, qu’il considérait comme une perte de temps.

L’enquête de Robert Mueller n’a pas pu démontrer que cette rencontre à la Trump Tower ait mené à quoi que ce soit de concret. Le rapport indique également que rien ne prouve que Donald Trump était au courant que son fils avait accepté de rencontrer Veselnitskaya. Donald Trump Jr. a toujours affirmé – y compris sous serment au Congrès – qu’il n’avait pas préalablement mis son père au courant.

Reste que Donald Trump Jr. était enthousiaste à l’idée de rencontrer une avocate russe lui promettant de lui remettre des informations compromettantes sur Hillary Clinton et n’y voyait apparemment aucun problème éthique. En effet, en réponse au message initial de Robert Goldstone (voir ci-dessous), Trump Jr. avait immédiatement répondu: « If it’s what you say, I love it » (Si c’est ce que tu dis, j’adore).

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Email envoyé par Robert Goldstone à Donald Trump Jr. pour l’informer de la possibilité d’obtenir des informations compromettantes sur Hillary Clinton

Notez que Robert Mueller écrit dans son rapport que Donald Trump Jr. et Jared Kushner auraient peut-être pu être inculpés pour leur rencontre avec Veselnitskaya. En effet, la loi fédérale américaine interdit à un candidat à l’élection présidentielle d’accepter les dons de ressortissants étrangers. La loi mentionne toutefois essentiellement les dons financiers ou « autres dons de valeur ». D’après Mueller, il aurait été possible d’argumenter que les informations compromettantes promises au sujet de Clinton constituaient un « don de valeur » et que Trump Jr. était prêt à accepter ce don, violant ainsi la loi. Cependant, Mueller explique qu’il a finalement décidé de ne pas inculper Trump Jr. et Kushner parce que, selon lui, il aurait été trop difficile de prouver au-delà du doute raisonnable 1) que les personnes concernées agissaient en sachant qu’elles violaient la loi et 2) que des informations de valeur avaient bien été échangées.

E. La Convention Nationale Républicaine de Cleveland

Le rapport note que des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump, dont Jeff Sessions, ont rencontré l’ambassadeur russe en poste à Washington, Sergey Kislyak, en marge de la Convention Nationale Républicaine de Cleveland en juillet 2016. Cependant, d’après le rapport, ces rencontres se sont avérées « brèves et non substantielles ».

F. Les contacts entre Jeff Sessions et Sergey Kislyak après la Convention Nationale Républicaine

Après la Convention Nationale Républicaine, Sergey Kislyak a tenté de rester en contact avec Jeff Sessions. En septembre 2016, Sessions l’a reçu dans son bureau au Sénat. Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet lors d’une audition au Congrès, Sessions a affirmé qu’en tant que membre du comité des affaires étrangères du Sénat, il avait l’habitude de s’entretenir avec des ambassadeurs et que cette rencontre n’avait donc rien de particulier. Deux autres personnes ont assisté à la réunion et ont assuré aux enquêteurs que Sessions et Kislyak avaient parlé de plusieurs dossiers liés à la politique internationale, mais n’avaient en aucun cas évoqué une éventuelle aide de la Russie à la campagne de Donald Trump. D’après les témoins, Kislyak n’a pas non plus demandé à Sessions de faire passer un quelconque message à Donald Trump.

Le rapport révèle que Kislyak a ensuite invité Sessions à venir dîner à l’ambassade russe pour poursuivre la discussion. Sessions a évité de répondre directement à l’invitation. L’un de ses conseillers lui a ensuite dit qu’il ne devrait pas y aller et Sessions ne s’est jamais rendu à l’ambassade russe.

G. Paul Manafort

Qui est-il? Paul Manafort a travaillé au sein de l’équipe de campagne de Donald Trump de mars à août 2016. De juin à août 2016, il a remplacé Corey Lewandowski au poste de directeur de campagne.

Pourquoi Robert Mueller a-t-il enquêté à son sujet? Parce que Paul Manafort était suspecté d’avoir de nombreux contacts avec des ressortissants russes proches du Kremlin. Il a effectivement travaillé durant plusieurs années pour le président ukrainien pro-russe Viktor Yanukovych, jusqu’à ce que celui-ci soit chassé du pouvoir par une révolution. De plus, il était en contact régulier avec Konstantin Kilimnik, l’un de ses anciens collègues à Kiev, suspecté par le FBI d’être un agent des services de renseignement russes.

Qu’est-ce que Robert Mueller a découvert au cours de son enquête? Que Paul Manafort avait ordonné à son adjoint Rick Gates – lui aussi membre de l’équipe de campagne de Trump – d’informer régulièrement Konstantin Kilimnik de l’évolution de la campagne et de lui transmettre les résultats des sondages internes effectués par la campagne. Le rapport précise que l’enquête n’a pas permis de déterminer pourquoi Manafort tenait à transmettre ces informations à Kilimnik.

Plus étonnant encore, Manafort a rencontré Kilimnik à deux reprises pendant la campagne et, lors de l’une de ces deux rencontres, ce dernier lui a transmis un message de la part de Viktor Yanukovych au sujet d’un « plan de paix » pour l’Ukraine. Ce plan prévoyait en réalité de créer une république autonome dans l’est de l’Ukraine. L’idée était de faire élire Yanukovych à la tête de cette nouvelle république. La Russie aurait ainsi gardé le contrôle de l’est de l’Ukraine. Kilimnik voulait que Manafort transmette le plan à Trump pour que celui-ci y apporte un soutien officiel. Donald Trump n’a jamais évoqué publiquement un tel plan et l’enquête n’a pas pu démontrer que Manafort lui ait transmis le message.

Paul Manafort a démissionné de son poste au sein de l’équipe de campagne de Donald Trump en août 2016, parce que les médias américains commençaient à enquêter et rédiger des articles sur ses activités passées en Ukraine. Le rapport indique qu’il a cependant continué à donner officieusement des conseils à plusieurs membres de l’équipe de campagne jusqu’au jour de l’élection. Il serait notamment resté en contact avec Donald Trump, Jared Kushner et Steve Bannon.

H. Les tentatives russes d’établir des liens avec les membres de l’équipe de transition après l’élection

Après la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle, de nombreux individus proches du gouvernement russe ont cherché à entrer en contact avec d’anciens membres de l’équipe de campagne de Trump et/ou des membres de son équipe de transition*.

*Pour rappel, l’élection présidentielle américaine a lieu au mois de novembre mais le nouveau président ne prend ses fonctions qu’au mois de janvier de l’année suivante. La période entre l’élection et l’investiture est qualifiée de « période de transition », lors de laquelle le président élu et son équipe de transition se préparent, rencontrent les candidats potentiels aux postes de ministres, etc. Les membres de l’équipe de campagne victorieuse continuent généralement de travailler au sein de l’équipe de transition, mais d’autres personnes peuvent être recrutées. Le gouverneur du New Jersey Chris Christie a par exemple fait brièvement partie de l’équipe de transition de Donald Trump, alors qu’il n’était pas membre de son équipe de campagne.

1. Premiers contacts après l’élection

Dès le lendemain de l’élection, Hope Hicks, l’attachée de presse de Donald Trump, a reçu un email de la part de Sergey Kuznetsov, un employé de l’ambassade russe à Washington. Le titre du mail était le suivant: « Message de Poutine ». Le mail contenait un message de Vladimir Poutine et Kuznetsov demandait à Hicks de le transmettre à Donald Trump. Vladimir Poutine félicitait chaleureusement Trump pour son élection et disait être impatient de travailler avec lui pour améliorer les relations américano-russes. Cinq jours plus tard, Trump et Poutine se parlaient au téléphone.

Plusieurs oligarques russes interrogés par les enquêteurs ont également affirmé que Vladimir Poutine les avait encouragés à tenter de nouer des contacts avec les futurs membres de l’administration Trump. D’après l’un de ces témoins, Poutine a indiqué qu’il ne connaissait pas bien l’entourage de Donald Trump et qu’il était difficile de savoir à qui s’adresser exactement. Ces témoignages mettent donc à mal l’idée selon laquelle la Russie aurait été en coordination depuis des mois avec l’équipe de campagne de Donald Trump. Par contre, les Russes voulaient vraisemblablement nouer de bonnes relations avec la nouvelle administration le plus rapidement possible.

  1. Kirill Dmitriev

Qui est-il? Kirill Dmitriev est le dirigeant du Russian Direct Investment Fund, le principal fonds souverain russe. Il est réputé très proche de Vladimir Poutine.

Pourquoi Robert Mueller a-t-il enquêté à son sujet? Parce qu’après l’élection, il a tenté de nouer des contacts avec la future administration Trump.

Qu’est-ce que Robert Mueller a découvert au cours de son enquête? Que Dmitriev avait demandé à l’un de ses contacts aux Émirats Arabes Unis, George Nader, de le mettre en contact avec des membres de l’équipe de transition de Donald Trump. Nader a ainsi organisé une rencontre entre Dmitriev et Erik Prince* aux Seychelles !

*Erik Prince n’a jamais fait partie de l’équipe de campagne de Donald Trump. Cependant, après l’élection, il était en contact régulier avec Steve Bannon et d’autres membres de l’équipe de transition. Ceux-ci voulaient notamment connaître son avis au sujet de certaines nominations au sein de la future administration. Erik Prince est connu pour avoir créé la controversée entreprise militaire privée Blackwater. Il est également le frère de l’actuelle ministre de l’Éducation, Betsy DeVos.

Lorsque Nader a dit à Dmitriev qu’il avait arrangé cette rencontre aux Seychelles, celui-ci n’était pas spécialement enthousiaste. Il espérait plutôt que Nader parviendrait à le mettre en contact direct avec Jared Kushner ou Donald Trump Jr. Cependant, il a accepté de rencontrer Prince après que Nader lui ait assuré que cela en valait la peine. Durant la rencontre, Prince aurait dit à Dmitriev qu’il travaillait avec Steve Bannon et lui aurait promis de lui parler de leur conversation.

Après la rencontre, Dmitriev a déclaré à Nader qu’il était déçu parce que Prince n’était pas une personne ayant suffisamment d’influence auprès de Donald Trump et que leur discussion ne s’était pas avérée très substantielle.

D’après Erik Prince, à son retour aux Etats-Unis, il a informé Bannon au sujet de sa rencontre avec Dmitriev. Il lui a dit que les Russes voulaient avoir de meilleures relations avec les Etats-Unis. Prince a déclaré aux enquêteurs que Bannon n’avait pas semblé très intéressé et lui avait dit de ne pas poursuivre les discussions avec Dmitriev. À l’inverse, Bannon a affirmé aux enquêteurs que Prince ne lui avait jamais rien dit au sujet de cette rencontre aux Seychelles et que, s’il avait été préalablement au courant, il se serait opposé à ce qu’elle soit organisée. L’enquête n’a pas permis de déterminer qui de Bannon ou de Prince disait la vérité. Leur correspondance de l’époque sur leurs téléphones portables a été curieusement effacée.

D’autre part, Dmitriev est également parvenu à entrer en contact avec Rick Gerson, un homme d’affaires et ami de Jared Kushner. Les deux hommes ont rédigé ensemble un « plan de réconciliation entre les Etats-Unis et la Russie ». Ce document de deux pages contenait les cinq points suivants:

  1. Combattre ensemble le terrorisme
  2. S’engager conjointement dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive
  3. Développer des initiatives économiques « gagnant-gagnant » entre les deux pays
  4. Maintenir un dialogue continu et honnête en cas de désaccord
  5. S’assurer du maintien de la confiance réciproque entre les deux pays grâce à une bonne communication entre « personnes clés »

Gerson a ensuite transmis ce document à Jared Kushner, qui en a remis une copie à Steve Bannon et une autre au futur Secrétaire d’Etat Rex Tillerson.

  1. La rencontre entre Jared Kushner, Michael Flynn et Sergey Kislyak à la Trump Tower

Peu après l’élection, Jared Kushner a accepté de rencontrer l’ambassadeur russe Sergey Kislyak à la Trump Tower. Michael Flynn, futur conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, était également présent. Au cours de cette réunion, Kushner a exprimé le désir de la future administration de donner un nouveau départ à la relation entre les Etats-Unis et la Russie. Kislyak a alors proposé que des généraux russes informent l’équipe de transition au sujet de la situation en Syrie. Michael Flynn a déclaré que ce n’était pas possible car il n’y avait pas de ligne sécurisée dans les bureaux de l’équipe de transition. Jared Kushner a alors demandé à Kislyak s’ils pourraient utiliser les lignes sécurisées de l’ambassade russe. Kislyak a refusé.

  1. La rencontre entre Jared Kushner et Sergey Gorkov

En décembre 2016, Jared Kushner a également accepté, après que Kislyak le lui ait recommandé, de rencontrer Sergey Gorkov, le patron de la banque russe VEB. Il est assez étonnant que Kushner ait accepté de rencontrer Gorkov puisque la VEB fait l’objet de sanctions du Département du Trésor américain depuis l’annexion de la Crimée par la Russie.

Lorsqu’il a été interrogé par les enquêteurs, Kushner a déclaré que Gorkov ne lui avait pas parlé des sanctions contre sa banque mais de l’importance de rétablir de meilleures relations entre les Etats-Unis et la Russie. Il a aussi reconnu que Gorkov lui avait offert des cadeaux (un tableau et un sac contenant de la terre provenant de la ville de Biélorussie dont la famille Kushner est originaire).

Le rapport note également que Gorkov a tenté d’obtenir un second rendez-vous avec Kushner mais que celui-ci a refusé.

  1. La conversation téléphonique entre Michael Flynn et Sergey Kislyak au sujet des sanctions mises en place par l’administration Obama contre la Russie

En décembre 2016, l’administration Obama a mis en place de nouvelles sanctions contre la Russie pour la punir d’avoir mené une campagne d’ingérence dans la campagne électorale. Michael Flynn a alors contacté Sergey Kislyak par téléphone et lui a demandé de faire en sorte que la Russie ne réagisse pas trop violemment. Kislyak lui a assuré que ce ne serait pas le cas.

Michael Flynn a-t-il fait cette demande à Kislyak sur ordre de Donald Trump ou a-t-il pris cette initiative seul? L’enquête n’a pas vraiment permis de répondre définitivement à cette question. Ce qui est certain, c’est que Donald Trump et son équipe estimaient que les nouvelles sanctions mises en place par l’administration Obama rendraient plus difficiles la construction d’une nouvelle relation positive avec la Russie. Le message adressé par Flynn à Kislyak était de ne pas envenimer la situation puisque Donald Trump prendrait bientôt ses fonctions à la Maison Blanche. Ce message a été très bien reçu puisque la Russie n’a effectivement pas répliqué aux sanctions mises en place par l’administration Obama. Donald Trump s’en est même félicité à l’époque sur Twitter, qualifiant la décision de Poutine de très intelligente.

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RÉSUMÉ DU VOLUME II DU RAPPORT

Le deuxième volume du rapport Mueller présente les résultats de l’enquête sur les actions du président Trump susceptibles d’être considérées comme des entraves à la justice.

Conclusion principale

Robert Mueller a enquêté sur plusieurs actions susceptibles d’être considérées comme autant d’entraves à la justice. Il s’agit d’événements lors desquels le président Trump aurait tenté de mettre à mal l’enquête du FBI sur l’ingérence russe puis l’enquête du procureur spécial Robert Mueller. Comme vous pourrez le constater, ce deuxième volume du rapport est plutôt accablant pour Donald Trump. Cependant, au terme de son enquête, Robert Mueller n’accuse pas définitivement le président d’avoir commis un crime. Il ne l’exonère toutefois pas non plus.

While this report does not conclude that the President committed a crime, it also does not exonerate him. (Bien que ce rapport ne conclue pas que le Président ait commis un crime, il ne l’exonère pas non plus)

En réalité, Robert Mueller a estimé qu’il ne pouvait pas exonérer Donald Trump, mais qu’il ne disposait pas non plus de suffisamment d’éléments pour l’accuser avec certitude d’avoir commis un crime d’entrave à la justice. En l’absence de certitude absolue, il a donc choisi de ne pas trancher, d’autant plus, affirme-t-il, qu’accuser le président des Etats-Unis d’avoir commis un crime n’est pas quelque chose d’anodin et pourrait mettre à mal sa capacité à gouverner.

Robert Mueller a-t-il été trop clément avec Donald Trump? Chacun se fera sa propre opinion au vu des éléments présentés ci-dessous.

Mais, tout d’abord, quelques mots concernant le crime d’entrave à la justice. Les conditions légales requises pour pouvoir accuser quelqu’un d’entrave à la justice sont les suivantes:

  1. Il faut qu’il y ait un « acte d’entrave à la justice », c’est-à-dire toute action susceptible de produire un effet empêchant la justice d’être correctement administrée.
  2. Il faut que cet acte soit lié à une procédure judiciaire en cours ou anticipée.
  3. Il faut que la personne ayant commis l’acte d’entrave à la justice ait agi avec l’intention de faire entrave à la justice, ce qui est parfois difficile à prouver.

1. Les événements sur lesquels Robert Mueller a enquêté parce qu’ils étaient susceptibles de constituer des entraves à la justice

Venons-en maintenant aux différents événements sur lesquels Robert Mueller a enquêté et qui sont détaillés dans le rapport.

A. Les réponses de Donald Trump aux allégations de soutien de la Russie à sa candidature pendant la campagne et après l’élection

Pendant la campagne électorale, Donald Trump a mis en doute l’idée selon laquelle la Russie était responsable du piratage informatique du Parti Démocrate. Alors que la presse commençait à s’intéresser aux actions russes, il a aussi déclaré n’avoir « rien à voir » avec la Russie et n’y avoir jamais investi, se gardant bien de préciser que des négociations pour la construction d’une Trump Tower à Moscou étaient en cours.

Après l’élection, Donald Trump a continué à nier tout lien avec la Russie. En décembre 2016, lorsque la presse a rapporté que les services de renseignement américains avaient conclu à l’existence d’une campagne d’ingérence russe visant à contribuer à la victoire de Donald Trump, celui-ci a réagi en déclarant que c’était « ridicule » et « juste une excuse » inventée par ceux qui n’acceptaient pas qu’il ait pu remporter l’élection. Le futur président a aussi fait la fameuse déclaration selon laquelle rien ne prouvait que ce soit bien la Russie qui soit responsable du piratage informatique des serveurs du Parti Démocrate et que cela pourrait tout aussi bien être « quelqu’un assis sur son lit quelque part ».

Donald Trump a également confié à certains de ses conseillers qu’il craignait que les informations qui paraissaient dans la presse au sujet de la campagne d’ingérence russe puissent nuire à la légitimité de son élection et à sa crédibilité en tant que président.

B. Le licenciement de Michael Flynn et la demande de Donald Trump à James Comey de laisser tomber l’enquête le concernant

Comme expliqué dans le Volume I du rapport, en décembre 2016, après que l’administration Obama ait mis en place de nouvelles sanctions contre la Russie, Michael Flynn a téléphoné à l’ambassadeur russe Sergey Kislyak pour lui dire que la Russie devrait éviter de répliquer. Le 12 janvier 2017, le Washington Post révélait l’existence de cette conversation téléphonique entre Michael Flynn et Sergey Kislyak. Michael Flynn a alors ordonné à son adjointe KT McFarland de contacter le Washington Post pour démentir. Et il a surtout menti à plusieurs de ses collègues au sein de l’équipe de transition – dont le futur vice-président Mike Pence – en leur jurant qu’il n’avait jamais évoqué la question des sanctions avec Kislyak. Mike Pence a ensuite défendu Flynn lors de plusieurs interviews, affirmant que la presse se trompait et que Flynn n’avait jamais évoqué la question des sanctions avec Kislyak.

Ces mensonges répétés de la part de plusieurs membres de la future administration ont mis le Département de la Justice en alerte. En effet, le Département de la Justice savait que Flynn et Kislyak avaient bel et bien discuté des sanctions. Si le Département de la Justice était particulièrement inquiet, c’est parce qu’il estimait que si Michael Flynn avait menti à ses collègues, la Russie avait désormais de quoi le faire chanter. Elle pourrait le menacer de révéler qu’il avait menti s’il ne lui accordait pas certaines faveurs. Or, rappelons que Michael Flynn s’apprêtait tout de même à devenir conseiller à la sécurité nationale du président Trump.

Le 20 janvier 2017, l’investiture de Donald Trump avait lieu et Michael Flynn devenait officiellement conseiller à la sécurité nationale. Le 24 janvier, il était interrogé par le FBI et mentait aux agents qui l’interrogeaient au sujet de ses conversations avec Sergey Kislyak.

Le 26 janvier, Sally Yates, qui occupait alors le poste de ministre de la Justice par intérim, contactait Donald McGahn, le conseiller juridique de la Maison Blanche, pour lui dire que Flynn avait menti à tout le monde et lui parler des inquiétudes du Département de la Justice à son sujet. McGahn en a immédiatement informé le président Trump. Curieusement, celui-ci n’a pas décidé de licencier tout de suite Michael Flynn. Il a seulement demandé à McGahn d’examiner la situation de plus près avec Reince Priebus, le chef de cabinet de la Maison Blanche, et Steve Bannon, son conseiller stratégique, et de n’en parler à personne d’autre. Le vice-président Mike Pence n’a donc pas été informé.

Le lendemain, Donald Trump invitait James Comey, le directeur du FBI, pour un dîner à la Maison Blanche et lui demandait de faire preuve de loyauté envers lui. Rappelons ici que James Comey a relaté ses différentes entrevues avec le président Trump dans des mémos qu’il a ensuite partagés lors d’un témoignage au Congrès. Il a répété exactement la même version des faits à Robert Mueller. Lorsqu’il est arrivé à ce dîner à la Maison Blanche, Comey a été surpris de se retrouver totalement seul avec le président. Il affirme que le président lui a dit « I need loyalty, I expect loyalty » (J’ai besoin de loyauté, je m’attends à de la loyauté).

Lorsque la presse a révélé l’existence de ce dîner, Donald Trump a nié avoir invité James Comey. Il a affirmé que c’était le directeur du FBI qui avait demandé à le voir. Il a aussi nié lui avoir parlé de loyauté. L’un des deux hommes a donc menti et Robert Mueller note dans son rapport que ce n’est sans doute pas James Comey. En effet, plusieurs témoins ont confirmé que c’était bien Donald Trump qui avait invité James Comey à dîner à la Maison Blanche. D’après le rapport, Donald McGahn, Reince Priebus et Steve Bannon avaient même déconseillé au président de dîner en tête-à-tête avec le directeur du FBI, mais celui-ci a insisté. Concernant les propos sur la loyauté, Comey n’a jamais cessé de répéter la même version des faits et certains de ses collègues au FBI ont affirmé qu’il leur en avait parlé juste après son dîner avec Trump. De plus, il a témoigné devant le Congrès à ce sujet. Pourquoi aurait-il menti sous serment au Congrès alors que c’est un crime qui pourrait lui coûter très cher?

Le 9 février, le Washington Post publiait un nouvel article affirmant que Michael Flynn avait bien discuté des sanctions avec Sergey Kislyak et que le Département de la Justice avait contacté la Maison Blanche pour l’informer de ses inquiétudes au sujet du conseiller à la sécurité nationale. C’est en lisant cet article que le vice-président Mike Pence a appris que Michael Flynn lui avait menti et que le Département de la Justice avait contacté la Maison Blanche à son sujet. Avec l’aide de Reince Priebus, Mike Pence a alors demandé au FBI de voir les informations dont l’agence disposait au sujet de Michael Flynn. Après avoir consulté ces informations, Reince Priebus a recommandé au président Trump de licencier Flynn.

Le 13 février, Michael Flynn a fini par démissionner. D’après le témoignage de Reince Priebus, le président Trump lui aurait dit au moment de son départ: « We’ll give you a good recommendation. You’re a good guy. We’ll take care of you » (Nous te donnerons une bonne lettre de recommandation. Tu es un gars bien. Nous allons prendre soin de toi).

Le lendemain, Donald Trump demandait à James Comey de laisser tomber l’enquête du FBI en cours sur Michael Flynn. Les choses se sont déroulées de la manière suivante. James Comey participait avec le ministre de la Justice Jeff Sessions et d’autres membres de l’administration à un briefing sur la sécurité intérieure à la Maison Blanche. À la fin de la réunion, alors que tout le monde s’en allait, Donald Trump a demandé à Comey de rester parce qu’il voulait lui parler. Jeff Sessions et Jared Kushner sont d’abord restés dans la pièce, mais Donald Trump leur a explicitement demandé de sortir et a répété qu’il voulait s’entretenir seul à seul avec James Comey. D’après Comey, Trump lui a dit que Michael Flynn n’avait rien fait de mal en parlant aux Russes et qu’il avait été contraint de le licencier uniquement parce qu’il avait menti au vice-président Mike Pence. Ensuite, il a déclaré: « I hope you can see your way clear to letting this go, to letting Flynn go. He is a good guy. I hope you can let this go ». James Comey dit qu’il a interprété ces propos comme une demande claire de mettre fin à toute enquête du FBI sur Flynn. Mais il a décidé de ne pas informer les agents du FBI en charge de l’enquête sur Flynn pour qu’ils ne soient pas influencés. Il a également contacté Jeff Sessions pour lui demander de ne plus jamais le laisser seul avec le Président.

Au cours des jours suivants, la presse s’est beaucoup interrogée pour savoir pourquoi le président Trump avait attendu plus de deux semaines pour se séparer de Michael Flynn après que le Département de la Justice ait fait part de ses craintes le concernant à la Maison Blanche. Suite à ces nouvelles interrogations, Donald Trump a déclaré que Michael Flynn était un « homme merveilleux » et qu’il était maltraité par les médias. Il a aussi affirmé qu’il s’était séparé de Flynn parce qu’il avait menti à Mike Pence et non parce qu’il considérait qu’il avait eu tort de discuter des sanctions avec Kislyak.

C. Donald Trump s’oppose en vain à la récusation de Jeff Sessions

Le président Trump n’a jamais accepté la décision de son ministre de la Justice Jeff Sessions de se récuser de l’enquête sur la Russie. Pour rappel, Jeff Sessions a pris la décision de se récuser parce qu’il avait lui-même été membre de l’équipe de campagne de Donald Trump et que celle-ci était potentiellement concernée par l’enquête. C’est donc le ministre adjoint de la Justice, Rod Rosenstein, qui s’est chargé de la supervision de l’enquête du FBI puis de celle du procureur Mueller. Donald Trump n’a cessé de reprocher à Jeff Sessions de s’être récusé, estimant que son ministre de la Justice aurait dû « le protéger ».

Donald McGahn a affirmé que le président lui avait demandé à plusieurs reprises de contacter Jeff Sessions, d’abord pour lui demander de ne pas se récuser et ensuite pour tenter de le convaincre de revenir sur sa décision. En vain.

Jeff Sessions a quant à lui affirmé aux enquêteurs que Donald Trump lui avait aussi demandé directement de revenir sur sa décision.

D. Donald Trump demande à James Comey de révéler publiquement qu’il ne fait pas l’objet d’une enquête du FBI

Le 20 mars 2017, James Comey témoignait publiquement au Congrès, devant la commission permanente du renseignement de la Chambre des Représentants (House Permanent Select Committee on Intelligence). Il a alors confirmé que le FBI était en train de mener une enquête sur l’ingérence russe lors de la campagne électorale de 2016 et a précisé que « cela inclut une enquête sur la nature des liens entre des individus associés à la campagne Trump et le gouvernement russe et sur une éventuelle coordination entre la campagne et les efforts russes ». En revanche, il n’a pas précisé que le président Trump n’était pas directement concerné par cette enquête. Il en avait cependant déjà informé en privé le principal intéressé (dès le mois de janvier), ainsi que les principaux leaders du Congrès.

Donald Trump était néanmoins très mécontent que James Comey n’ait pas révélé publiquement lors de son audition qu’il n’était pas directement concerné par l’enquête du FBI. Il a donc demandé à Comey et à d’autres dirigeants des services de renseignement de révéler publiquement cette information. Il en a par exemple fait la demande à Dan Coats, le directeur du renseignement national. Celui-ci lui a répondu que ce n’était pas son rôle de commenter une affaire en cours menée par une autre agence que la sienne.

Le 30 mars 2017, Donald Trump a contacté James Comey par téléphone. Il lui a dit que l’enquête sur la Russie était comme un « nuage » au-dessus de la Maison Blanche et l’empêchait de faire correctement son travail. Il lui a demandé ce qu’il serait possible de faire pour « faire disparaître » ce nuage. Comey lui a répondu que le FBI essayerait de terminer son enquête le plus vite possible mais qu’il fallait laisser les enquêteurs faire leur travail. Comey a aussi tenté de rassurer le président en lui disant qu’il avait informé les leaders du Congrès qu’il ne faisait pas personnellement l’objet d’une enquête. Trump a répété que ce n’était pas suffisant et qu’il fallait révéler cette information au peuple américain.

Le 11 avril 2017, Trump a contacté une nouvelle fois James Comey par téléphone pour lui demander s’il avait réfléchi au moyen de faire savoir publiquement qu’il n’était pas concerné directement par l’enquête du FBI. Comey, de plus en plus mal à l’aise face à ces demandes répétées, a expliqué au président qu’il devait cesser de le contacter et s’adresser au service juridique de la Maison Blanche pour que celui-ci contacte ses supérieurs au Département de la Justice pour toute réclamation.

E. Le licenciement de James Comey

Le 3 mai 2017, James Comey a témoigné une nouvelle fois au Congrès, devant le comité judiciaire du Sénat (Senate Judiciary Committee). Il a refusé de répondre aux questions relatives à l’enquête en cours sur la Russie et a précisé qu’il ne dirait plus rien à ce sujet tant que l’enquête ne serait pas terminée. Or, Donald Trump considérait que c’était sa dernière chance de déclarer publiquement qu’il n’était pas directement concerné par l’enquête du FBI.

Quelques jours plus tard, Donald Trump faisait savoir à Stephen Miller, l’un de ses proches conseillers, qu’il avait décidé de licencier James Comey et qu’il voulait que sa lettre de licenciement mentionne le fait que ce dernier lui ait dit à plusieurs reprises qu’il n’était pas concerné par l’enquête du FBI. D’après Miller, Trump voulait le mentionner pour éviter que l’on pense qu’il avait licencié Comey parce qu’il enquêtait à son sujet.

Stephen Miller et Donald Trump ont travaillé ensemble à la rédaction de la lettre de licenciement de Comey. Le document qu’ils ont rédigé commençait par les mots suivants:

Dear Director Comey, While I greatly appreciate your informing me, on three separate occasions, that I am not under investigation concerning the fabricated and politically-motivated allegations of a Trump-Russia relationship with respect to the 2016 Presidential Election, please be informed that I, along with members of both political parties and, most importantly, the American Public, have lost faith in you as the Director of the FBI and you are hereby terminated. (Cher Directeur Comey, bien que j’apprécie fortement que vous m’ayez informé, à trois occasions différentes, que je ne faisais pas l’objet d’une enquête concernant les allégations fabriquées et motivées politiquement d’une relation entre Trump et la Russie dans le cadre de l’élection présidentielle de 2016, je vous informe que moi-même, ainsi que les membres des deux partis politiques et, de manière plus importante encore, le public américain, n’avons plus confiance en vous en tant que Directeur du FBI et que vous êtes donc licencié)

Le 8 mai 2017, Donald Trump informait Donald McGahn, Reince Priebus et d’autres conseillers de sa décision de licencier Comey et leur lisait la lettre de licenciement qu’il avait préparée avec Stephen Miller. Donald McGahn n’était pas convaincu que licencier Comey soit une bonne idée. Il est parvenu à convaincre le président de reporter sa décision en attendant de connaître l’avis du Département de la Justice. McGahn a ensuite demandé à Jeff Sessions et Rod Rosenstein ce qu’ils pensaient de la décision de Trump de licencier Comey. Sessions et Rosenstein ont affirmé qu’ils n’y voyaient pas d’objection, d’autant qu’il y avait des choses à reprocher à Comey sur sa gestion de l’affaire des emails d’Hillary Clinton.

Donald Trump a finalement demandé à Jeff Sessions et Rod Rosenstein de rédiger une note dans laquelle ils lui recommanderaient de licencier Comey en expliquant pourquoi. Rosenstein a rédigé un mémorandum adressé à Jeff Sessions, qui l’a lui-même transmis au président, accompagné d’une note lui recommandant de licencier James Comey. Donald Trump dira donc officiellement qu’il a licencié Comey parce que le Département de la Justice le lui avait recommandé, en raison de la manière dont Comey avait dirigé l’enquête sur les emails d’Hillary Clinton*. Mais l’enquête de Robert Mueller démontre que Donald Trump avait en réalité déjà décidé de licencier James Comey pour d’autres raisons et s’est simplement servi des recommandations de Sessions et Rosenstein pour se justifier officiellement.

*Le rapport note que Rod Rosenstein a accepté de rédiger la note de recommandation dans laquelle il décrivait les raisons pour lesquelles il estimait que Comey méritait d’être licencié, mais a refusé d’y inclure toute référence au fait que Comey ait refusé de dire publiquement que Trump ne faisait pas l’objet d’une enquête. D’après lui, ce n’était pas l’une des raisons permettant de justifier le licenciement de Comey.

Le 10 mai 2017, Donald Trump recevait le ministre russe des Affaires Étrangères Sergey Lavrov et l’ambassadeur russe Sergey Kislyak dans le Bureau Ovale et leur disait que: « I just fired the head of the FBI. He was crazy, a real nut job. I faced great pressure because of Russia. That’s taken off » (Je viens de licencier le directeur du FBI. Il était complètement fou. J’ai dû faire face à beaucoup de pression à cause de la Russie mais c’est terminé).

Le même jour, Donald Trump contactait également Andrew McCabe, ancien numéro 2 du FBI et assurant désormais l’intérim à la tête de l’agence, et lui affirmait que 80% des employés du FBI avaient voté pour lui en 2016. Il a aussi demandé à McCabe pour qui il avait voté en 2016. Enfin, il lui a également fait savoir qu’il ne voulait plus que James Comey soit autorisé à entrer dans le building du FBI, même pour venir récupérer ses affaires.

Enfin, ce même jour, Sarah Sanders, la porte-parole de la Maison Blanche, a menti au peuple américain lors d’une conférence de presse. Elle a affirmé que la Maison Blanche avait recueilli les avis de nombreux agents du FBI et que ceux-ci avaient déclaré être heureux du licenciement de James Comey. C’était faux. Et surtout, elle a déclaré que c’était Rod Rosenstein qui était venu dire à Donald Trump qu’il fallait licencier James Comey. C’était encore faux.

Le lendemain, Donald Trump reconnaissait d’ailleurs lors d’une interview télévisée accordée au journaliste Lester Holt qu’il avait pris la décision de licencier James Comey avant même d’entendre les opinions de Rosenstein et Sessions. « I was going to fire regardless of recommendation » (J’allais le licencier quelles que soient les recommandations). C’est aussi lors de cette interview que le président a parlé pour la première fois de l’enquête sur la Russie comme d’une « chasse aux sorcières ».

F. La nomination du procureur spécial et la tentative de le licencier

Le 17 mai 2017, Rod Rosenstein nommait le procureur spécial Robert Mueller et lui donnait l’autorisation d’enquêter sur la Russie mais aussi sur une possible entrave à la justice de la part du président Trump.

⚠ Donald Trump faisait donc désormais personnellement l’objet d’une enquête, alors que ce n’était pas le cas avant le licenciement de James Comey !

D’après le rapport, lorsque Jeff Sessions a annoncé à Donald Trump qu’un procureur spécial avait été nommé, celui-ci a déclaré:

Oh my God. This is terrible. This is the end of my Presidency. I’m fucked. (Oh mon Dieu. C’est terrible. C’est la fin de ma présidence. Je suis foutu)

Il s’est aussi fâché contre Jeff Sessions, l’accusant de ne pas l’avoir protégé et lui disant qu’il devrait démissionner. « Comment as-tu pu laisser cela arriver, Jeff? », lui aurait-il dit. À la suite de cet entretien, Jeff Sessions a remis sa lettre de démission au président, qui l’a finalement refusée.

Par la suite, Donald Trump a commencé à affirmer régulièrement à plusieurs de ses conseillers, dont Reince Priebus, Steve Bannon et Donald McGahn, que Robert Mueller n’aurait pas dû être désigné comme procureur spécial parce qu’il avait des conflits d’intérêt. Parmi ceux-ci, le président mentionnait le fait que Mueller ait fait partie de la liste des candidats qu’il avait envisagé de nommer au poste de directeur du FBI ou qu’il ait cessé d’être membre de l’un de ses clubs de golf en 2011. Tous les conseillers du président lui ont dit que ces faits ne constituaient pas des conflits d’intérêt. McGahn a conseillé au président de ne pas contacter Rod Rosenstein pour lui parler de ces supposés conflits d’intérêt parce que cela pourrait être vu comme une entrave à la justice.

Le 17 juin 2017, Donald Trump a demandé à Donald McGahn de dire à Rod Rosenstein que Robert Mueller devait être licencié. McGahn était très mal à l’aise. D’après son témoignage, il ne voulait pas être le responsable d’un nouveau Saturday Night Massacre (référence au jour où Richard Nixon a licencié le procureur spécial qui enquêtait à son sujet). Il a donc décidé de démissionner et en a averti Reince Priebus et Steve Bannon. Il ne leur a toutefois pas révélé la raison exacte pour laquelle il avait pris cette décision. D’après son témoignage, il ne voulait impliquer personne d’autre dans cette histoire. Reince Priebus a quant à lui déclaré lors de son témoignage que McGahn lui avait seulement dit qu’il voulait démissionner parce que le président lui avait demandé de « faire une chose folle ». Priebus et Bannon ont finalement convaincu McGahn de ne pas démissionner et Donald Trump n’a jamais su qu’il y avait songé.

Notez que si Robert Mueller avait été licencié, on aurait sans doute clairement pu accuser Donald Trump d’entrave à la justice. En refusant d’obéir aux ordres du président, Donald McGahn a ainsi peut-être sauvé sa présidence. Mueller n’ayant pas effectivement été licencié, il est plus difficile de conclure en faveur de l’entrave à la justice. Comme l’explique le rapport, il est difficile de prouver que Donald Trump a véritablement ordonné à McGahn de faire licencier Mueller. Le président affirme en effet que ce n’est pas le cas. Difficile de savoir qui dit la vérité. Robert Mueller note toutefois que la version de McGahn est bien plus crédible que celle de Trump. En effet, McGahn n’a aucune bonne raison de mentir aux enquêteurs. Et Reince Priebus et Steve Bannon ont confirmé lors de leurs témoignages que McGahn avait bien failli démissionner et qu’ils l’en avaient dissuadé.

G. La demande à Jeff Sessions de limiter les prérogatives de Robert Mueller

En juin 2017, Donald Trump a également demandé à Corey Lewandowski* de transmettre un message de sa part à Jeff Sessions.

*Corey Lewandowski fut le premier directeur de campagne de Donald Trump. Il n’a jamais été nommé à aucun poste au sein de l’administration mais il est toujours resté proche du président.

Le message consistait à demander à Sessions de s’exprimer publiquement pour dire que 1) Donald Trump n’avait jamais rien fait de mal et était injustement traité et 2) pour annoncer que, malgré qu’il se soit récusé de l’affaire russe, il allait ordonner à Robert Mueller de restreindre son enquête aux formes que pourrait prendre l’ingérence russe lors d’élections futures. Donald Trump voulait donc ici clairement faire en sorte que Robert Mueller cesse d’enquêter à son sujet.

Ci-dessous, le texte que Donald Trump avait rédigé et qu’il voulait que Jeff Sessions récite publiquement. Corey Lewandowski devait transmettre ce texte à Sessions.

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Traduction: Je sais que je me suis récusé de certaines affaires relatives à certains sujets spécifiques. Mais notre Président des Etats-Unis est traité très injustement. Il ne devrait pas avoir un procureur spécial parce qu’il n’a rien fait de mal. J’étais avec lui pendant neuf mois durant la campagne, il n’y avait pas de Russes qui l’entouraient. Je le sais parce que j’étais là. Il n’a rien fait de mal si ce n’est mener la plus grande campagne de l’histoire américaine.

Corey Lewandowski a accepté de délivrer le message de Donald Trump à Jeff Sessions et a contacté ce dernier pour prendre rendez-vous avec lui. Jeff Sessions a été contraint d’annuler ce rendez-vous à la dernière minute. Lewandowski devait ensuite quitter Washington. Il a alors décidé de contacter Rick Dearborn pour lui demander de délivrer le message à sa place. Rick Dearborn était l’ancien chef de cabinet de Jeff Sessions et travaillait désormais à la Maison Blanche. Il a été très surpris par le contenu du message et a décidé de ne pas le transmettre à Sessions. Mais il a menti à Corey Lewandowski en lui disant qu’il le ferait. Jeff Sessions n’a donc finalement jamais reçu le fameux message.

Au cours des semaines suivantes, Donald Trump, sans doute frustré que Jeff Sessions ne fasse pas ce qu’il lui avait demandé, a commencé à critiquer publiquement son ministre de la Justice, notamment dans une interview accordée au New York Times, dans laquelle il a affirmé que s’il avait su qu’il allait se récuser, il ne l’aurait jamais nommé à ce poste.

Le 22 juillet 2017, Donald Trump a demandé à Reince Priebus d’ordonner à Jeff Sessions de démissionner. Priebus a tenté de dissuader le président en lui expliquant que s’il licenciait Sessions, le Congrès et le Département de la Justice seraient très mécontents. Donald Trump a finalement changé d’avis, mais il a continué à critiquer violemment Sessions sur Twitter, à tel point que celui-ci a rédigé une nouvelle lettre de démission. D’après le rapport, à partir de ce moment-là, Jeff Sessions transportait sa lettre de démission dans sa poche « au cas où » à chaque fois qu’il était convoqué à la Maison Blanche.

H. L’implication de Donald Trump dans la rédaction d’un communiqué mensonger de Donald Trump Jr. 

Le 8 juillet 2017, alors qu’il se trouvait à bord d’Air Force One après avoir participé au G20 à Hambourg, le président Trump a participé à la rédaction d’un communiqué mensonger pour le comte de son fils Donald Trump Jr. La rédaction de ce communiqué intervenait alors que le New York Times s’apprêtait à révéler l’existence de la rencontre entre Donald Trump Jr., Jared Kushner, Paul Manafort et une avocate russe à la Trump Tower en juin 2016. Donald Trump Jr. voulait transmettre ce communiqué au New York Times pour que sa version des faits soit inclue dans l’article qui allait être publié.

Contre l’avis de Hope Hicks, qui estimait qu’il vaudrait mieux dire toute la vérité, Donald Trump a estimé que son fils ne devait en aucun cas mentionner les vraies raisons pour lesquelles il avait accepté de rencontrer l’avocate russe, à savoir la promesse d’obtenir des informations compromettantes sur Hillary Clinton. Le président et Hope Hicks ont donc rédigé un communiqué dans lequel Donald Trump Jr. affirmait que la réunion avait seulement pour but de discuter du thème de l’adoption d’enfants russes aux Etats-Unis.

It was a short meeting. I asked Jared and Paul to stop by. We discussed a program about the adoption of Russian children that was active and popular with American families years ago and was since ended by the Russian government, but it was not a campaign issue at that time and there was no follow up. (Ce fut une brève réunion. J’ai demandé à Jared et Paul de passer. Nous avons discuté d’un programme d’adoption d’enfants russes qui était en vigueur et populaire auprès des familles américaines il y a plusieurs années et auquel le gouvernement russe avait depuis mis fin, mais ce n’était pas un thème de campagne à ce moment-là et il n’y a pas eu de suite)

Hicks a transmis ce texte à Donald Trump Jr. pour lui demander si cela lui convenait. Donald Trump Jr. lui a dit qu’il allait ajouter le mot « principalement » pour dire « nous avons principalement discuté d’un programme d’adoption d’enfants russes ». Il pensait que celapermettrait d’éviter que le communiqué soit mensonger. Après quelques petites modifications, voici donc le communiqué que Donald Trump Jr. a finalement fait parvenir au New York Times. Il ne mentionne pas la promesse de recevoir des informations compromettantes sur Hillary Clinton.

It was a short introductory meeting. I asked Jared and Paul to stop by. We primarily discussed a program about the adoption of Russian children that was active and popular with American families years ago and was since ended by the Russian government, but it was not a campaign issue at the time and there was no follow up. I was asked to attend the meeting by an acquaintance, but was not told the name of the person I would be meeting with beforehand. (Ce fut une brève réunion d’introduction. J’ai demandé à Jared et Paul de passer. Nous avons principalement discuté d’un programme d’adoption d’enfants russes qui était en vigueur et populaire auprès des familles américaines il y a plusieurs années et auquel le gouvernement russe avait depuis mis fin, mais ce n’était pas un thème de campagne à ce moment-là et il n’y a pas eu de suite. C’est une connaissance qui m’avait demandé d’assister à la réunion, mais il ne m’avait pas communiqué au préalable le nom de la personne que j’allais rencontrer)

Le New York Times a publié son article en y incluant le communiqué de Donald Trump Jr.

Le 11 juillet 2017, Donald Trump Jr. publiait finalement les emails qu’il avait échangés avec Robert Goldstone en vue de l’organisation de cette rencontre, après que le New York Times l’ait informé qu’ils avaient mis la main dessus et s’apprêtaient à les publier. Dans ces emails, il apparaît clairement que Trump Jr. a accepté la rencontre avec Veselnitskaya en raison de la promesse d’obtenir des informations compromettantes au sujet d’Hillary Clinton.

I. Nouvelles tentatives de pousser Jeff Sessions à prendre le contrôle de l’enquête du procureur Mueller

Durant l’été 2018, Donald Trump a de nouveau tenté à plusieurs reprises de convaincre Jeff Sessions de revenir sur sa décision de se récuser de l’enquête sur la Russie et de prendre le contrôle de l’enquête menée par Robert Mueller. En vain.

Parallèlement, le président a continué de critiquer Jeff Sessions lors d’interviews et sur Twitter, sans doute pour lui mettre la pression. Le 1er août 2018, il tweetait par exemple: « Attorney General Jeff Sessions should stop this Rigged Witch Hunt right now » (L’Attorney General Jeff Sessions devrait mettre fin à cette chasse aux sorcières truquée tout de suite)

Le 23 août 2018, le président déclarait lors d’une interview qu’il avait malheureusement nommé un Attorney General qui n’avait jamais « pris le contrôle du Département de la Justice ». Pour une fois, Jeff Sessions décidait de répliquer dans un communiqué:

I took control of the Department of Justice the day I was sworn in (…) While I am Attorney General, the actions of the Department of Justice will not be improperly influenced by political considerations. (J’ai pris le contrôle du Département de la Justice le jour où j’ai prêté serment (…) Tant que je serai Attorney General, les actions du Département de la Justice ne seront pas influencées à tort par des considérations politiques)

Le 7 novembre 2018, au lendemain des élections de mi-mandat, Donald Trump licenciait Jeff Sessions.

J. Donald Trump demande à Donald McGahn de nier qu’il lui ait demandé de faire licencier Mueller

Début 2018, le New York Times révèlait que Donald Trump avait demandé à Donald McGahn de faire en sorte que Robert Mueller soit licencié en juin 2017. Le Times affirmait également que McGahn avait refusé d’obéir et menacé de démissionner. Donald Trump a démenti et a ensuite demandé à Donald McGahn d’affirmer publiquement que ce que la presse rapportait était faux et qu’il ne lui avait jamais demandé de faire licencier Mueller. Autrement dit, Trump demandait à McGahn de mentir. Celui-ci a refusé.

D’après Rob Porter, l’un des secrétaires de la Maison Blanche, le président a affirmé qu’il soupçonnait McGahn d’avoir parlé à la presse pour se donner le beau rôle et l’aurait qualifié de « connard de menteur ».

Finalement, John Kelly – qui avait remplacé Reince Priebus au poste de chef de cabinet de la Maison Blanche – a organisé une réunion avec Trump et McGahn pour mettre les choses au clair. Lors de cette réunion, Trump  a affirmé que McGahn mentait et qu’il ne lui avait jamais ordonné de faire licencier Mueller. McGahn s’en est tenu à sa version des faits et a refusé d’affirmer publiquement que ce que rapportait la presse était faux. Lors de cette même réunion, Donald Trump a également demandé à McGahn pourquoi il prenait toujours des notes lors de leurs entrevues.

What about these notes? Why do you take notes? Lawyers don’t take notes. I never had a lawyer who took notes. (Et ces notes? Pourquoi prends-tu des notes? Les avocats ne prennent pas de notes. Je n’ai jamais eu un avocat qui prenait des notes)

McGahn a rétorqué qu’il prenait des notes parce qu’il était un « vrai avocat ».

K. Tentatives de dissuader des témoins de coopérer avec la justice

Robert Mueller a enquêté sur certaines actions du président Trump dont il semble penser qu’elles pourraient être interprétées comme des tentatives de mettre la pression sur des témoins pour qu’ils ne coopèrent pas avec la justice. Cela concerne Michael Flynn, Paul Manafort et un troisième individu dont le nom est masqué dans le rapport parce qu’une enquête à son sujet est toujours en cours (on peut raisonnablement supposer qu’il s’agit de Roger Stone).

Concernant Michael Flynn, Trump a parlé positivement de lui à plusieurs reprises après son départ de la Maison Blanche. Le 1er décembre 2017, Flynn a plaidé coupable pour avoir menti au FBI et passé un accord de coopération avec le procureur Mueller. Au cours des jours suivants, Donald Trump a publiquement déclaré que Flynn n’avait pas été traité de manière juste et lui a fait part de sa sympathie.

Concernant Paul Manafort, Donald Trump a également affirmé publiquement qu’il était injustement traité après qu’il ait été inculpé pour un certain nombre de crimes financiers. Lors de plusieurs interviews, Rudy Giuliani, l’un des avocats de Trump, a également laissé entendre que le président aurait toujours la possibilité d’accorder la grâce présidentielle à des personnes ayant été injustement traitées. N’était-ce pas un moyen de faire comprendre à Manafort que s’il ne coopérait pas avec la justice et était condamné, il pourrait obtenir la grâce présidentielle?

Le rapport cite aussi le fait que Donald Trump ait publié plusieurs tweets pendant le procès de Manafort. Lorsque Manafort a été condamné, le président a qualifié le verdict de très triste et a affirmé qu’il avait beaucoup de respect pour Manafort parce que celui-ci n’avait jamais cédé à la pression.

D’après le rapport, on peut clairement considérer que les agissements de Trump et Giuliani, surtout concernant Manafort, ont pu influencer le comportement de ce dernier et le dissuader de coopérer avec la justice.

L. L’attitude de Donald Trump envers Michael Cohen

Le rapport note que l’attitude de Donald Trump envers son ancien avocat et homme de confiance Michael Cohen a totalement changé lorsque ce dernier a décidé de coopérer avec la justice. Michael Cohen a pris cette décision en juillet 2018. Il faut dire que quelques mois plus tôt, le FBI avait perquisitionné son domicile et son bureau.

Comme nous l’avons vu dans le Volume I du rapport, Michael Cohen était en charge des négociations en vue de la construction d’une Trump Tower à Moscou pendant la campagne électorale et a menti sous serment au Congrès à ce sujet. Il a menti sur quatre points essentiels: (1) Il a dit que le projet avait été abandonné en janvier 2016 alors qu’il était en réalité en discussion jusqu’en juin 2016. (2) Il a dit qu’il n’avait jamais envisagé de demander à Donald Trump de se rendre en Russie pour négocier alors que c’était faux. (3) Il a dit que Donald Trump n’avait été informé que trois fois au sujet du projet alors qu’il l’informait en réalité constamment de l’évolution des négociations. (4) Il a dit que l’email qu’il avait envoyé à Dmitry Peskov était resté sans réponse et qu’il n’avait été en contact avec aucun membre du gouvernement russe, alors que l’assistante de Peskov lui a répondu et qu’ils ont parlé au téléphone.

Cohen affirme aujourd’hui qu’il a menti par loyauté envers le président, qu’il voulait protéger. Il est noté dans le rapport que les déclarations faites par Cohen depuis qu’il a décidé de coopérer avec les enquêteurs ont pu être vérifiées grâce à d’autres éléments de l’enquête et que Cohen a également fourni des informations utiles sur d’autres événements sans qu’on l’ait interrogé préalablement. Autrement dit, Cohen aurait véritablement décidé de révéler tout ce qu’il sait.

En avril 2018, après que le FBI ait perquisitionné le domicile et le bureau de Michael Cohen (dans le cadre de l’enquête relative au paiement de $130,000 à Stormy Daniels), Donald Trump a téléphoné à ce dernier pour prendre de ses nouvelles et lui dire de « rester fort ». Michael Cohen affirme qu’il a également reçu à l’époque des messages de plusieurs proches du président qui tenaient tous à lui rappeler que ce dernier le soutenait.

Mais, en juillet 2018, lorsque Michael Cohen a signalé dans une interview qu’il avait l’intention de coopérer avec Robert Mueller, Donald Trump a totalement changé d’attitude à son égard. Il a notamment commencé à publier des tweets critiques et injurieux le concernant. Ce qui n’a pas empêché Cohen de plaider coupable pour violation de la loi sur le financement des campagnes électorales « à la demande » de Donald Trump en août 2018, puis pour avoir menti au Congrès en novembre 2018. Donald Trump l’a alors qualifié de « faible » et a affirmé qu’il était prêt à raconter n’importe quoi aux enquêteurs en espérant obtenir une réduction de peine. Il a aussi laissé entendre que des membres de la famille de Cohen seraient impliqués dans des crimes.

Le 12 décembre 2018, Michael Cohen a été condamné à trois ans de prison. Quatre jours plus tard, Donald Trump publiait un tweet dans lequel il le qualifiait de « rat ».

Le rapport note que, via ses déclarations publiques et ses tweets, Donald Trump semble avoir voulu d’abord inciter Michael Cohen à ne pas coopérer avec la justice, puis, lorsque celui-ci a commencé à coopérer, a cherché à l’intimider.

2. Donald Trump est-il coupable d’entrave à la justice? Robert Mueller ne tranche pas

Comme nous l’avons déjà mentionné, Robert Mueller a choisi de ne pas trancher définitivement la question de l’entrave à la justice. Après avoir présenté toutes les actions suspectes du président, il n’affirme pas clairement que celui-ci s’est rendu coupable d’un crime, mais il ne l’exonère pas non plus.

While this report does not conclude that the President committed a crime, it also does not exonerate him. (Bien que ce rapport ne conclut pas que le Président ait commis un crime, il ne l’exonère pas non plus)

La décision de Robert Mueller de ne pas trancher va très certainement faire débat. Elle a d’ores et déjà permis au ministre de la Justice William Barr d’affirmer que, d’après lui, les éléments contenus dans le rapport Mueller ne permettent pas d’accuser le président Trump d’entrave à la justice. Ce qui n’empêche en théorie pas le Congrès de tirer une conclusion différente de la lecture du rapport et d’entamer une procédure d’impeachment s’il le juge nécessaire. Peut-être Robert Mueller a-t-il précisément voulu laisser le dernier mot et la responsabilité de trancher au Congrès étant donné que le Département de la Justice ne peut de toute façon pas inculper un président en exercice?

À la fin de son rapport, Robert Mueller tente d’expliquer pourquoi il a décidé de ne pas décider. Cette partie du rapport est assez technique et, comme nous ne sommes pas juristes de profession, nous reconnaissons volontiers qu’il n’est pas aisé pour nous de l’analyser pertinemment. D’après ce que nous en avons compris, voici les éléments que Robert Mueller met en avant pour expliquer pourquoi il est selon lui difficile de trancher définitivement en faveur de l’entrave à la justice, même si certains actes du président Trump s’apparentent fortement à des actes d’entrave à la justice:

1. Certains des actes qui pourraient être considérés comme des actes d’entrave à la justice rentrent toutefois dans les prérogatives constitutionnelles du président. Par exemple, le président des Etats-Unis a le droit de licencier le directeur du FBI.

2. La plupart des actions du président Trump étaient publiques. Or, généralement, les tentatives d’entrave à la justice sont plus discrètes. Cela laisse planer un doute sur le fait que le président ait agi en ayant véritablement l’intention de faire entrave à la justice. Or, l’intention doit être prouvée pour pouvoir accuser quelqu’un d’entrave à la justice.

3. Enfin, Robert Mueller rappelle que la notion d’entrave à la justice est généralement liée à la volonté de vouloir cacher un crime commis. C’est l’argument qui a principalement été mis en avant par le ministre de la Justice William Barr pour exonérer le président. D’après Barr, puisque le rapport conclut à l’absence d’un crime de coordination avec la Russie, il n’y avait pas de crime à cacher et on ne peut donc pas accuser le président d’entrave à la justice. Robert Mueller est plus nuancé que William Barr sur ce point. Il concède que l’absence de crime de coordination avec la Russie rend l’entrave à la justice plus difficile à démontrer, mais il estime qu’il ne serait pas juridiquement impossible pour autant d’accuser le président Trump d’entrave à la justice. En effet, le président aurait pu vouloir mettre un terme à l’enquête sur la Russie par peur que celle-ci mène à la découverte d’autres crimes (non liés à la Russie) ou tout simplement parce qu’il estimait que cette enquête mettait à mal son image et l’empêchait d’exercer correctement ses fonctions.

Pour terminer, il nous faut mentionner le fait que Robert Mueller a réclamé pendant plus d’un an de pouvoir interroger le président Trump dans le cadre de son enquête. Celui-ci a refusé tout entretien avec les enquêteurs. Il a finalement uniquement consenti à répondre à certaines questions de Robert Mueller par écrit. Les réponses qu’il lui a adressées lui sont parvenues en novembre 2018. Robert Mueller note dans son rapport qu’il estime qu’elles sont incomplètes. Donald Trump affirme par exemple à plus de 30 reprises qu’il ne se souvient pas de certaines choses et ne peut donc pas répondre précisément à la question qui lui est posée.

Robert Mueller précise qu’il a songé à forcer Donald Trump à témoigner, mais a finalement décidé de ne pas le faire parce que:

(1) cela aurait signifié qu’il aurait fallu entamer une longue procédure judiciaire. Le président aurait probablement utilisé tous les recours possibles pour ne pas devoir témoigner. La procédure aurait pris beaucoup de temps et, alors que l’enquête touchait à sa fin, cela aurait considérablement retardé sa conclusion et la publication du rapport.

(2) les preuves recueillies grâce à tous les autres témoignages, aux documents obtenus, etc. permettaient d’en savoir suffisamment sur le comportement du président pour parvenir à des conclusions satisfaisantes.

Cette décision de Mueller va sans doute là aussi faire débat. Le témoignage de Donald Trump n’aurait-il pas pu mettre au jour des contradictions? S’il avait menti aux enquêteurs, n’aurait-ce pas été un élément à charge important?

 

 

 

 

 

 

2 réflexions sur “LE RAPPORT MUELLER, EN RÉSUMÉ

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